Il y a deux ans exactement, décédait à Kinshasa, à l'âge de 72 ans, Donatien Mabana Kasongo Bunda. Dieu ait son âme. Mon père a pendant longtemps été mon modèle. J'ai souvent manifesté le même caractère que lui, quoique j'aie foncièrement condamné la brutalité de ses méthodes qui me paraissent parfois autoritaires et que je n'aie pas apprécié certains détails de sa vie. Au délà de ces divergences d'ordre structurel et familial, j'ai gardé une affection inébranlable pour mon géniteur paternel.
Né en 1935 à Kimfingia M'khota, Mission catholique Kimbau, Sabana (ce fut son vrai nom) commence la première primaire de Kingwadia en 1942, sur l'insistance de son oncle Sylvain Mayengo, le premier intellectuel du coin. Il poursuivra à Kimbau et à Yasa, en passant par l''école des frères joséphites de Kinzambi. C'est à l'école normale de Kikwit qu'il acquiert ses connaissances pédagogiques, mais il sera mis à la porte pour indiscipline en 1952. Bien que sans diplôme, il entame en septembre 1952 une carrière d'enseignant. A cette époque marquée par le mouvement des évolués, Donatien Mabana brille par sa maîtrise de la langue française. Il enseigne à Kimbau de 1952 à 1959, à Kabwita de 1959 à 1963 et à Mutoni Toy en 1963-64, à Makiosi en 64-65. De septembre 1965 à mai 1967, il entreprend une formation pédagogique qui sera couronnée par un diplôme de D4 en pédagogie, outil dont-il avait tant besoin pour consolider sa carrière. Une fois de retour à Makiosi, il sera pendant deux ou trois semaines mon enseignant de 5e année avant de devenir, au cours de la même année, mon directeur d'école à la mission Kimbau. Directeur d'école de 1967 à 1969 à Kimbau, il poursuit sa carrière à Mutoni de 1969 jusqu'en 1977, Après une année d'enseignement au CSP de Kenge, il est affecté à l'école officielle de Makiala (1978), et à Mikao sur la route de la mission Ngi. L'école sera déplacée à Ngungu-Thambu à partir de 1989. Il a pris sa retraite "sur papier" en 2003 alors qu'on a continué à percevoir son minable salaire jusqu'à sa mort, le 26 septembre 2007.
Voilà une vie simple et belle. Une vie modeste malgré quelques apparences d'éclats. Une vie à la mesure d'un homme fort et faible, aimable et détestable par moments. Bref une vie pleine de courage, de droiture, d'abnégation et de sacrifices.
Mon père a beaucoup souffert les dix dernières années de sa vie, subissant pas moins de six interventions chirurgicales. La dernière que j'ai été le voir, c'était en juillet 2007, plus précisément du 3 juillet au au 19 juillet. Dès qu'il a appris que l'avion avait atterri, il s'est écrié: "Mon fils vient m'enterrer". Il n'en croyait pas ses yeux de me voir à son chevet aux cliniques Ngaliema de Kinshasa. A mon départ, il m'a prié de ne pas rentrer pour son enterrement si jamais il venait à rendre l'âme en mon absence. A son avis, je l'avais déjà symboliquement enterré et il était si heureux et fier de me voir remplir mon devoir filial.
Je n'avais pas d'espoir de le revoir vivant, car les résultats radiographiques et des examens effectués sur ordre du Dr Muteba ne lui accordaient pas beaucoup de temps de vie. Je le savais, mais je devais rien souffler de ce pénible détail. Le Dr Mayengo, son cousin, s'est mis à pleurer dès qu'il avait pris connaissance des radios. Le cancer avait déjà attaqué tout le bassin. Je suis revenu à la Barbade, conscient d'avoir accompli mon devoir de fils aîné et heureux d'avoir entendu ses dernières paroles.
Mon père restera pour moi l'homme le plus important de ma vie. Celui que j'ai aimé, quelquefois détesté à cause de sa fermeté. Ce caractère-là, il me l'a légué. Il m'a surtout appris à être moi-même devant les vicissitudes de la vie. Non sans humour, on se saluait réciproquement: "Bonjour mon fils". Il était mon père biologique, j'étais moi prêtre, son père spirituel. Chaque fois qu'il disait par exemple "Qui est celui qui peut m'ensorceler moi?" je me présentais comme son possible sorcier. Nous avions développé une relation très forte. J'étais Le fils, Son fils, Son coeur, comme il se plaisait à me le répéter depuis ma tendre enfance! Et il a fait tout son possible pour me rendre heureux. Le souvenir et l'amour de mon père sont gravés à jamais en moi. Le premier avant qui que ce soit, il m'a compris et pardonné d'avoir renoncé au sacerdoce, respectant ma libre décision. "Tu restes mon fils avant toute chose", m'a-t-il dit en dépit de quelque regret. Il a au moins eu le courage d'être sincère. Par-dessus tout, contre vents et marées, mon père a toujours cru en moi. Il a été et demeure, pour autant qu'on puisse le dire d'un être humain, mon roc. J'ai honoré sa tombe le 25 novembre 2008 à Kinkole.
Papa, Dieu ait ton âme et t'accorde le repos éternel.