11 déc. 2011

Flavien, mon frère de sang

Je n'y ai pas pensé mais l'idée me vient de parler de l'abbé Flavien Busina Bikakala (1956-2006). Prêtre du Seigneur, Flavien était un serviteur qui a vécu comme il est parti. Dans la simplicité et l'anonymat. Dans la piété et l'humilité.
Des relations profondes nous unissaient, nos parents étaient très proches du temps de leur jeunesse. C'est plutôt à Kalonda que je l'ai connu parmi d'autres. Il me suivait d'une année. Ce détail est important parce que nous deviendrons condisciples en théologie à Rome à la suite de mon année de régence après le cycle de philosophie. Travailleur hors pair, Flavien fascinait par son engagement; il ne faisait rien à moitié. Caractère dur à certains égards, naturellement rétif à toute autorité arbitraire, il était un homme d'une volonté ferme et généreuse.
Dans mon univers personnel, Flavien Busina est le meilleur gardien de but du monde. Que des fois suivant un match des professionnels, je m'exclame: "Busina aurait arrêté ou dévié ce ballon". A Kalonda, à Mayidi comme à Rome, il est demeuré un goalkeeper sans égal. Mai 1982. Lors d'un match du Collège Urbain contre les Catéchistes de la Propaganda Fide à Castel Gandolfo, Flavien excédé contre l'arbitre a provoqué un penalty. Après discussion, il a juré que ce penalty ne se transformerait jamais en but. Eh bien, il a arrêté la balle net, à la stupéfaction générale de nos adversaires. Séraphin Kiosi m'a raconté une histoire semblable, cette fois à Ngi lors d'un match de Katende contre Ngi.
A Rome, Flavien alors responsable des chants pour la communauté ecclésiastique "zaïroise" a eu l'idée d'enregistrer un 33 Tours de Missa Zaïre. Ce qui lui valut le titre de DG de la part de Faustin Mampuya.  Je n'ai jamais compris comment il a réussi à rassembler les moyens financiers et matériels pour cette réalisation artistique. L'enregistrement s'est fait à Frascati, un bus était mis à disposition pour le déplacement des choristes. Une volonté de fer.
Je n'oublierai jamais le jour où pour la première fois, je l'ai vu s'injecter une piqûre anti je ne sais plus quoi. J'étais stupéfait, estourbi. Je n'avais jamais vu ça, sauf plus tard, lorsque j'ai approché des diabétiques. Et même encore, les aguilles de diabète sont courtes. Et dire qu'il le faisait souvent; il se soignait lui-même plutôt que de se confier à un médecin. Il avait une pharmacie personnelle bien équipée, et  s'en servait normalement. C'était plus fort que lui; aucun conseil lui interdisant de le faire ne pouvait passer.
De retour au pays en 1982, il y avait une situation difficile au petit séminaire de Katende. Le Père Ben Overgoor étant repris par la SVD pour leur nouveau noviciat à Bandundu, il n'y avait personne pour enseigner le latin. Flavien, impréparé, a assumé la lourde tâche de remplacer un monument à Katende. Pendant toutes ses années de Katende, Flavien a bossé comme un casanier pour inculquer le latin aux séminaristes. Le pari était gagné.
Je ne parle pas de ses autres affectations. Je crois qu'il a ensuite développé une querelle personnelle avec l'ancien évêque de Kenge. Il a même signé des documents dans ce sens avec d'autres. En 98 il avait plein espoir dans le nouvel évêque coadjuteur; les nuages semblaient se dérober au bout du ciel. En 05 je l'ai trouvé complètement dépité, effondré... mais toujours décidé à relever les défis. Je garde encore des emails qu'il m'a écrits à l'époque.
Un homme à deux faces: affable et dur. Musuku ye fhwati ku mbundu! Homme très difficile à diriger quand il n'est pas d'accord, ferme et intransigeant dans ce qu'il projette, capable de s'engager à fond dans une aventure qui se révèle parfois peu pertinente, Flavien tient de son père sa hargne, sa rancoeur et sa générosité. Mais inébranlablement conscient de ce qu'il veut. Tous les Busina sont comme ça. Je l'avais une fois dit à sa soeur Brigitte.
Je suis jusqu'à ce jour convaincu que Flavien aurait vécu plus longtemps si l'autorité diocésaine lui avait permis de se faire soigner en Europe, selon son voeu. Car à se sujet, son billet d'avion avait été détourné par un de ses confrères sans scrupule. Jamais remboursé jusqu'à sa disparition. Les autres démarches n'ont pas reçu le soutien de son ordinaire. Sur le net avait circulé à l'époque sa lettre-testament qui révèle dans les détails comment il avait été traité. J'y fais allusion dans mon email du 10 décembre 2006.
Au-delà de tout ceci, je garde de Flavien le souvenir d'un prêtre abandonné à son propre sort, un homme meurtri par l'insensibilité des hommes, mais aussi et surtout, celui d'un frère de sang, mon frère de sang.
Whena mboti kuna wena Pafla Bikakala.

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