30 sept. 2012

Adieu Gérard Masisi

30 septembre 2012. Je viens d'apprendre par un email de l'abbé Floribert Kiala la mort au pays de Gérard Masisi, un brillant juriste et avocat. Que son âme repose en paix! Je n'ai pas d'autres détails.
J'ai connu Gérard au petit séminaire de Kalonda où il me suivait de quelques années. On s'est revus à Bandundu en juillet 2003. Marié à ma cousine Euphrasie Lunda, il travaillait à l'époque dans la magistrature provinciale. Je me souviendrai toujours de ses blagues et de ses réflexions. Je m'unis de tout coeur aux pleurs et aux prières de sa famille restreinte et élargie pour que le Seigneur l'accueille dans Son Royaume Céleste.
Wenda mboti, m'leki! Nzambi kakusambula. 

La culture du livre et de la lecture

Issus des cultures fondamentalement orales, il n'y a aucune honte à le reconnaître, nous n'avons pas une culture du livre ni de la lecture. Nous clamons haut et fort notre oralité primordiale, notre oraliture ou notre orature, des termes forgés pour marquer notre différence viscérale. Cela a pour conséquence que notre environnement culturel primaire ne nous expose pas au livre et nous conduit pas à faire du livre un élément essentiel de notre développement intellectuel et intégral. Un cliché à connotation raciste affirme que les Noirs ne lisent pas, dans les pays où ils cohabitent avec d'autres races. De là à réduire leurs chances de réussir sur le plan scolaire et académique, et donc sur le plan de la distribution professionnelle. Ceci explique-t-il cela?
 Lisez l'enquête du Prof. José Dianzungu dia Bianiakunu:

"Pr José Dianzungu: "95% d'étudiants n'ont jamais lu un seul livre depuis leur naissance!"
Dans une mini-enquête réalisée dans quelques universités de la RDC, notamment dans les universités de Luozi, de Mbanza-Ngungu, de Kimpese, de Kinshasa (ISP Gombe, UPN, UPC), le professeur à la retraite Dianzungu dia Biniakunu José, membre du Conseil d'administration de l'Université protestante au Congo (UPC) révèle que le niveau de l'enseignement en général en RDC est catastrophique. Selon ce spécialiste en statistiques, sur 100 étudiants interrogés, seulement moins de 5% ont lu un livre entier, tandis que les 95% autres n'ont jamais lu un seul livre depuis leur naissance ! " Quand j'ai rapporté ces résultats à mes amis professeurs de Suède, du Canada, des Etats-Unis avec qui je corresponds sur le niveau de l'enseignement supérieur et universitaire, ils m'ont dit : ''N'appelez pas ces gens des étudiants ; parce que pour nous, ils ne sont même pas des écoliers.''
(Source: Propos recueillis par Kléber Kungu, 21. .09.2012: www.radiocongonet.com)

1. Quelques anecdotes pour commencer. Il y a quelques années, un intellectuel congolais retournait au pays à la fin de ses études en Belgique ou aux Etats-Unis. Il avait tellement de livres qu'il était obligé d'en porter un bon nombre comme bagage à main. Ce qui a surpris ses compagnons de voyage: "Mais cet homme, dans quel monde vit-il? Il va manger des livres ou quoi?" Ayant entendu cela, il a simplement dit: "C'est tout ce que j'ai comme richesse, rien d'autre".
2. "Mémoire ihidi" Une maison brûle. Un jeune diplomé inconsolable surprend tout le village en pleurant: "Mémoire ihidi". C'est tout ce qu'il regrettait. "C'est quoi un mémoire? Est-ce que ça se mange? Pourquoi doit-il en faire un drame?", s'enquièrent les villageois.
3. Culture de l'écrit et du livre? Nous n'en avons pas. Retournez dans votre ancienne école primaire, et demandez de voir les archives de vos propres résultats. On vous dira, fièrement et sans sourciller, qu'elles ont été pillées. Un historien m'a raconté sa déception de voir partir en fumée des documents importants sur lesquels il travaillait. C'était à la chute du régime Mobutu.
4. Ne vous étonnez surtout pas de voir des cahiers, syllabus et livres servir d'emballage pour cacahuètes, beignets ou manioc au marché du coin ou au malewa (restaurant indigène) du quartier. Résultat: le niveau intellectuel est ce qu'il est.
5. J'ai déjà parlé de notre système scolaire. Ce que note le Prof Dianzungu ne me surprend pas. Le mal se trouve déjà à la racine. Des comportements que nous avons affichons aussi bien au niveau personnel que socio-culturel ou politique, il est clair que nous n'avons jamais décollé de l'arbitraire consubstantiel à notre tradition orale. L'écrit est dérisoire malgré ses apparences. Je ne pense pas aux lois qu'on change du jour au lendemain. Je pense à l'inexistence de la lecture comme base d'enseignement. Comme nous sommes trop pauvres pour ajouter l'achat d'un livre à notre budget habituel, l'enseignement est fondé sur la répétition de ce que dit le maître. Alors les notes prises en cours suffisent. Le syllabus exigé pour remplir la poche du maître-enseignant est incontournable. Nul besoin d'enrichir son savoir de choses superflues, encore moins d'encombrer son esprit d'élucubrations cérébrales difficiles à assimiler.
6. J'ai eu le privilège d'être formé dans un petit séminaire qui imposait dans l'horaire une heure de lecture, le dimanche après la messe. Bandes dessinées, Tintin, Obélix, Sheriph Warson, et d'autres étaient disponibles pour les plus jeunes, à côté d'une abondante littérature chrétienne et profane de jeunesse. Dominique Savio comme Le petit Chose étaient lus de tous. Déjà en deuxième année du secondaire, il nous était demandé de lire et résumer un livre entier. Mr Isaac Mbemba m'avait ainsi sommé d'analyser Pêcheurs d'Islande de Pierre Loti. Lorsque près de vingt ans plus tard, j'ai relu le même livre avec plus d'outils critiques, je me suis resouvenu de beaucoup de choses. Le séminaire avait une revue, L'élan, que nous avons rebaptisée plus tard Yembe sur initiative de René Ngambele.
7. La lecture est un exercice exigeant. Elle exige du temps, de la patience, du calme et une disposition d'esprit. Etudiant de philosophie, je pouvais aisément parler de La philosophie bantoue de Tempels sans avoir jamais vu le livre. C'est des années plus tard que j'ai vu et lu le livre. J'en ai aussi connu des esprits rusés, qui estimant que les livres de Doutreloux et Bitremieux étaient incontournables pour la culture yombe, n'hésitaient pas lors des exposés oraux à attribuer à ces deux chercheurs leurs propres idées sans jamais ouvrir leurs livres. Pas le temps de lire ce qu'on sait déjà.
8. D'autre part, je suis très admiratif de voir sortir de ce même système décrié aujourd'hui des esprits brillants qui font la fierté de nos pays aussi bien en Afrique que dans les universités occidentales et orientales. Et mêmes dans les institutions internationales. L'écart entre leurs conditions de travail et les réussites qu'ils atteignent est immense. Tout est question de motivation. Des étudiants du Tiers Monde travaillent dur pour se hisser au soleil dans certains milieux universitaires. Un étudiant menacé d'expulsion à la fin de chaque année académique par les services d'immigration a intérêt à utiliser efficacement toutes les ressources livresques que l'université met à sa disposition. Et à ce niveau, la lecture est incontournable. Si nos enfants étaient mis dans les mêmes conditions de vie que les enfants de l'Occident, ils seraient, j'en suis sûr, beaucoup plus brillants et performants.
9. Dans le système anglo-saxon britanique ou américain, l'école est élitaire et sert une formation intégrale de l'homme (mens sana in corpore sano). Le prestige de l'école d'où l'on sort constitue le sous-bassement du succès. L'école pilote des influences politiques et des enjeux culturels importants. Les "alumni" de Harvard, Yale, Oxford, Stanford cotisent des millions pour que les bibliothèques et les médiathèques de leurs "almae matres" soient équipées d'instruments de travail et de recherche les plus performants. Pourquoi? Parce qu'elles sont les pointes d'iceberg d'une culture immensément livresque et fondée sur la lecture. De la maison au kindergarten, de la maternelle à l'université, le livre est l'outil élémentaire au service du savoir et de la connaissance.
10. Tout le monde est presque unanime à reconnaître que les jeunes ne savent plus écrire. Ils ne savent plus écrire parce qu'ils ne lisent pas comme la bonne vieille génération. Ils sont victimes de leur génération dot.com comme on dit. C'est une crise endogène et épistémique passagère. Par contre, je suis souvent ahuri d'entendre des sommités intellectuelles, certains journalistes, commettre sans se corriger de graves fautes de prononciation ou de syntaxe française. Certains sites de nos compatriotes regorgent de ces maladresses. La lecture est une clé importante pour le développement de la culture d'un pays, de sa littérature, de ses sciences humaines, de sa production artistique ou cinématographique comme de son intelligentsia.
11. Ce qui se passe chez nous est pareil en Afrique noire. Une réforme - ou mieux une modernisation -  de l'enseignement est absolument nécessaire. Pour que cette réforme réussisse et réponde aux attentes de la société, il faut qu'elle soit opérée de préférence par des spécialistes du domaine, pédagogues et enseignants compétents, plutôt que par les seuls politiciens. Offrir de façon égale l'accès au livre à tous les écoliers doit constituer un objectif de cette réforme.
 

29 sept. 2012

La paix en RDC, tu parles?

