30 sept. 2012

La culture du livre et de la lecture

Issus des cultures fondamentalement orales, il n'y a aucune honte à le reconnaître, nous n'avons pas une culture du livre ni de la lecture. Nous clamons haut et fort notre oralité primordiale, notre oraliture ou notre orature, des termes forgés pour marquer notre différence viscérale. Cela a pour conséquence que notre environnement culturel primaire ne nous expose pas au livre et nous conduit pas à faire du livre un élément essentiel de notre développement intellectuel et intégral. Un cliché à connotation raciste affirme que les Noirs ne lisent pas, dans les pays où ils cohabitent avec d'autres races. De là à réduire leurs chances de réussir sur le plan scolaire et académique, et donc sur le plan de la distribution professionnelle. Ceci explique-t-il cela?
 Lisez l'enquête du Prof. José Dianzungu dia Bianiakunu:

"Pr José Dianzungu: "95% d'étudiants n'ont jamais lu un seul livre depuis leur naissance!"
Dans une mini-enquête réalisée dans quelques universités de la RDC, notamment dans les universités de Luozi, de Mbanza-Ngungu, de Kimpese, de Kinshasa (ISP Gombe, UPN, UPC), le professeur à la retraite Dianzungu dia Biniakunu José, membre du Conseil d'administration de l'Université protestante au Congo (UPC) révèle que le niveau de l'enseignement en général en RDC est catastrophique. Selon ce spécialiste en statistiques, sur 100 étudiants interrogés, seulement moins de 5% ont lu un livre entier, tandis que les 95% autres n'ont jamais lu un seul livre depuis leur naissance ! " Quand j'ai rapporté ces résultats à mes amis professeurs de Suède, du Canada, des Etats-Unis avec qui je corresponds sur le niveau de l'enseignement supérieur et universitaire, ils m'ont dit : ''N'appelez pas ces gens des étudiants ; parce que pour nous, ils ne sont même pas des écoliers.''
(Source: Propos recueillis par Kléber Kungu, 21. .09.2012: www.radiocongonet.com)

1. Quelques anecdotes pour commencer. Il y a quelques années, un intellectuel congolais retournait au pays à la fin de ses études en Belgique ou aux Etats-Unis. Il avait tellement de livres qu'il était obligé d'en porter un bon nombre comme bagage à main. Ce qui a surpris ses compagnons de voyage: "Mais cet homme, dans quel monde vit-il? Il va manger des livres ou quoi?" Ayant entendu cela, il a simplement dit: "C'est tout ce que j'ai comme richesse, rien d'autre".
2. "Mémoire ihidi" Une maison brûle. Un jeune diplomé inconsolable surprend tout le village en pleurant: "Mémoire ihidi". C'est tout ce qu'il regrettait. "C'est quoi un mémoire? Est-ce que ça se mange? Pourquoi doit-il en faire un drame?", s'enquièrent les villageois.
3. Culture de l'écrit et du livre? Nous n'en avons pas. Retournez dans votre ancienne école primaire, et demandez de voir les archives de vos propres résultats. On vous dira, fièrement et sans sourciller, qu'elles ont été pillées. Un historien m'a raconté sa déception de voir partir en fumée des documents importants sur lesquels il travaillait. C'était à la chute du régime Mobutu.
4. Ne vous étonnez surtout pas de voir des cahiers, syllabus et livres servir d'emballage pour cacahuètes, beignets ou manioc au marché du coin ou au malewa (restaurant indigène) du quartier. Résultat: le niveau intellectuel est ce qu'il est.
5. J'ai déjà parlé de notre système scolaire. Ce que note le Prof Dianzungu ne me surprend pas. Le mal se trouve déjà à la racine. Des comportements que nous avons affichons aussi bien au niveau personnel que socio-culturel ou politique, il est clair que nous n'avons jamais décollé de l'arbitraire consubstantiel à notre tradition orale. L'écrit est dérisoire malgré ses apparences. Je ne pense pas aux lois qu'on change du jour au lendemain. Je pense à l'inexistence de la lecture comme base d'enseignement. Comme nous sommes trop pauvres pour ajouter l'achat d'un livre à notre budget habituel, l'enseignement est fondé sur la répétition de ce que dit le maître. Alors les notes prises en cours suffisent. Le syllabus exigé pour remplir la poche du maître-enseignant est incontournable. Nul besoin d'enrichir son savoir de choses superflues, encore moins d'encombrer son esprit d'élucubrations cérébrales difficiles à assimiler.
6. J'ai eu le privilège d'être formé dans un petit séminaire qui imposait dans l'horaire une heure de lecture, le dimanche après la messe. Bandes dessinées, Tintin, Obélix, Sheriph Warson, et d'autres étaient disponibles pour les plus jeunes, à côté d'une abondante littérature chrétienne et profane de jeunesse. Dominique Savio comme Le petit Chose étaient lus de tous. Déjà en deuxième année du secondaire, il nous était demandé de lire et résumer un livre entier. Mr Isaac Mbemba m'avait ainsi sommé d'analyser Pêcheurs d'Islande de Pierre Loti. Lorsque près de vingt ans plus tard, j'ai relu le même livre avec plus d'outils critiques, je me suis resouvenu de beaucoup de choses. Le séminaire avait une revue, L'élan, que nous avons rebaptisée plus tard Yembe sur initiative de René Ngambele.
7. La lecture est un exercice exigeant. Elle exige du temps, de la patience, du calme et une disposition d'esprit. Etudiant de philosophie, je pouvais aisément parler de La philosophie bantoue de Tempels sans avoir jamais vu le livre. C'est des années plus tard que j'ai vu et lu le livre. J'en ai aussi connu des esprits rusés, qui estimant que les livres de Doutreloux et Bitremieux étaient incontournables pour la culture yombe, n'hésitaient pas lors des exposés oraux à attribuer à ces deux chercheurs leurs propres idées sans jamais ouvrir leurs livres. Pas le temps de lire ce qu'on sait déjà.
8. D'autre part, je suis très admiratif de voir sortir de ce même système décrié aujourd'hui des esprits brillants qui font la fierté de nos pays aussi bien en Afrique que dans les universités occidentales et orientales. Et mêmes dans les institutions internationales. L'écart entre leurs conditions de travail et les réussites qu'ils atteignent est immense. Tout est question de motivation. Des étudiants du Tiers Monde travaillent dur pour se hisser au soleil dans certains milieux universitaires. Un étudiant menacé d'expulsion à la fin de chaque année académique par les services d'immigration a intérêt à utiliser efficacement toutes les ressources livresques que l'université met à sa disposition. Et à ce niveau, la lecture est incontournable. Si nos enfants étaient mis dans les mêmes conditions de vie que les enfants de l'Occident, ils seraient, j'en suis sûr, beaucoup plus brillants et performants.
9. Dans le système anglo-saxon britanique ou américain, l'école est élitaire et sert une formation intégrale de l'homme (mens sana in corpore sano). Le prestige de l'école d'où l'on sort constitue le sous-bassement du succès. L'école pilote des influences politiques et des enjeux culturels importants. Les "alumni" de Harvard, Yale, Oxford, Stanford cotisent des millions pour que les bibliothèques et les médiathèques de leurs "almae matres" soient équipées d'instruments de travail et de recherche les plus performants. Pourquoi? Parce qu'elles sont les pointes d'iceberg d'une culture immensément livresque et fondée sur la lecture. De la maison au kindergarten, de la maternelle à l'université, le livre est l'outil élémentaire au service du savoir et de la connaissance.
10. Tout le monde est presque unanime à reconnaître que les jeunes ne savent plus écrire. Ils ne savent plus écrire parce qu'ils ne lisent pas comme la bonne vieille génération. Ils sont victimes de leur génération dot.com comme on dit. C'est une crise endogène et épistémique passagère. Par contre, je suis souvent ahuri d'entendre des sommités intellectuelles, certains journalistes, commettre sans se corriger de graves fautes de prononciation ou de syntaxe française. Certains sites de nos compatriotes regorgent de ces maladresses. La lecture est une clé importante pour le développement de la culture d'un pays, de sa littérature, de ses sciences humaines, de sa production artistique ou cinématographique comme de son intelligentsia.
11. Ce qui se passe chez nous est pareil en Afrique noire. Une réforme - ou mieux une modernisation -  de l'enseignement est absolument nécessaire. Pour que cette réforme réussisse et réponde aux attentes de la société, il faut qu'elle soit opérée de préférence par des spécialistes du domaine, pédagogues et enseignants compétents, plutôt que par les seuls politiciens. Offrir de façon égale l'accès au livre à tous les écoliers doit constituer un objectif de cette réforme.
 

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