29 janv. 2018

"Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu" (Par Abbé Albert Ngengi Mundele).

L'abbé Albert N Mundele me prie de diffuser sur mon blog le texte ci-dessous, écrit à la demande de son fils et frère Gabriel Kwambamba:

« Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu »
(Mc 12,17)
(voir aussi Mt 22,21 et Lc 20,25)
À mon fils et frère Gabi.
Sous ta petite plume que tu as bien aiguisée au cours des années depuis ta formation modelée au petit séminaire de Katende, tu m’as invité de façon subtile à te venir en aide pour comprendre la citation biblique citée par une autorité politique de la République Démocratique du Congo dans une interview accordée à la presse pendant ce mois de Janvier 2018. C’est une interview qui semblait être un pseudo « pro domo ».
Il s’agit de : « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu ».

Je vais te donner quelques éléments importants pour comprendre cette phrase, et partant, pouvoir voir si l’autorité politique congolaise l’a été avec sagesse ou si elle a, une fois de plus, démontré ce que les critiques d’évaluation pensent de lui.

Je vais le faire suivant ces points :
1)      Préliminaires
2)      Contexte propre
3)      Contexte immédiat : visions de l’autorité
4)      L’arrière fond (background) de l’autorité dans l’Ancien Testament
5)      L’autorité/royauté humaine et Dieu/prophètes
6)      Conclusion


1.- Préliminaires

  • Je m’excuserais d’abord si l’une ou l’autre formulation d’expressions française, « sent » de l’anglais. Ton intuition journalistique me la fera corriger et comprendre immédiatement ; tu sais toi-même comment l’environnement anglophone peut influencer dans ce cas. Moi je t’admire quand tu écris tes épisodes.
  • Pour ne pas t’embarquer dans des « acrobaties exégétiques » réservées aux experts en bible qui font souvent recours à des textes en langues originales (le Grec et l’hébreu), je vais le faire de façon simple pour que tes lecteurs et tes amis puissent aussi comprendre clairement. J’espère que j’y parviendrai.
  • Je vais utiliser la version de « la Bible de Jérusalem », les éditions du cerf, 1981.
  • La citation « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu » se trouve telle quelle dans les trois évangiles de Matthieu (22,21), Marc (12,17) et Luc (20,25). Je vais prendre le passage de Marc pour plus de clarté des personnes (groupes des personnes) impliquées dans le récit qui contient cette citation.
2.- Contexte propre

Il nous a toujours été recommandé de voir les contextes des citations ou récits bibliques avant de les appliquer de façon adéquate dans des contextes particuliers d’aujourd’hui.

J’appelle « contexte propre », c’est le contexte (le récit) qui contient la citation (ou le verset) sur laquelle on porte la discussion ou la réflexion. Dans l’évangile selon Marc, le contexte propre de la citation en question est le passage de Mc 12,13-17. De ce texte, je voudrais d’abord voir les personnes qui sont y impliquées et puis après les personnes dont on parle (César et Dieu) dans la citation.

2.1. Les personnes impliquées :
Nous avons : a) des pharisiens ; b) des hérodiens ; c) ceux qui ont envoyés les deux premiers groupes et enfin d) Jésus. Qui sont ces personnes et quelle est leur rôle dans leurs sociétés respectives.

a)      Les pharisiens
Ce sont des membres d’un groupe religieux dans la société juive du temps de Jésus. Ils étaient aussi considérés comme un parti politique pour qui l’observance de la Torah (loi) et les prophètes était le fondement sans équivoque de leur vie en générale et dans leur vie quotidienne. Dans la Torah/Loi, Dieu est le Créateur du Ciel et de la terre et tout ce qui existent. D’où le respect, l’honneur et l’adoration de tout être humain - quel que soit sa position dans la société - et de toute créature devant Lui (cf. Gn 1 et 2. ; Is 42,5 ; 44,24-28). Dans les évangiles on voit les pharisiens souvent en discussion avec Jésus ; pourtant ils Le reconnaissaient comme un maître (rabbi). Ceci est justement confirmé dans le récit d’où notre citation est tirée : « Maitre, nous savons que tu es véridique (…) (Mc. 12,14)
 Vis-à-vis de la politique de l’occupant romain, les pharisiens ont pu coopérer avec l’occupant pourvu qu’il n’enfreigne pas à leur Torah (loi). Dans le temple, on offrait aussi des sacrifices pour l’empereur et NON à l’Empereur comme dans le reste de l’empire romain. Car pour les pharisiens (juifs) l’empereur n’était pas Dieu à qu’ils devraient offrir des sacrifices. On raconte qu’ils se promenaient dans des places publiques de façon ostentatoire pour que les gens sachent de l’application de la Torah (Loi). Certains pensent que c’est une pédagogie religieuse pour le public.

b)      Les Hérodiens
Les Hérodiens étaient des Partisans d’Hérode le Grand et de sa dynastie. Hérode lui-même n’est pas juif : Idumée d’où il vient est au sud de la Palestine ; il est plutôt de culture hellénistique.   Cependant il fut un politicien rusé : il aida les juifs à reconstruire leur temple comme moyen pour adoucir leur aigreur devant l’occupant romain dont il était le représentant. Et ainsi il pouvait avoir de la considération devant Rome (César) à cause de sa contribution à la « pax Romana ». Pourtant ses partisans voulaient un état laïque ; c‘est à dire non juif. Ils représentent ici dans le texte la tendance des gens dont la religion juive n’avait pas beaucoup d’importance au-devant du pouvoir romain.