Claver,

Comme toujours tu te mêles des choses pour lesquelles tu es foncièrement maladroit et inapte. La politique, tu prétends qu'elle est sale, immonde, mais tu ne te gènes de t'en mêler constamment. Des hommes d'état, des diplomates et d'autres négociateurs se penchent depuis des mois sur cette affaire, et toi tu ne trouves rien d'autre à dire que "il faut une solution diplomatique mais appuyée par une solution militaire". D'où tiens-tu cette déclaration inepte? Te crois-tu plus avisé que tous ces gens pourtant bien versés dans leur domaine? Tu n'es ni politicien ni politologue, cesse alors de ridiculiser les efforts de tant d'hommes si bien motivés avec des expressions comme "blablaba".
etc...
(Email du 28.9)

"Cher ami,

1. Merci pour ton mot. J'aime ta sincerité qui frise parfois l'insulte, mais je la préfère au non-dit nébuleux de certains de mes lecteurs.
2. Tout le monde parle de politique à un moment donné ou à un autre. Seulement, tout le monde n'exprime pas forcément son opinion personnelle. Ce que je me permets. La politique a trop d'impact sur notre quotidien pour être laissée comme l'apanage des seuls praticiens. A voir le profil de politiciens chez nous comme ailleurs, on dirait que n'importe qui peut devenir politicien. Si Hollande a fait l'ENA, Mme Angela Merkel est physicienne de formation. D'autres sont militaires, commerçants, enseignants, juristes, etc. C'est un choix qu'on fait à un moment de sa vie. Le jour où je chercherai à m'enrichir à tout prix comme Crésus, j'entrerai en politique. Pour dire que ce n'est pas ma vocation. Mais j'ai du respect pour ceux qui y réussissent... mani pulite.
3. Quant à ma déclaration que tu juges inepte, je crois que la réflexion est un droit à revendiquer dans tous les domaines où s'exerce le bon sens. Ce droit-là, aucun roi ni prince ne peut me le nier. Je le prends de ma propre initiative dans le strict respect des lois qui régissent le monde.
4. Comme toute opinion, elle possède des avantages et des désavantages. Cela peut se discuter. Et je suis ouvert au débat sans forcement m'emporter contre celui qui soutient une opinion différente de la mienne. J'affirme et confirme que, quoique pensent nos acteurs politiques, la paix en RDC passe par une solution à la fois diplomatique et militaire. Les Latins soutenaient: "Qui veut la paix prépare la guerre" Cet adage vieux de plus de vingt siècles vaut même pour notre pays actuel.
5. Enfin, il ne s'agit pas d'être plus avisé ni intelligent que les acteurs politiques, mais il s'agit d'un débat. A quoi servent les conseillers ou "conseilleurs" qui sillonnent nuit et jour les couloirs des ministères et ambassades sinon à livrer aux autorités une vision judicieuse des événements? A quoi servent les services de renseignements sinon à cibler les informations d'une façon experte et efficace? Juste pour dire que les politiciens ont besoin d'études et d'opinions censées les guider dans la prise des décisions. Si ce principe tient, alors accorde-moi le droit de dire ce que je pense même si ce n'est pas forcément original. Et mes opinions touchent à tous les domaines de la vie. Je m'accorde ce droit inaliénable, en tant que littéraire et enseignant.
Pour le reste, beh... à la prochaine!

C "

28 sept. 2012

La paix en RDC, quelle est la bonne solution?

Alors que la guerre sévit à l'est de la RDC, des gens passent leur temps à discuter si la bonne solution serait militaire ou diplomatique. Il ne faudrait à mon avis pas séparer les deux solutions, elles sont liées. En fait, insister sur la diplomatie revient à manifester une faiblesse face à l'ennemi. Il y a, curieusement, un manque flagrant de nationalisme. On ne peut que négocier en position de faiblesse lorsqu'on ne dispose pas d'une armée capable de défendre l'intégrité territoriale. Curieusement, je suis très surpris par la lourdeur de l'arsenal déployé pour restreindre les velléités de grèves, de marche. Pourquoi le pays se laisse si facilement infiltrer par des insurgés soutenus par le Rwanda, l'Ouganda ou le Burundi alors même qu'il n'a qu'à former une armée dissuasive et crainte des voisins. Là est à mon avis le tendon d'Achille du pouvoir inauguré par Kabila Père. Personnellement, je m'étais déjà posé la question lors de mon passage d'avril 1998 à Kinshasa.
Nos services de sécurité et d'armée sont trop connus de nos voisins pour être vraiment efficaces. Comment voulez-vous gagner une guerre contre le Rwanda lorsqu'on sait que James Kabarere a été le maître de l'armée congolaise à une époque donnée? Il en connaît trop les secrets et peut les utiliser à dessein. J'ai peut-être tort, mais je ne crois pas que la paix dépend du dialogue avec l'envahisseur. Notre avenir a été trop compromis par des alliances très confuses et obscurantistes dont très peu de Congolais connaissent les tenants et les aboutissants.
Souvenez-vous de la façon dont les G. Bush ont justifié leurs attaques de l'Irak. Le volet diplomatique mené par l'ONU n'a vraiment jamais pesé. La solution militaire a prévalu. Ce n'est certes pas un modèle. "If you want things to be done properly, just go it alone". La détermination y était, la motivation aussi, et les moyens mis à disposition.
Bref, il faut une solution diplomatique absolument appuyée par une solution militaire. On ne peut chasser l'envahisseur armé de mitraillettes et d'armes lourdes avec des machettes ou des fusils de chasse. En tout état de cause, il faut absolument une armée disciplinée, digne et correspondante à la mesure du pays. Le reste, c'est du blablabla. Le problème de notre pays, c'est d'abord nous-mêmes, pas les Rwandais, qu'on se le dise. Respectons la terre et le sang de nos ancêtres, le reste blablabla.
 

Abbé Vincent Mulago: RIP

La mort le 23 septembre 2012 à Bukavu de Mr l'abbé Vincent Mulago laisse un vide non seulement dans le monde de la théologie et de la philosophie africaines, mais aussi dans le monde de la culture africaine. Voilà un prêtre qui a longtemps servi l'église catholique du Congo aussi bien aux facultés que dans son diocèse, un maître qui a formé de nombreux étudiants devenus plus tard ses collègues,  un homme de foi et de science dont la pensée marquera les générations futures. Son  livre pionnier Un visage africain du christianisme  demeure un classique incontournable que cet érudit pionnier de l'africanisation de l'église lègue à la postérité congolaise et africaine. Il est, à ma connaissance, le premier docteur en théologie de la RDC. Dans tous les cas un des tout premiers professeurs noirs engagés à l'université Louvanium. Tout élève congolais qui a reçu des notions de philosophie au secondaire doit avoir entendu parler de Mulago, à côté de Tempels, Kagamé, et d'autres.
J'ai eu le privilège de rencontrer l'abbé Mulago à quelques reprises. A Rome comme à Kinshasa. La dernière fois fut un peu dramatique. En 1985, accompagnant dans un minibus un groupe de visiteurs suisses vers Kikwit, il avait prévu de s'arrêter quelque temps à la procure de Kenge pour un raffraichissement, mais le service du centre interdiocésain n'a pas transmis le message à l'abbé procureur Tryphon Ilenda. Comme je me trouvais par hasard sur le lieu, on s'est débrouillé tant bien que mal.
Puisse le Seigneur lui accorder le repos éternel mérité par ce pionnier de la recherche africaine!


PS: Je viens de lire l'éloge appuyé de l'abbé Mugaruka sur le site de l'archidiocèse de Kinshasa, dans lequel je retrouve quelques expressions que j'ai utilisées spontanément. Ce qui suggère une unanimité autour de l'homme, du prêtre et de l'homme de culture qu'est l'abbé Mulago. Paix à son âme encore une fois! CM

27 sept. 2012

A propos de "LS Senghor et l'universel"

La prestigieuse revue Diogène fondée par le mythologue Roger Caillois et publiée par le conseil international de la philosophie et des sciences humaines a édité un article de moi intitulé "Léopold Sédar Senghor et la civilisation de l'universel" dans sa livraison No 235-236 de juillet-Octobre 2011. Et curieusement je lis à la fin de l'article: "Traduit de l'anglais oar Jeanne Delbaere-Garant". Surpris, je me demande ce que cette traductrice a pu bien faire sur deux textes concomittamment soumis, l'un en anglais et l'autre en français aussitôt que j'ai appris que la version finale serait en français. En effet, l'original de ce texte était présenté en français le 20 mars 2006  en réponse à une invitation de l'Alliance française de Castries, St Lucie. J'ai parcouru le texte publié et y ai remarqué quelque deux ou trois retouches auxquelles je ne me reconnais pas et ne saurais m'identifier. Bien que le texte reprenne intégralement mes idées, mes phrases et le résultat de mes recherches, j'estime que cette doublure inutile gène sensiblement mon intégrité académique.
Pour la petite histoire, c'est cette intervention qui a inspiré la tenue à Cave Hill des colloques organisés presque tous les deux ans par notre département.

