14 sept. 2024

"Mari de nuit"


Un prophète-pasteur ne trouve pas mieux que de convaincre une de ses adeptes qu'elle a un mari ou des maris de nuit. Péché de lèse-majesté. C'est que dans le monde des ténèbres elle mène une double vie de mariée à un ou plusieurs hommes. Seulement voilà. Cette femme est fiancée à un homme qui prépare les frais de leur mariage et lui confie l'argent de la dot et de la célébration nuptiale. A l'insu du fiancé, le pasteur propose à la fiancée pour l'exorciser des séances de délivrance à deux. Pendant ces séances, la femme se met nue alors que l'homme de Dieu s'adonme à des onctions sur le corps de sa proie. Pour finir, le prophète lui exige cet argent, afin qu'il le bénisse et invoque des incantations dessus pendant une semaine, sous prétexte qu'elle serait stérile s'il ne purifiait pas ce salaire de malheur et de sang. Dès qu'il a pris la somme, le pasteur évite de recevoir son adepte à son bureau. Devant l'insistance de la dame de récupérer l'argent, la protocole lui a apprend trois semaines plus tard, que l'église a été pillée. Une escroquerie bien planifiée basée sur l'imposture, la menace, l'intimidation et des pratiques très douteuses d'envoûtements et attouchements intimes. La suite, on peut l'imaginer et des pareils cas sont nombreux.
"Mari de nuit", je n'en avais jamais entendu parler dans ma jeunesse. Du moins je ne m'en souviens pas. Je pouvais peut-être l'imaginer par des récits qui se racontaient autour des mamiwata et autres créatures surnaturelles. Je savais que la vie de nuit était pleine de mystères, d'événements sorciers, de multiples retournements de vestes. L'homme à la bague d'or magique ou encore l'homme-crocodile-serpent, faisaient partie de ces êtres imaginaires que relatent les mythologies universelles. C'est dans ce contexte que pourraient se concevoir les concepts de "mari de nuit" et de "femmes de nuit" passés à la mode depuis quelques décennies. Le binzambi-nzambi exploitent vivement cet univers rocambolesque. 
De la mythologie populaire ces concepts sont devenus des réalités dans les églises du réveil qui ont envahi les agglomérations urbaines d'Afrique. Une aubaine pour les pasteurs-prophètes capables de vous dépouillés de tous vos biens. Apparemment, ces pasteurs ont remplacé les sorciers, les guérisseurs, les devins et magiciens de l'époque de notre enfance. Tout cela au nom de Jesus de Nazareth et de Dieu. Sans hésiter, le pasteur-prophète brandit quelques versets bibliques pour vous soutirer votre dernier centime. "J"ai eu une vision, et Dieu m'a dit"..."une prophétie est tombée vous concernant, votre vie est en danger"... "nous allons avoir des veillées de prières pour éloigner Satan et les esprits mauvais qui vous menancent". Autant d'astuces pour maintenir votre esprit en état d'émoi et d'effroi. Le combat spirituel, inconnu jadis, meut le comportement religieux des convertis aux nouvelles religions. "Je prie" signifie désormais qu'on est sorti des églises dites traditionnelles pour embrasser les nouvelles vagues de croyances. Ces recettes fonctionnement admirablement, et les victimes les consomment sans discernement ni remise en question. Un processus pratiquement infallible de lavage de cerveau. 
Pendant que j'écris ces lignes, je viens d'avoir une conversation avec une proche qui refuse de dévoiler une vérité à son propre frère sur ses déboires familiaux. Comme elle n'entretient pas de bons rapports avec sa belle-soeur, elle craint d'être traitée de "femme de nuit". A ma question de savoir si elle y croyait, elle a répondu: "Non yaya. Ce sont des inventions des pasteurs. Mais si on te colle cela au visage, toute ta vie privée est foutue à jamais" (sic). Voilà une croyance que je range dans les mythes mais qui modèle et informe le mode actuel de pensée dans notre société congolaise ou africaine. Par ailleurs, mes lectures mythiques de de l'œuvre de Tchicaya U Tam’si m'ont appris les notions de kalunga et du nyihimbi. L'idée de frère et soeur qui seraient mari et femme de nuit n'est pas nouvelle; elle remonte aux temps immémoriaux. Comme tout mythe, elle naît, vit, meurt, et elle renait, revit et meurt à nouveau. Et le cycle continue.  


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire