2 févr. 2011

Abbé Faustin-Antoine MAMPUYA (12 avril 1955 - 2 février 2011)

2 février 2011. Dès que je suis rentré ce soir à mon bureau pour déposer quelques outils d'enseignement, je suis tombé sur la nouvelle assommante. Un mot de l'abbé Floribert Kiala: "Mbuta je ne sais pas si vous avez appris la mort de l'abbé Faustin". Je suis entré aussitôt sur hotmail. Pas d'email! C'est plutôt un MSN reçu sur mon cellulaire, qui me donne confirmation et précision: "Triste News. L'abbé Mampuya est dcd ce matin à 3h à Mama Yemo". Perdu, hagard, je me suis quelques minutes allongé sur le pavement de mon bureau afin de reprendre mon souffle. Faustin, ce n'est pas n'importe qui pour moi. Pendant que ton corps est encore sur la terre, je tiens à te rendre cet hommage spontané et amical.
L'homme, pourquoi pars-tu sans me dire au revoir? Nos retrouvailles du 7 décembre n'étaient qu'une éphémère prélude à ta mort. Je t'ai revu après sept ans, après notre rencontre de Bonhomme. J'étais aux anges mais en même temps triste de te voir si maigre, si diminué... si ridé avec tes cheveux et ta barbe broussailleuse digne d'un féticheur africain. Tu ne m'as pas dit que tu partais si tôt, l'homme. Tu m'as seulement dit: "c'est comme ça, ici au diocèse; on survit par miracle". Les trois fois que je suis passé à la procure de Kenge, c'était, sans négliger les aînés, amis et cadets que j'ai revus, en premier lieu pour te voir. Te voilà parti aujourd'hui alors que tu me rassurais que tu allais de mieux en mieux. Kwenda mbote, nduku na mono!
Tu m'as rappelé l'épidose de l'interphone: ce jour-là de septembre 1982, j'avais refusé de t'offrir une bière. Mgr M'Sanda avait suivi par l'interphone notre conversation depuis son bureau. "Quand ton ami te demande une bière, ça signifie qu'il a soif; il faut la lui donner." Combien de fois après l'extinction des lumières ne nous sommes-nous pas promenés à travers la procure de Kenge, torses nus avec une bouteille de skol chacun, ou assis sur l'esplannade des ordinations?
Toi et moi avons été condisciples de la troisième année littéraire à Kalonda (1971-72) jusqu'en troisième année de théologie à Rome (1981-82). Après le philosophat de Mayidi, nous avons fait ensemble la régence à Kalonda et, au retour de Rome, le stage du diaconat à Kenge. Nous avons été ordonnés le même jour, le 7.8.83; tu as tenu jusqu'au bout, j'en suis parti. Te rappelles-tu comment notre projet de nous présenter au jury de philosophie de la Faculté catholique de Kinshasa a été noyé? Te souviens-tu de notre dernier voyage d'Allemagne, tu venais d'Ingolstadt où tu avais travaillé dans une usine Audi et nous sommes descendus ensemble de Munich sur Rome. A la gare on avait rencontré les abbés Bénézet Bujo et Sébastien Zoubakela de Brazzaville. Même au plus fort de la tension Nord-Sud, notre amitié a tenu fort; tu m'as accueilli à bras ouverts à Ito en juin 1987. Quand bien même tu étais porté disparu, invisible, ton cousin Michel n'a pas hésité de me donner ton numéro de portable en 2003. Et je suis allé te dénicher à ton refuge de Bonhomme où tu t'étais retiré du monde. Autant de signes qui m'ont confirmé notre proximité et notre amitié.
Depuis mon dernier retour du Congo, j'ai souvent parlé de toi. Hier encore, comme par coïncidence, j'ai parlé de toi avec Clavère car, te plaignant de ta situation, tu m'as rappelé les soins dont Jean-Pierre Gavuka d'heureuse mémoire a été, en son temps, l'objet de la part de ce même diocèse. Par un déclic magnétique ou télépathique tu m'as vaguement signalé ta présence. Ce n'est que maintenant que je saisis le message.
Du groupe de Kenge qui est allé à Rome en septembre 1979, je reste le seul survivant. Pour combien de temps? Dieu seul sait. Il n'y a aucune satisfaction cynique à en tirer car avec toi, Flavien Busina, Benjamin Fala et Jean-Pierre Gavuka s'en vont à jamais des vestiges immémorables. Avec qui puis-je encore partager les souvenirs de ces moments-là? Ne vaut-il pas mieux pour moi de venir vous rejoindre dès que l'appel du Seigneur retentira? Repose en paix, Faustin. Toi le courageux, qui en 1977 à Mayidi avais osé t'allonger dans le cercueil destiné à feu Munguruba, te voilà aujourd'hui dans ton propre cercueil! Comme le destin est triste et cruel!
Quoi dire de l'homme? Personnage original à plusieurs égards. Soit on l'aimait, soit on le détestait. Et on avait raison. Travailleur, pratique, réparateur de montres, ce guerisseur traditionnel et homme de Dieu était serviable, pieux, irascible, parfois brutal. Prêt à recourir à la force physique, à Rome, il s'était fait l'ami des Coréens Kim et Park afin de perfectionner le TaeKondo je crois. Il aimait bien la bonne chair, le poisson, la tortue, l'alcool auquel il a renoncé plus tard. J'ai ramé sur le Kasai avec lui - la seule fois que j'ai vraiment manié la pirogue - on est allé à leur ferme. Il se surnommait à une époque "La Tortue". Il traitait son ami Nlasa de "Le gros" alors que lui-même n'était pas mince. Je revois Joseph Kisekka s'étonnant devant l'imposant physique du géant Mampuya: "Ma che forza selvaggia!" Je le vois riant de Flavien pour s'être improvisé "professeur de lingala" des Ougandais. Je n'oublierai jamais un jour de 77/8 où, pendant un match de foot de Mayidi contre le petit séminaire de Lemfu, il a rendu la balle à un adversaire pour une remise en jeu; ce qui nous a coûté un but car ce faisant il avait quitté son poste de défenseur.
L'énigmatique ami était par exemple convaincu qu'il mourrait à 45 ans. A une époque d'ailleurs, une nouvelle s'était répandue qu'il était mort ou qu'il mourait et ressusciterait trois jours plus tard. Pour moi, ce genre de coups convenait parfaitement à l'homme. Je crois avoir assez vécu avec lui pour bien connaître le mystique Faustin. Au-delà de toutes ses grandes qualités et de ses défauts, Faustin est resté pour moi un ami que j'ai perdu pendant quelques années et avec lequel j'ai retissé les relations. Et le Seigneur m'a accordé de le voir, de le toucher et d'échanger avec lui moins de deux mois avant sa mort. Curieusement, on n'a pas pris des photos.
Profondément triste et perplexe devant l'inénarrable mystère de la vie, je joins ma prière à celles de tous ceux et celles qui pleurent Faustin, serviteur de Notre Seigneur. Que l'Eternel le reçoive dans son royaume céleste et lui accorde la couronne de ses élus.
Faustin, sambu na nki nge me kwenda? Kansi kuna nge me kwenda, kuvila mono ve, nduku na nge! Kwenda mbote!