25 sept. 2012

Merci à toutes et à tous pour votre soutien

Un mois après la mort de ma mère, je me sens redevable envers beaucoup de personnes chères et aimantes qui m'ont témoigné, à moi, à ma famille restreinte et étendue, de beaucoup de générosité, de bienveillance, d'amour et de sympathie. Tous les gestes posés - matériels, moraux et spirituels - sont allés droit au coeur. Que c'est merveilleux de se retrouver au coeur de tant d'amour. La mort de ma mère - paix à son âme - m'a appris beaucoup de choses. Entre autres.
1. Tout est don de Dieu. Je le répète: chaque jour passé avec ses parents doit être célébré comme une bénédiction. Je soutiens cette idée depuis des années, depuis que la mort fait partie de ma vie consciente. Mes enfants ont pu jouir d'un mois avec leur grand-mère, juste trois semaines avant sa mort. On aurait dit qu'elle a attendu de les voir pour mourir.
2. La famille est le moteur de tout. Ma famille restreinte et étendue s'est unaniment réunie autour du corps de ma mère. Comme je l'ai dit à la messe, elle a été mère, grand-mère, tante, cousine, soeur, nièce, amie de beaucoup de personnes. Toute la famille a déployé un effort considérable pour que la veillée et l'enterrement se passent décemment. A la messe, le prédicateur l'a appelée "mère des ecclésiastiques". Combien de mes ami(e)s ont été reçu(e)s par Maman, ont goûté de sa cuisine, ont dormi chez elle! Quelle grâce!
3. L'amitié est une vertu. "Un ami fidèle est un puissant soutien, qui l'a trouvé a trouvé un trésor" dit l'Ecclésiaste. Que des signes d'amitié m'ont entouré, moi et les miens, en ces jours douloureux. Jusqu'à ce jour, mes amis se soucient de moi, m'écrivent ou m'appellent juste pour demander comment je vais. Que des dons reçus à cette occasion! D'autres promettent encore d'apporter une contribution quelconque. S'il est une chose que j'admire, c'est la fidélité dans l'amitié.
4. Dire merci! Merci à vous toutes et à tous, membres de ma famille, parents, ami(e)s, connaissances et autres sympathisants pour tant de prévenance, de bonté et de gentillesse. Vos prières, vos messages de condoléances et votre présence spirituelle nous ont été d'un très grand réconfort. Au nom de mes oncles et tantes, frères et soeurs, cousins et cousines, neveux et nièces, beaux-frères et belles-soeurs, et autres proches parents, je dis merci à toutes et à tous.
Puisse le Seigneur vous combler de ses grâces et de ses bénédictions!










 

20 sept. 2012

"Mukoso Oyé". Juste pour rire

Octobre 1982. Nous sommes à la Procure de Kenge, Iere Rue 200, Limeté. Les évêques du Zaïre, comme le pays s'appelait à l'époque, s'apprêtent à se rendre à Rome pour une visite ad limina. A cette occasion, chaque évêque présente un rapport dit quinquennal au Saint-Père. Avec Mgr M'Sanda de Kenge s'y trouvent également logés Mgr Faustin Ngabu de Goma et Mgr Alexandre Mbuka-Nzundu de Kikwit. Peu avant le départ pour Ndjili, l'abbé secrétaire-chancelier Ferdinand Mukoso aide le prélat à fermer sa valise surchargée. La besogne s'avère ardue. Je suis appelé à la rescousse. A ma grande surprise, j'entends Mgr Nzundu mener l'opération exactement comme font les ouvriers pour déplacer une très lourde charge. "Mukoso Oyé", lance-t-il. Nous répondons spontanément "Oyé". A force de répéter "Mukoso Oyé", nous parvenons, lentement mais sûrement, à boucler le précieux coffre-fort. Paix à leurs âmes! Seul témoin, je me souviens comme d'hier de cet épisode unique de leur vie.
 

18 sept. 2012

Facebook, Skype ou E-Communication

Les communications ont connu un développement spectaculaire les trente dernières années. Pendant tout le temps que j'ai passé à Rome de septembre 79 à août 82, je n'avais appelé le Congo qui s'appelait Zaïre à l'époque qu'une seule fois. C'était pour régler une affaire urgente avec le Frère Simon Van Steen, procureur de Kenge. Impensable de parler d'une communication avec l'intérieur du pays. On voyait déjà les Motorolla chez les agents de la sécurité. Nous le petit peuple, on écrivait des lettres; on envoyait des cassettes qu'on enregistrait. En cas d'urgence, on écrivait un télégramme. Le téléphone fixe est longtemps resté l'apanage d'une certaine classe sociale.
A mon retour en Suisse en 87, les choses ont changé légèrement. Il était possible d'appeler le Congo, mais il fallait une patience incroyable pour obtenir la ligne. Appeler le Congo était un cauchemar, hasardeux. On pouvait passer une journée sans réussir à le faire. Quelque fois, on pouvait obtenir la ligne dès la première tentative. Avec l'arrivée des fameuses radios-amateurs, ou des stations mobiles, s'est opérée une amélioration.
Que des fois j'ai reçu un appel depuis la Belgique: "Mr Mabana, un tel voudrait vous parler? Acceptez-vous de payer la facture de la communication?" Ainsi, j'ai pu parler avec mon père à Kenge par ce moyen. Là encore, il fallait compter avec l'assistance de Nkeyi qui travaillait au service de la phonie de la Sous-Région du Kwango. Cela a fonctionné jusqu'à la vulgarisation des cellulaires.
Un cellulaire était précieux, onéreux il y a quelques années. Mon premier GSM ou Handy m'a coûté les yeux de la tête. Djoma m'avait appelé alors que je me baignais au lac de Zürich, je ne l'oublierai jamais. C'était en août 1998. Comme le temps passe vite.
Aujoud'hui, on n'écrit plus de lettres, mais des emails, des SMS, des texto. La poste reste pour les documents officiels et les factures de courant, eau, téléphone, etc. On n'envoie plus l'argent par porteur. Western Union, Moneygram et d'autres agences distribuent l'argent dans les cinq minutes à tous les coins du monde. Il suffit de décider d'appeler n'importe quel coin du monde, on a la ligne pourvu qu'on ait un cellulaire. Tout cela à un prix abordable. Le monde a totalement changé.
Au deuil de ma mère, des gens sont venus du fin fond des forêts de Tsay, Mbakadi, des villages de Mutoni, Kimwela, Kimbau, Kinzau, des cités de Kenge, etc., voire de la Barbade et d'Angleterre grâce à la magie de la communication phonique, grâce aux emails. Des amis ont été informés aux US, en Belgique, en Angola, en Irlande, en Angleterre, en France, Suisse, Allemagne, Inde et certains ont apporté une contribution financière consistante à ce deuil grâce à la nouvelle technologie qui règne dans le monde. Certains ont simplement recouru à Facebook, à Skype, Callserve, MSN Messenger, pour participer à ce deuil.
Facebook, Twitter, Skype, constituent une véritable fenêtre sur le monde. Cela a aussi un prix. Adieu à la vie privée, au secret. Tout le monde peut lire tout. Une culture sans secret ni intimité est cultivée désormais avec ces nouvelles technologies. Imaginez l'énormité des banques de données dont disposent Facebook, Yahoo, Google, Hotmail et d'autres moteurs de service ou de recherche, sur les individus. Quelles pistes pour les services d'investigations de tous genres! Quelle aubaine pour les affaires honnêtes et sombres! On n'a plus qu'à lancer le nom de quelqu'un sur Google pour le découvrir.
Cette culture n'obéit plus qu'au rythme de la vitesse et du résultat vite obtenu. La patience est éradiquée. Le texte de mon blog est traduit en chinois ou en kurde au moment même où je l'écris. Si vous en doutez, ouvrez illico Blogger Translator ou Uebersetzer. Dans quelques années, le métier d'enseignant debout va disparaître des écoles à tous les niveaux. Oracle, Moodle et d'autres moteurs créeront des smartboards, des classes virtuelles à distance pour éliminer le professeur. Tout est désormais précédé de e-: e-mail, e-book, e-booking, e-bible, e-learning, e-publishing. Les e-journals ou e-revues abondent, remettant en cause la notion d'auteur et de droits d'auteur. Les foires aux jobs sont disponibles moyennant paiement pour y avoir accès ou souscrire à un abonnement. Vous pouvez payer vos factures sans vous déplacer de votre maison. Vous pouvez tout télécharger, écouter la musique sans devoir acheter un CD ou un DVD. C'est l'e-communication.
Vous voulez vivre à l'heure de l'Internet, ajoutez donc des e- partout. Le vocabulaire français a également changé: cyber-café, internet-network, e-reading, cours en ligne, telebanking, téléchargement, travail en ligne.
A quand votre e-repas? Attendez voir!

16 sept. 2012

Un blog nécrologique?

"Claver,
Ton blog est devenu très triste comme un bulletin nécrologique. Rien ne fait plus rire. Tout est triste. On dirait que tu prends plaisir à accumuler les nouvelles des morts. Fais attention à toi-même...."
(Email du 15.09.2012)

Merci cher ami,

1. J'affirme toujours que la mort fait partie de la vie, de ma vie. Les derniers événements le prouvent une fois de plus. Que d'écrire sur la mort, que de cogiter là-dessus, que de rapporter mes derniers séjours au Congo, que d'effectuer des éloges funèbres, donnent encore un sens au devoir de mémoire.
2. Avec la mort de ma mère meurt également une partie de moi. C'est une porte ouverte vers la mort pour moi. Me voilà désormais comme sans protection devant l'inévitable issue fatale! Un processus inéluctable.
3. Un blog nécrologique? Tu as en partie raison, du moins pour le moment. Des jours meilleurs fourniront de meilleurs thèmes. Je n'écris dans ce blog que ce qui advient à ma vie, au sens le plus large. Comment réagirais-tu si je te disais que c'est une sorte d'exutoire thérapeutique? Une bonne matière pour Jean-Marie Matutu alias Diogène.
Bon dimanche!

C


 

15 sept. 2012

Décès de l'abbé Rigobert Yamba

15 septembre 2012. Je viens d'apprendre par un message email la mort de l'abbé Rigobert Yamba en Belgique. Paix à son âme! Rigobert fut mon élève au petit séminaire de Kalonda en 1978-79. Comme confrères, nous avons une fois concélébré une messe dominicale - ma toute dernière - au camp militaire de Kenge en août ou septembre 92.  J'ai gardé de lui le souvenir d'un prêtre ouvert, plein de vie et de zèle, travailleur et dévoué à son ministère. J'ai été informé de sa maladie, sans plus de détails; ma recherche de nouvelles le concernant est demeurée sans suite. Je m'associe de coeur à sa famille et à tous ceux qui le pleurent pour rendre grâce au Seigneur pour tant de merveilles qu'Il a accomplies à travers son travail apostolique.
Leke na mono, Rigobert, kwenda mbote, vanda na ngemba na kimfumu ya Tata Nzambi!
 

14 sept. 2012

La vie ne tient qu'à une corde chancelante

Qui a dit que la vie était éternelle? Rien de plus éphémère et volatile! Elle ne tient qu'à un fil toujours rongé au risque de se briser à chaque étirement. Elle ne tient qu'à une corde chancelante et érodée. C'est pourquoi, chaque jour vécu doit être célébré comme une bénédiction divine. Rien de plus.

Chrystelle et Claver: quel duo?

Cet après-midi, après l'école, les deux voulaient à tout prix qu'on s'arrête à une station d'essence pour qu'ils obtiennent de la crême-glace, tellement il faisait chaud. Entre-temps, Chrystelle a aussi souhaité qu'on aille aussi à Chefette, équivalent barbadien de McDonald. Leur mère de répondre: "On s'arrête aujourd'hui à la station, et tu iras à Chefette demain, toute seule." Chrystelle n'a pas entendu la fin de la phrase, alors que Claver l'a entendue. "Quoi? Chrystelle ira toute seule?" s'enquiert ce dernier. A ces mots, tous les deux se relaient pour un pleur commun et harmonisé. Ce qui fait rire les parents.
"Vous riez à nous? (sic) Vous riez tous les deux au lieu d'être tristes?", s'étonne Chrystelle. Imaginez la suite! 

11 sept. 2012

Abbé Henri Mukanym (1948-2012)

La mort de l'abbé Henri Mukanym prive le diocèse d'Idiofa d'un prêtre pieux, simple et généreux. C'est à Mayidi en 1977-78 que j'ai connu Henri, un aîné qui est devenu par la suite un ami. Cette année-là, il venait de terminer son deuxième cycle de philosophie à l'université de Lubumbashi et était envoyé au philosophat de Mayidi où les abbés tentaient de combler le vide laissé par les jésuites. Je terminais la philosophie, il ne m'a pas donné cours alors que son ami Ignace Matensi m'a enseigné la philosophie de la nature. J'entretenais cependant des rapports très fraternels avec lui. On jouait ensemble au football au terrain de Zunzi.
Lorsque je le retrouve en théologie à Rome, c'est un homme simple, serviable et ouvert que je découvre. Il me dévance d'une année, mais l'écart qui nous séparait à Mayidi n'existe plus. Il est condisciple avec mes copains de Mayidi: JC Akenda, JM Matutu, Gerard Nzuzi. Nous sommes tous étudiants. A ce titre,  nous sommes tous soumis à la même discipline au Collège Urbain et aux mêmes contraintes académiques à l'Urbaniana. J'aimais bien aller à sa chambre écouter de la musique, discuter ou prendre un verre avec lui. Enrico profitait de sa connaissance des quatre langues vernaculaires de la RDC pour s'intégrer dans n'importe quel groupe et s'informer de tout. Séminariste d'Idiofa (kikongo), né au Kasai (tshiluba), formé à Lubumbashi (swahili), il a su ajouter à sa liste le lingala comme tout Congolais. Et il était informé, voire très informé même des coulisses du Vatican.
Henri aimait les anecdotes. Que des fois je l'ai vu faire rire le Père Fumagalli, notre vénérable recteur du collège. Il a raconté une anecdote que je n'oublierai jamais. A l'issue d'une réunion du conseil presbytéral, un prêtre aurait exprimé son insatisfaction, disant: "Nous sommes mécontents, le peuple lélé et moi-même".
J'ai encore eu à le côtoyer régulièrement quand j'étais à l'évêché de Kenge pendant qu'il travaillait comme professeur au grand séminaire de Kalonda, avant d'en devenir le recteur. Plus d'une fois, il est venu participer à la messe chrismale à Kenge. Son ministère dans les environs de Kalonda a été remarqué. Une fois à Kinshasa, en 1983, alors qu'il conduisait le grand camion de Kalonda, un véhicule nous a cognés légèrement sans s'arrêter. C'était au croisement 6e rue - Boulevard Lumumba, on tournait à gauche depuis la Place commerciale. J'ai admiré son calme et sa maîtrise du volant. Personnellement, je n'avais rien senti.
En juillet 2003, aussitôt que j'avais appris qu'il était malade, je me suis rendu avec Clavère à son chevet à la procure d'Idiofa. L'abbé Ignace Matensi était présent. Notre brève rencontre était très émouvante. Formateur, pasteur et agent de l'église, Henri a travaillé dans la vigne du Seigneur avec zèle, fidélité et piété. Merci pour tant de dévouement!
Je peux avouer sans me tromper qu'Enrico a vécu sa longue maladie dans un esprit de foi, une abnégation et un calme exemplaires. Que le Seigneur l'accueille dans Son Royaume Eternel. De la lointaine Barbade, je m'unis volontiers à la prière et aux pleurs du diocèse d'Idiofa et de sa famille biologique.
Kwenda mbote, nduku na mono!

Barbade, 11 septembre 2012.
 

"La mort fait partie de la vie"

J'ai plusieurs fois entendu cette phrase et son autre équivalent: "La vie fait partie de la mort". Chacun y va de son tempérament optimiste, fataliste, cynique, stoïque ou sophiste. Mais les deux phrases ne peuvent pas être vraies, selon toute vraisemblance. La mort survient après la vie, c'est la fin de la vie. Vie et mort se repoussent mutuellement, radicalement. (Sauf chez les gens qui croient aux légendes et mythes). Certains soutiennent que la vie vient de la mort. Qui croire? Je ne voudrais pas toucher aux sensibilités religieuses de certaines personnes, moi catholique qui ai une connaissance assez avancée de la théologie et de la philosophie. Là n'est pas mon point.
En fait, ces deux phrases veulent dire une même chose et poursuivent une même fin. En fait, la mort aussi fatale soit-elle, s'affronte à un moment ou à un autre de la vie, lorsque ce n'est pas sa propre mort. Elles possèdent une vertu thérapeutique formidable chez le consolé, car elles permettent de relativiser la fatalité et la prépondérance de la vie.
Un ami m'a surpris: "Bienvenue au club des orphelins full, la mort est notre destin à tous".
Un nonagénaire me disait récemment: "Je n'ai pas peur de la mort. Dieu me connaît, il ne me reste qu'à ouvrir la dernière porte et à la franchir." N'est-ce pas une belle préparation à cet événement tant redouté?
Un autre, un frère laïc missionnaire svd, me disait autrefois: "Le jour de ma mort, fêtez, célébrez, surtout ne versez pas des larmes". Il suggérait même qu'on l'incinère. Il vit encore, et a fêté dernièrement ses 65 ans de vie religieuse.
Certains vous diront: "Mieux vaut mourir jeune, car on garde ses facultés, on n'est un poids pour personne." D'autres soutiennent: "Il faut mourir vieux, le plus âgé possible, quel que soit le fardeau que l'on fait porter aux siens. C'est la vie qui veut ça; c'est Dieu qui donne et reprend comme et quand il l'entend". D'autres souhaitent une vieillesse sans maladie, sans Alzheimer ni Parkinson, sans tension artérielle ni autres signes de sénilité.
Pour ma part, la mort bien qu'ayant fait partie de ma famille avant ma naissance, n'a pris forme qu'avec la mort de ma soeur Anne-Louise en juillet 1994. A cette époque, je vivais reclus dans mon coin d'Enney. Une amie d'origine angolaise été ma consolatrice, elle a versé des larmes à ma place car j'en étais incapable. J'étais perdu, hagard. Tout était remis en question. Que valait la vie? Que valait le diplôme auquel je sacrifiais tant d'énérgie? Dépité, découragé et effondré, j'en suis arrivé à douter de tout, à réaliser l'inanité de tout; j'en suis arrivé à un point où je devais tout lâcher, car plus rien n'avait de sens à mes yeux. Un peu comme Dalida: "la vie ne vaut plus la peine d'être vécue", mais sans aller jusqu'au suicide.  C'était incompréhensible pour moi que ma soeur, une si jeune femme, meure le jour même de ses vingt-neuf ans. Tout était devenu pareil. Pourquoi se démener tant si c'est pour retourner à la poussière après la recherche de tant de gloires vaines et d'honneurs insensés sur terre? Ce jour-là, j'ai tranché: je devais achever ma thèse à n'importe quel prix et la dédier à ma soeur pour rendre sa mémoire en quelque sorte "éternelle". Et deux semaines avant le colloque de thèse est décédée à Munich Mme Weingärtner, ma seconde mère qui m'a soutenu financièrement au cours de ce parcours de combattant. Paix à son âme!
De tout cela j'ai appris une chose: "La mort fait partie de la vie"... "partie de ma vie". Paix à l'âme de Maman!

 

8 sept. 2012

Encore des photos








A la veillée funèbre 2



Les rencontres des matanga sont des occasions pour observer les comportements des individus et se faire une idée des liens conflictuels et conviviaux entre les personnes présences.
Deux soeurs s'y pointent mais ne peuvent s'assoeir au même endroit. Surpris, j'invite l'aîné à faire le premier pas car la vie est trop courte et précieuse pour être gaspillée si vilement. Je suis entendu, j'attends la suite.
Une cousine, Bernade, que Maman a chassée de chez elle après que celle-ci l'a insultée a été priée par ma soeur Béatrice de déguerpir du lieu de la veillée. Je ne l'ai pas vue. Ici, les avis divergent. Certains jugent l'action de Béa inappropriée car chaque membre de famille a le droit inaliénable de pleurer un parent décédé. D'autres lui donnent raison, disant que ce serait hypocrite de pleurer quelqu'un qu'on a détesté ou injurié. Pour ma part, je n'étais pas d'accord avec Béatrice - mais je ne lui ai pas dit - car j'avais amorcé un processus de réconciliation en juillet qui n'a malheureusement pas eu de suite. Béa aurait dû écouter une autre voix au lieu de se laisser à la rancune. Par contre, la présence aux obsèques de Tante Zenzu a été très réconfortante.
Ne dit-on pas que les morts réconcilient la famille? Ces rencontres mettent à jour des alliances inattendues, qui défient la décence. Deux rivales peuvent se retrouver autour d'une même table sans se connaître, sans se reconnaître. Seul, l'auteur des dégâts se débrouille pour voiler les masques. Dans l'autre sens, on voit des unions se retisser autour de la personne morte. Bref, c'est un véritable miroir sur la société et les gens en conformité avec le visage réel, explicite ou implicite qu'ils reflètent.
D'autres y viennent pour d'autres buts. Les vendeurs à la criée y trouvent une clientèle acquise à leur cause. La vedette musicale y a pignon sur rue. Le taximan y a aussi son compte. Le politicien tient un agenda relatif aux échéances électorales, d'où le besoin de se faire voir. Et cela ne passe pas inapercçu. Le rodeur anonyme y vient voir, et peut-être tenter des croiser des personnages utiles ou intéressants. Tout cela s'y passe. Les gens entrent forcément en contact avec d'autres. Commerces et traffics de toutes sortes y ont lieu, sans qu'ils soient contrôlés, orchestrés. Le poète y puise une inspiration pour son élégie ou sa mélopée comme le peinture y perçoit les lignes maîtresses de son futur chef-d'oeuvre.
Des mariages s'y font et s'y disloquent, disent encore certains. Comme pour dire que tout y est, tout s'y passe, et tout s'y vit. La douleur, la consolation comme la peine devant la dureté de coeur des humains.

 

A la veillée funèbre 1


Les matanga au Congo sont l'occasion de rencontre entre vieux copains, entre membres de famille qui ne se voient guère ailleurs ou autrement, et entre des inconnus qui arrivent à s'approcher. On peut spéculer dans tous les sens. Pour un littéraire, c'est le lieu par excellence de percevoir le non-dit des discours, de juger les individus présents et de créer des scénarios inédits. Car comme disait Jean Roudaut, une rencontre de personnes permet à un écrivain de dévoiler des interférences relationnelles et psychiques insoupçonnées.
Dans la foule, il y avait des représentants politiques. Je cite M. François Lukanzu, un aîné que j'ai connu à Kalonda alors qu'il finissait à Kinzambi et que moi je commençais le petit séminaire. J'ai connu Papa Lukanzu; l'abbé Marc est un cadet que j'apprécie, tout comme le colonnel. Il représentait le gouverneur Kimbuta empêché. Il a retissé par cette présence les liens indéfectibles qui me liaient à Louise, Ya José, et surtout à mon ami Lazarre. La présence de M. Lukanzu à la veillée comme à la messe a été très discrète. Chapeau! Merci Mbuta.
Etait aussi présent à la veillée le frère d'un autre politicien, lui absent du pays. Il s'est empressé de me recommander de rencontrer l'illustre en Europe sur ma route vers chez moi. Je n'ai pas osé lui avouer que je n'ai jamais vu le monsieur depuis qu'il est entré en politique; et que je ne voyais pas pourquoi je devrais le rencontrer maintenant.
Il y avait également trois maîtres, un conseiller judiciaire et un OPJ. Des avocats du barreau de Kinshasa. Ces gens-là, lorsque vous les croisez, parlent toujours d'un procès en cours ou dont ils ont la charge. Une sorte de pédantisme inaliénable. Mais cette fois, c'était différent. J'ai surpris le premier - Paulin Kiosi, le frère de Séraphin - lorsque j'ai vivement admiré l'auteur d'une escroquerie dont a été victime un avocat de rénommée internationale. Le second, Rigobert Nzundu, est un cousin germain, ancien condisciple d'écoles primaire et secondaire. Il est demeuré très discret, réservé et courtois.
Le troisième, je préfère taire son nom, était la catastrophe même. Trop bavard, vantard, bâtisseur d'une maison à trois niveaux Dieu seul sait au prix de quelles combines - car la situation d'un avocat dépend de sa clientèle - ce volubile parleur m'a intrigué au plus haut point. En deux minutes, on savait tout de lui. N'éprouvant aucun égard pour les abbés qui étaient à côté de moi, il tenait à attirer l'attention sur lui et sur sa réussite dans les affaires. Je n'ai perçu aucune sympathie dans ses propos ni dans ses attitudes, Dieu me pardonne. Il était là du moins, pouvait-il en être autrement? N'a-t-il pas jeune bénéficié de la générosité de ma mère? Curieusement, il demandait à tout le monde de lui offrir une bière comme le dernier des mendiants. Sans se gêner, il est allé jusqu'à ramener l'abbé Ghislain et Grégoire Munongo au kiosk pour se faire offrir à boire. Ce à quoi j'ai réagi, assez rudement. Lui-même n'a dépensé aucun sou. Il n'a versé aucune contribution au deuil; du moins je n'ai rien vu sur les listes officieuse et officielle. Quel personnage sinistre et quelle piètre figure! Adrienne m'a dit qu'il n'est pas normal. Maman, pardonne-moi!
J'y reviendrai.


7 sept. 2012

Photos du deuil de Maman (31.8.2012)









Perdre sa mère, une tragédie?

C'est comme cela que j'ai pris cette nouvelle, lorsqu'elle m'a été annoncée. Comme une défaite personnelle après tous les moyens que nous avons mis en oeuvre pour l'aider à vivre et à se soigner décemment. Lorsque nous l'avons quittée le 29 juillet 2012, elle était en pleine forme. Rien ne laissait présager une fin si proche. Je n'y ai pas cru. C'est cela que j'ai appelé ma tragédie. Quelle tragédie? Familles, collègues et ami(e)s se sont empressés de me consoler, chacun insistant sur l'un ou l'autre aspects de la vie, sur l'une ou l'autre qualités de maman. Tout cela fait partie d'un processus de deuil, voire d'une liturgie de guérison intérieure. Le processus peut être long, infiniment long.
Pour certains, l'heure a largement sonné: elle a vu ses grands-enfants venus de la lointaine Barbade, il était temps qu'elle parte, ayant accompli sa mission. Pour d'autres, nous nous sommes allés par les apparences trompeuses d'une santé précaire, sans nous apercevoir qu'elle était rongée par la maladie. Bref, chacun y est allé de son commentaire. Je n'ai rien su dire à ma soeur Béa lorsqu'elle m'a demandé: "De quoi est décédée Maman?" Peut-être ce restera l'énigme de sa vie.
Est-ce le moment de se dire qu'on traverse une tragédie? Je ne crois pas. C'est le moment de célébrer la vie. Mes enfants jumeaux me le rappellent tous les jours: "Koko has died for life" ou "Koko est morte pour la vie". C'est sans aucun doute une formule apprise à l'école catholique, mais qui a un sens profond, surtout venant des enfants, les portes-paroles des ancêtres morts et de Dieu.
Morte de corps, ma mère est encore là en âme, en esprit. Je la revois sur les videos que je lui ai faites et que je garde précieusement.
Aujourd'hui, plus que jamais, je la sens plus proche et j'apprécie la vie qu'elle m'a transmise avec une acuïté indescriptible. Je suis plus que jamais solidaire des mes frères et soeurs au sens le plus large, car elle s'est révélée être la mère et la grand-mère d'une grande congrégation humaine. Elle a su briser les barrières de la haine, de la division et de la rancoeur entre ses enfants biologiques et spirituels.
La mort d'une mère ne peut être vécue comme une tragédie que par manque de foi et d'amour. Elle nous ouvre grande la porte de l'amour sans retour, de la fraternité sans égoïsme et de la paix entre hommes et femmes de notre monde immédiat.
J'en suis encore à me demander pourquoi elle ne m'a rien dit, pourquoi elle ne m'a pas révélé le sens profond des gestes qu'elle a posés lors de notre dernière rencontre à Masina, à Mbudi. Je n'ai pas eu le temps de lui dire au revoir; c'est pourquoi elle m'a si vite rappelé à Kinshasa peut-être. Wenda mboti mama!

6 sept. 2012

Une leçon de discrétion

Dans son homélie à l'occasion de la messe funéraire de Maman Christine, le père Séraphin Kiosi a insisté sur une qualité que possédait ma mère: la discrétion. Je crois qu'il a eu raison de le souligner. Pendant sa vie, j'ai observé qu'elle ne parlait pas beaucoup en général, mais se contentait de l'essentiel. Plus d'une fois, je l'ai vu me rappeler au pardon et à l'humilité. Sa discrétion était telle que mon épouse a été amenée à dire. "Si quelqu'un a des problèmes avec Maman, c'est que c'est lui qui est mauvais. Elle incarne la serénité et la douceur même"
Sa discrétion résidait surtout dans son silence, sa réserve. Elle répondait plus qu'elle n'interrogeait en général. Femme de caractère, elle savait voiler ses déconvenues d'une façon exemplaires. Sa joie a été de voir ses enfants grandir dans la sagesse et la foi chrétienne. Face à mon père, un homme bouillant qui ne craignait jamais l'adversité ni l'affrontement, ma mère est demeurée conciliante, positive, égale à elle-même. Cinquante-cinq ans de vie matrimoniale ne lui ont pas ôté le sourire, la bonne humeur ni le sens d'accueil. Maman savait garder inviolés les secrets lui confiés.
Dernièrement, elle a contourné ma décision de priver une pièce wax à une cousine, sa nièce très parasite à mes yeux, en récupérant le reste des habits pour son propre compte. Elle a donc donné l'habit à cette cousine en la priant de se taire. J'étais énervé, mais j'ai compris: elle était jusque là la seule autorisée à suspendre mes décisions. Elle tenait à garder sa famille unie et aimante.
Ses apparitions silencieuses au salon lors de mes rentrées tardives constituent à mon sens une leçon d'humilité et de discrétion. Et cette discrétion s'est manifestée même dans sa façon de mourir.
Elle était debout au centre médical, est montée sans aide dans le taxi qui l'a conduite au laboratoire, en est sortie elle-même. Peu de temps après, elle a rendu l'âme pendant que sa fille Pascaline achevait les formalités de l'échographie exigée par le médecin. Sans tambours ni trompettes! Elle s'est endormie dans le silence de son coeur, sans alerter sa fille. Elle a affronté la mort, seule et sans déranger la quiétude de qui que ce soit. Réservée même dans la mort, elle est demeurée sans parole pour tirer sa révérence.
"Mambu yonso mene lunga", s'est écrié le Christ avant sa mort.
 

Un don que j'ai reçu de ma mère

La vie certes, mais bien plus les valeurs humaines. Maman était une femme sage et intelligente; elle avait surtout une mémoire impressionnante. Elle retenait des choses dont personne ne se souvient. Dans une certaine mesure, tous ses enfants en ont hérité. Moi aussi.
Maman savait identifier les gens, situer les événements avec une précision presque parfaite. Elle maîtrisait les ramifications familiales mieux que quiconque dans son entourage. Elle retraçait les histoires des clans et des gens comme un véritable conteur ou griot d'Afrique occidentale. Ne lui manquait que le korah ou le djembe. Papa fut le premier à s'émerveiller de ce don.
Cette mémoire des choses, des événements et des dates qui fait ma fierté auprès de mes amis et collègues, j'affirme l'avoir recue de ma mère. Cette mémoire a fait de moi un bon élève en langues: latin, grec, anglais, hébreu, allemand, italien, français. Quoi que l'on dise ou pense, le don littéraire dont jouissent les miens est en grande partie lié à notre ascendance maternelle.
Je me souviens aisément des phrases, des mots, des noms, des blagues, des événements oubliés de la plupart de mon entourage immédiat. Je peux reproduire presque mot à mot une interview de quelqu'un. Ce que j'ai fait avec Césaire. Séraphin ne se souvient pas que je l'ai rencontré pour la première fois le 2 septembre 1969 à Kalonda. Certains souvenirs sont devenus vagues, mais encore consistants dans ma tête. Je me souviens du visage de mon grand-père Mangombo mort pourtant alors que je n'avais pas encore trois ans. Ma mémoire remonte au temps où nous n'étions qu'à deux: Béa et moi. Je me souviens des naissances de Rigo, Pascaline et Anne Louise. Je me souviens d'une homélie en kisuku du Père Everard faite en août 1970 à Mutoni. Je me souviens de la première phrase que j'ai entendue sortir de la bouche de l'abbé Dieudonné M'Sanda. Voire du passage d'Albert Delvaux à Kimbau en 1967. A l'enterrement de ma mère, j'ai rappelé au Dr Frank Mayengo une chanson qu'il avait créée de toutes pièces contre son ami Ignace Mbanza en juillet 1967 alors qu'il jouait au football dans la concession familiale de la rue Inongo à Kenge avec Philémon Kayolo, Théophile Mbemba. J'avais fait leur gardien.
Je peux imiter les pas de danse de  Jean-Marie Matutu... lorsqu'il veut animer une soirée. J'ai remarqué un raffinement des gestes entre Mayidi, Rome et Grey Doiceau. Je suis sensible à quelques subtilités inaperçues des communs des mortels. Tout cela, je le dois certes à Dieu, mais par l'entremise de ma mère biologique.
Maman était une personne de paix; je ne suis pas sûr d'être un pacifique. J'ai tendance à imposer mes idées plutôt qu'à écouter et accepter celles des miens et des collègues. Elle était conciliante; je sais négocier quelques situations difficiles mais je suis un peu trop intransigeant dans mes jugements pour être juste et droit envers tous.
Elle se maîtrisait; je suis plutôt impulsif, brutal, primaire, colérique. Le fils de mon père quoi! C'est assurément cet écart et cette synthèse qui font mon identité. Mère, merci d'avoir cultivé en moi l'amour des autres depuis ma tendre enfance! Sa mémoire était plus forte que la mienne; elle savait plus de choses que moi malgré mes connaissances livresques.
 

"Que ta volonté soit faite, Seigneur"


MESSE D’INHUMATION DE MAMAN CHRISTINE MATSASU
Mot de remerciement (1er septembre 2012)

« Que ta volonté soit faite, Seigneur »
Après une semaine de veillées diurnes et nocturnes en hommage à notre chère mère Maman Christine, il est venu le temps de l’inhumer. Je réalise seulement aujourd’hui combien je suis honoré d’être le fils aîné de la femme chrétienne que nous pleurons dans cette église et dont je porte le sang jusqu’à la fin de mes jours. Je parle au nom des enfants et de la famille restreinte et étendue.
Notre première gratitude va au Seigneur Dieu, Père Tout-Puissant, notre Créateur pour nous avoir donné la vie que nous célébrons en ce jour, pour nous avoir donné Maman Christine, une femme modèle, une sœur, cousine, mère, grand-mère, tante, nièce, marraine exemplaire en termes de générosité, d’amour, d’humilité et de discrétion. Lorsque je lui ai amené en Juillet mes jumeaux, ses petits-enfants barbadiens, elle n’a cessé de me montrer que et combien je demeure son fils, son petit bébé de 55 ans. Merci pour tant d' amour, Maman. Chaque jour passé avec toi a été une bénédiction, je le pensais, je le crois aujourd’hui.
Je l’avais pourtant mise en garde. Maman, il ne faut surtout pas faire le vieux Siméon: “Maintenant, o Maître, tu peux laisser ton serviteur aller en paix selon ta parole."
Les remerciements de notre famille vont à l’endroit de vous tous ici présents, prêtres et agents de l’église, frères et sœurs, parents, amis et connaissances qui nous avez soutenus par vos prières, par vos offrandes et dons, par votre présence ou par vos mots d’encouragement et de solidarité. Des gestes qui nous vont droit au cœur. Puisse le Seigneur qui connaît vos cœurs vous en récompenser. Ainsi soit-il.

(Texte prononcé en lingala en l'église Mama Boboto à Masina)

 

Maman Christine Matsasu Kayengo (1937-2012)


Maman Christine KAYENGO MATSASU (1937-2012)

« Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel »
1937 :  Naissance à Kabengo, fille de Mangombo et Mususu
Grande sœur : Mvindu
Frères cadets : Tsakala Pilamosi et Ngoy Kwangu
1948 : Ecole primaire à Kimbau chez sa tante Adèle Kasodi et son oncle Sylvain Mayengo
Elle a comme condisciples d’école : Maman Véronique Mbombo (qui la suit de deux ans), Maman Kikwanga, etc.
1950 : Baptême catholique à la MC Kimbau
1953 : Mariage avec Donatien MABANA à la MC Kimbau (17 avril 1953)
1955 :  Naissance d’un premier fils mort à la naissance
1957 :  Naissance à Kimbau de son premier fils vivant : Miledi mia Khatu, Claver (29.4)
1959 : Naissance de sa première fille : Béatrice Musunda (12 juillet)
1959 : Mutation au Poste scolaire de Kabwita
1961 : Naissance de son troisième enfant : Rigobert, Mangombo Kisalu ba Kaba (21.7)
1963: Naissance de Pascaline Nduka (19 juin)
1963-1964 : Mutation au poste scolaire de Mutoni, puis Makiosi: Claver entre en 1ere année
1965 : Naissance à Kenge I d'Anne-Louise  (25 Juillet)
1965-1967 : Séjour à Kinshasa où Papa Mabana suit une formation au CNP (Centre national de perfectionnement)
1967 : Retour à Makiosi, via Kenge I où naît Donatien (17 mai)
1967-1969: Papa Mabana directeur de l’école primaire catholique de la MC Kimbau
1969: Naissance de Victorine Kalongo (26 avril)
1969-1977 : Mutoni-Toy, Papa Mabana directeur de l’école primaire Tho-Mamba
1971: Naissance de sa dernière fille, Trinité Koka (21 février)
1974 : Naissance de son dernier fils, Khoso Nicolas (23 avril)
1977-1979 : Papa Mabana entre dans l’enseignement officiel : Kenge I, EP Makiala
1979-   Mutation pour l'EP Mikao, déplacée plus tard à Ngungu-Thambu
1983: Ordination sacerdotale de Claver Mabana à Kenge I (7 août)
23 juillet 2003 : Célébration du cinquantenaire de leur mariage à Kinshasa
2004 :  Installation de la famille à Kinshasa: Bagata 122, Masina, Q. III.
26 septembre 2007 :   Mort à Kinshasa de Papa Mabana
23 août 2012 : Mort de Maman Matsasu à Kinshasa
1er septembre 2012: Inhumation à Mikonga
 

Deuil à Kinshasa: du 28.8 au 3.9.2012

28 août 2012 - Arrivée à Kinshasa par un vol de Kenya Airways depuis Nairobi via Brazzaville. Les formalités se sont déroulées rapidement, un agent du DGM m'ayant facilité la tâche. Il est presque midi lorsque je sors de l'aérogare. Ma cousine Adrienne Kayolo éplorée est là, Mbuta Clément Bwangi aussi. Direction Limete où je prends mes pénates chez les pères serviteurs de la charité. Autour de 15h, je me rends à Masina, au lieu du matanga.

Moment très émouvant. Je suis reçu par des pleurs des miens: frères, soeurs, cousins, oncles, tantes, cousines, nièces et neveux. Je constate: l'absente. Ma mère. Je ne crois pas mes yeux car je revois ses habits portés par une cousine ou une tante. L'absente, ma mère a élu domicile ailleurs: la morgue St Joseph à Limete. Je prends la décision de m'y rendre tout de suite, mais j'en suis dissuadé. Soit. Vers 18h arrive mon frère Nicolas qui vit à Birmingham sur le lieu. L'émotion est encore plus vive, les pleurs recommencent. Je vois tout comme dans un film, mais c'est la réalité: Maman n'est plus de ce monde. Vers 23h, nous quittons la rue Bagata pour Limeté. Un cousin nous y conduit.

29 août 2012 - Je me sens encore très fatigué. Je décide de rester en chambre plutôt que d'aller aussitôt à Masina. Nous rejoint chez les missionnaires l'oncle Dieudonné Bunda, le dernier frère de mon père. On attendait de le rencontrer plutôt à Masina. Il nous fait un compte-rendu, son compte-rendu sur la mort de Maman. J'insiste sur la discipline et l'ordre qui doivent marquer l'enterrement de Maman, sur le fait que l'argent récolté soit utilisé effectivement pour le matanga et non à l'avantage de quelques vautours profiteurs de tels genres d'événements. On se donne rendez-vous à Masina, le soir.
Je passe la journée à faire des coups de fil et à informer quelques amis et autres proches de ma présence à Kinshasa. La levée du corps est décidée pour le vendredi, et l'inhumation le samedi 1er septembre 2012 à Mikonga, près de l'aéroport.
Adrienne me prend autour de 17h, mais nous nous retrouvons dans un embouteillage monstre sur Poids Lourd. Tout le monde s'en prend aux Chinois, responsables de la destruction des routes pour cause de réfection mais qui ne se soucient guère de créer des voies parallèles. Tout le monde s'en prend à la Francophonie, car les routes sont refaites pour servir à la tenue du sommet de la Francophonie en octobre. Cela nous a pris près de deux heures pour aller de Limeté à Masina, une distance qui normalement s'effectue en quinze-vingt minutes.
Au matanga, nous dressons un programme des événements et une distribution des responsabilités. Il faut nourrir les gens, payer les frais et les démarches pour l'inhumation, assurer la sécurité des biens et des personnes. Le compte est bon: la famille, les amis et autres connaissances ont apporté ou promis une contribution financière relativement importante. Adrienne est chargée des finances courantes tandis qu'à Papa Bunda revient la gestion des apports des "bokilos" (les belles-familles).
Je passe cette nuit à la vieillée avec les autres pleureurs, écoutant la musique funèbre de Bitshi-Bitschi, Kas Kasongo et autres Frères Patrice. Curieux, la présence catholique m'y paraît peu perceptible. Soit.

30 août 2012 - Retour à Limeté vers 7 heures pour quelques heures de repos. Nicolas et moi dormons quelques heures. Peut-on vraiment dormir dans ces conditions psychologiques? Arrive de nouveau Papa Bunda qu'on n'a pas vu à la veillée. On lui fait un petit compte-rendu de ce qui a été décidé. Il se rend à la morgue, sur le chemin de son boulot à l'école Malula. Je reçois quelques visiteurs impromptus. J'en ai congédie un, une dame dont je tais le nom, qui pensant qu'elle n'aurait pas l'occasion de m'aborder au matanga a préféré m'exposer son problème dans la discrétion de Limeté. Et malheureusement, comme toujours, son intention était de solliciter de l'aide financière pour démarrer son business de toute urgence, prétextant que je la néglige. Pour toute réponse, je l'ai priée de quitter les lieux, scandalisé que j'étais par l'indécence d'une telle attitude, par son égoïsme aveugle. Un peu plus tard, j'ai pris les moyens publics pour me rendre à Masina. A BKTF, je suis même monté sur une moto. J'ai tu l'événement car une jeep d'Adrienne était mise à notre disposition. Une bonne cinquantaine de personnes se trouvent sur les lieux. Le père Séraphin Kiosi et des abbés de Kenge Fidèle Pindy, Ghislain Mukanu et Oscar Lemfu sont là. Ils y restent jusque vers 21 heures. Tout se passe dans l'ordre. J'ai retrouvé des amis d'école primaire, des cousins et cousines, et d'autres... membres de famille venus de Kenge, Kimbau, Mutoni, Kabengo, Milombi, Kimwela-Kasu.
Vers 23h, je propose d'offrir de la boisson alcoolique et non-alcoolique aux veilleurs. Mes neveux se s'exécutent et nous rapporte quelques casiers. Ils connaissent le quartier, les gens et peuvent résoudre ce genre de problèmes à n'importe quel moment. Comme toutes les nuits, la musique yaka de Bitshi-Bitshi et Kas Kasongo est de la partie; et les gens ont dansé jusqu'à l'aube.
C'est vers minuit que je peux mettre quelque chose sous la dent. A-t-on jamais de l'appétit dans ces circonstances? Mes commensaux sont: Pascaline, Adrienne, Nicolas, Gabrielle et un neveu. Au menu: des mbinzo, du poisson, du makayabu avec du foufou et de la chikwangue. On a mangé dans une chambre, le salon étant occupé par les pleureuses. Dehors, oui, une fois. Le 29, parce qu'il n'y avait pas beaucoup de monde. On a donc veillé sans fermer l'oeil. Vers 6h du matin, nous repartons sur Limeté.

31 août 2012 - C'est la levée du corps. Un cousin et mes soeurs sont déjà sur les lieux pour assurer les formalités et veiller à ce que tout se passe comme prévu. J'ai différé mon arrivée à la morgue, car je ne voulais pas y entrer, traumatisé un peu par ce que m'avait Séraphin à ce sujet. J'ai donc décidé de voir le corps de Maman dans le cercueil au lieu de l'exposition. Vers 12h, Mbuta Clément est venu nous chercher et nous avons pu rejoindre le cortège à la sortie de l'hôpital St Joseph. Quel moment! Quelle émotion! Des taxi-bus 207 étaient mis à la disposition des personnes non véhiculées.
Dans le cafouillage habituel de Kinshasa, nous avons réussi à atteindre le terrain municipal de Masina sans trop de dégâts. Aussitôt, je suis allé m'incliner. La réalité, le spectre tant craint a pris un corps: Maman gisait dans le cerceuil. C'est la dernière image qui me reste d'élle. Je me suis levé plusieurs fois, pendant la veillée comme le jour suivant, pour la regarder. J'ai tenu à la graver dans ma tête, dans mon coeur, dans mes yeux, dans ma mémoire. Fils aîné, j'ai senti le poid du sang dans mes veines. Avec Maman, meurt une partie de moi, comme ce fut le cas avec Papa. Me voilà orphelin full, comme disent certains. Seul devant la vie, seul devant le destin, sans la protection de celle qui m'a mis au monde, allaité, nourri, lavé, appris les premiers usages de la vie, appris la prière, élevé, soigné, etc. Celle dont j'étais si fier de dire devant mes jumeaux: "Je suis le bébé de ma maman" à peine quelque quatre semaines auparavant. Celle que je tenais à protéger jusqu'à la fin de ses jours. Ce?lle à qui j'ai apporté les jumeaux pour qu'elle les voit, les touche, joue le kikhaka avec eux et que j'ai mise en garde: "Maman, ne fais pas le vieux Siméon." Voilà qu'elle n'a pas entendu mon cri intérieur, à défaut d'y voir un signe annonciateur de mort. Elle est partie, wendi kwandi mama! Akeyi na ye! Atiki biso bana etike!
Que c'est dur de perdre sa mère! Je n'aurais jamais imaginé que cette douleur était si pénible, si elle n'était décédée effectivement. Les paroles de consolation des parents et amis aident certes, mais la peine demeure entière, lancinante, et chacun la porte à sa manière. J'étais trop attaché à ma mère pour que son souvenir s'éfface si vite, que son sourire discret disparaisse de son visage que j'ai gravé dans mon coeur. Que le Seigneur m'entende et me console!

L'après-midi a été encore plus émouvant. On avait loué une chapelle ardente, 1000 chaises, 14 tentes; on a prévu la prévu de l'orchestre de Bitschi-Bitschi, Pierre Manwana. Des amis, cousins, tantes, connaissances, curieux rodeurs, sont venus de partout. Des collègues. Une dizaine de prêtres, une dizaine de soeurs. L'occasion de revoir Soeur Angélique Wolang, devenue entre-temps responsable chez les Salésiennes de la visitation. Des centaines de personnes ont répondu à notre invitation. Des parents et des gens venus de partout, des collègues et amis de Kimbau, Bandundu, Kenge, Kalonda, Mayidi, Fribourg, Kinshasa, des représentants de toutes nos couches relationnelles, les parents, amies et amies de nos parents, amies et amies, les parents, frères et soeurs de nos amies et amis, les protégées et protégés d'autrefois, comme des inconnus qui ont sans doute croisé Papa ou Maman quelque part, etc. Tout le monde était là, voire une tante paternelle réputée dure à son égard. Comme dans toute communauté humaine en pareilles circonstances, je dois hélas avouer que des petits incidents langagiers ou sociaux n'ont pas épargné cette congrégation funéraire.
La veillée a été une réussite. La performance de Bitschi-Bitschi a été formidable. Pierre Manwana et son groupe de chanteurs/ses et danseures/ses ont tenu le public en haleine jusqu'à l'aube. Ceux et celles qui pouvaient danser ou se trémousser à ce rythme n'y sont pas allés par quatre chemins. Et Pierre Manwana a plusieurs fois évoqué le nom de Maman Christine Matsasu, car en dernière analyse, ces chants étaient funéraires. "Tsikila mondo yadila matsakani malabuka nzadi ko" était le refrain d'un de leurs tubes. (Joue du xylophone pour que je pleure car les sons des maracasses ne traversent jamais la rivière).
MERCI à toutes et à tous pour tant de sollicitude, de présence réconfortante et surtout pour la prière en faveur du repos de la défunte. MERCI aux miens pour avoir assurer une organisation digne et efficace, car la famille s'est unie très solidement pour rendre hommage à cette femme dont je porte le sang et assure une certaine éternité biologique.

1er septembre 2012. Inhumation. Vers 5 heures du matin, il a été demandé aux gens de rentrer se raffraichir et se préparer pour la cérémonie du dépot de fleurs à 10h30 et de la messe à 11h30 à l'église Mama Boboto, située à quelque trois cents mètres du terrain municipal de Masina. Nicolas et moi sommes rentrés sur Limeté, pour un bref répit, avant de revenir sur les lieux. Le retour était assez cafouilleux: un embouteillage attendu entre Pont Matete et Pascal, mais alourdi par le passage du cortège présidentiel sur l'autre bande du boulevard. J'ai donc aperçu Joseph Kabila au volant de sa jeep Mercedes, vitres baissées, au niveau de Debonhomme. C'est vers 11h que nous avons atteint le stade municipal. Et la cérémonie de dépot de fleurs a commencé dès notre arrivée. Frédéric Kayolo, mon cousin, qui faisait le maître des cérémonies s'est brillamment acquitté de sa responsabilité, invitant les gens et rappelant à l'ordre.
Les "bakoko", grands-enfants de Maman ont fait disparaître le couvercle du cerceuil: ils exigeaient de l'argent avant de le remettre. C'est la tradition, semble-t-il. Ils prétendaient que leur "chérie" les a abandonnés. En effet, ils l'ont habillée, embellie pour la cérémonie, moyennant quelques dollars et se sont chargés de porter le cercueil jusqu'à l'église. Us d'un autre siècle, dira-t-on, mais un us pratiqué. Le déplacement vers l'église était rendu difficile par la présence innombrable de rodeurs qui n'avaient rien à faire avec notre deuil. La route étant commune, on s'y est accommodé.
La messe s'est déroulée dans une piété et un recueillement dignes d'une femme modeste et humble qui s'est dévouée corps et âme pour sa famille et les siens. Etaient à l'autel les abbés Fidèle Pindy, célébrant principal, Séraphin Kiosi, prédicateur, Robert Kutukenda, Oscar Lemfu, Noël Matonga et Ghislain Mukana, mon neveu. J'ai beaucoup aimé la prédication de Séraphin qui a relevé la simplicité de Maman, son sens d'accueil et sa vie de foi chrétienne. Félix Manzanza Wada s'est occupé des chants et Séraphin a présidé les absouts. Ghislain n'a pas retenu ses larmes. Pourquoi d'ailleurs devrait-il le retenir?
Après la messe, peu avant le transport du corps vers le cimetière de Mikonga, a eu lieu un moment intense de retrouvailles. J'ai revu des personnes que je n'avais pas saluées la nuit parmi le millier des gens venus rendre hommage à Maman. Comme si chacun tenait à marquer sa présence ou à se faire voir. Cela fait aussi partie de nos traditions. Trois bus 207 ont été mis à disposition pour ceux qui voulaient se rendre à Mikonga.
Pour les raffraichissements, un groupe devrait se retrouver sur Bagata, à la maison de Maman, notamment la famille restreinte. Et un autre groupe, plus grand, était attendu au Bar Chez Sébastien au Quartier I Ndjili, à deux pas du Boulevard.
Nous sommes donc partis pour Mikonga avec le corps, avons procédé à l'inhumation malgré quelques anicroches liées à la paperasse bureaucratique, dans l'intimité et la dignité. J'ai tenu à tout voir plutôt qu'à faire des photos, à graver tout cela dans mon coeur. Jusqu'au bout, ADIEU MAMAN. REJOINS PAPA. QUE LA TERRE DE NOS ANCETRES TE SOIT DOUCE ET SUAVE!

La rencontre Chez Sébastien s'est bien déroulée. Plus de deux cents personnes issues de toutes les couches sociales. J'ai vu Frédéric débordé, je l'ai encouragé à garder son calme. Il estimait que les frais seraient exorbitants, vu que certains invités ne suivaient pas l'ordre des commandes.
Après le Bar Chez Sébastien plein à craquer, j'ai décidé d'aller passer la nuit à Binza Pigeon voir mon beau-père, Papa Bernard Mosimi dont la santé est devenue fragile.

2 septembre 2012 - Faute de temps, j'ai failli à mon devoir dominical, me contentant de mes prières quotidiennes. Dès le réveil, je suis allé dans l'annexe où loge Papa Mosimi. Il a eu du mal à me reconnaître, mais il m'a recconnu dès que j'ai dit mon nom. Nous avons parlé de tout et de rien. On a bien ri avant que je reprenne ma route pour Limeté où nous sommes arrivés à 12h. Nicolas m'attendait. Le temps de mettre un peu d'ordre dans mes affaires, nous sommes montés à Masina où je devais dire adieu à toute la famille, écouter les rapports financiers et sociaux. Je n'y suis resté à Masina qu'une heure, car je devrais préparer mon voyage du lendemain. A la surprise générale, rien n'était prêt lorsque j'ai décidé de partir: ni nourriture, ni rapports, ni quoi que ce soit. Sur le chemin, j'ai croisé Adrienne, je l'ai priée d'exposer son rapport aux autres quitte à m'en réserver copie sur le net. J'avais besoin d'être seul, méditer, rassembler mes effets. Malgré cela, deux visiteurs se sont pointés à ma porte. Dans la soirée, je me suis rendu à un restaurant de la XVIe Rue, Congo Futur, pour un repas.

3 septembre 2012 - 6h: Départ pour Ndjili. Je cherche un cyber-café pour imprimer ma carte de vaccination oubliée à la Barbade que Clavère m'a scannée. Je voudrais également récupérer le numéro de l'abbé Albert Mundele que je tiens à rencontrer à Nairobi sur ma route pour Londres. Finalement, c'est à l'aéroport que je peux faire l'opération. Entre-temps, l'abbé Michel Ngob m'a texté le numéro d'Albert. Les formalités se passent sans problème, bien que nos agents soient toujours avides d'argent sous n'importe quel prétexte. Les agents de la santé ne sont nullement intéressés par la carte mais à leur coca, que je refuse de leur donner car je n'en vois pas l'importance. 10h45: Départ pour Nairobi. 17h: Arrivée à Nairobi. Albert est là, avec sa moustache légendaire digne d'une sculpture de Michel Ange. Comme il y a embouteillage, il préfère qu'on s'arrête à Airport View chez un ancien svd, Kama Kama. L'accueil est très cordial: le maître des céans est absent, Maman Francisca nous assure un cadre très confortable pour nos retrouvailles. On se console, on rit, on se souvient du passé, on parle de nos mamans vivantes et mortes, de nos parcours et de possibles collaborations futures, des amis, de nos expériences avec Mgr l'Evêque. Vers 21h, nous quittons les lieux pour l'aéroport. 24h - Cap sur Londres où j'atterris le 4 septembre à 6h00.

Ainsi s'est vécu le dernier voyage de MILEDI MIA KHATU à Kinshasa. Je posterai quelques images dès que possible.