c)      Ceux qui ont envoyé pharisiens et hérodiens auprès de Jésus
Ils sont identifiés façon explicite en Mc 11,27. Ce sont des grands prêtres, les scribes et les anciens dont l’intention était de tendre un piège à Jésus afin de l’accuser Jésus devant l’autorité romaine d’avoir méconnu l’autorité de César.

d)      Jésus
Dans notre récit, Il est décrit comme « Rabbin », Maitre, enseignant et donc une autorité en matière religieuse. Jésus est donc fondamentalement juif : Il est reconnu véridique et comme impartial (v.14 « tu enseignes en toute vérité la voie de Dieu »).
C’est donc à un Jésus, autorité religieuse juive que les pharisiens, hérodiens, grands prêtre, les scribes et les anciens recourent pour clarification, même si leur intention est mauvaise et hypocrite (v. 13 « lui tendre un piège »).
Jésus saisit l’occasion pour leur apprendre que l’autorité ne se limite pas seulement sur la terre. Il y a une autre dimension de l’autorité dont l’autorité humaine doit tenir compte : Dieu.


2.2. Personnes mentionnées : deux visions sur l’autorité
Celles que j’appelle ici les « personnes mentionnées » sont celles au sujet de quelles les autres parlent dans le texte : César et Dieu.=
César : c’est à la fois un nom et un titre de l’empereur romain, l’autorité suprême des romains et des habitants de l’empire romain. Les deux groupes - Pharisiens et Hérodiens -  parlent de César comme autorité suprême dont l’effigie se voit sur la pièce de monnaie. C’est une vision partielle et fausse que l’autorité soit limitée au niveau terrestre. Car la réponse de Jésus porte et ajoute une autre dimension de l’autorité : celle globale et vraie de l’autorité suprême qui est Dieu.
Les pharisiens et les hérodiens ne parlent que de César – « Est-il permis ou non de payer l’impôt à César ? ». Et Jésus ajoute la dimension divine « … à Dieu, ce qui est à Dieu »
Cela pouvait s’entendre ainsi : aux uns – les pharisiens - Jésus leur rappelle le fondement de leur Foi en Dieu, l’unique créateur ; aux autres - les hérodiens - Jésus leur fait savoir qu’il n’y a pas que l’autorité terrestre, il y a encore une plus grande, Dieu. La réponse lapidaire de Jésus est en fait à la fois un rappel et une correction sur la perception de l’autorité.
Donc aux yeux de Jésus « juif », César n’est peut avoir une autorité suprême sur les hommes. Rappelons-nous qu’ils sont allés voir Jésus le Maitre, le véridique, « l’arbitre impartial ». Dans une perspective comparative entre les deux personnes mentionnées – César et Dieu - je commenterai : « rendez à César ce qui est à César dans sa position inférieure et à Dieu ce qui est à Dieu dans sa position suprême ».

3. Contexte immédiat.

Par « contexte immédiat », j’entends par là des textes qui entourent le récit qui nous préoccupe. Ici je voudrais simplement montrer que dans les trois évangiles, les textes contenant la citation « Rendez à César ce qui est à Dieu c’est qui est à Dieu », sont précédés par la parabole des vignerons homicides (Mc 12,1-11 ; Mt 21,33-46 ; Lc 20,9-19). Cette parabole se réfère au passage de Is 5,1ff : il s’agit d’un propriétaire qui planta une vigne, puis la loua aux vignerons ignobles. Le propriétaire c’est Yahvé et les vignerons sont les autorités et la vigne c’est le peuple. Les vignerons ont abusé de leur pouvoir et maltraité le peuple. Leur sort est ignominieux est catastrophique.
Ces textes sur les vignerons ignobles et les taxes à payer à César font un ensemble dont le thème principal est l’autorité (voir aussi les grands pretres demandant à Jésus sous quelle autorité Jésus a dispersé les marchands du temple (Mc 11,15-33 ; Lc 19,45-20,8). Dans tous ces textes, Jésus démontre l’autorité suprême de Dieu par rapport à l’autorité humaine.

4. L’arrière fond de l’autorité dans l’Ancien Testament

Le premier livre de Samuel décrit l’avènement de la monarchie en Israël (à partir de 1S 8, ss)

Une vision fausse de la monarchie parmi les Israelites
Le peuple d’Israël dit à Samuel : « établis nous un roi pour qu’il nous juge comme toutes les nations » (1 S 8,5) « Nous aurons un roi et nous serons, nous aussi, comme toutes les nations : notre roi nous jugera, il sortira à notre tête et combattra nos combats » (v.19); Notons que Israël oublie qu’il n’est pas un peuple comme les autres ; c’est Yahvé qui est leur roi (8,7 et 12,,12); Samuel s’évertue de corriger cette vision partielle des rois des autres nations ; il leur présente les inconvénients de la  royauté  des autres nations: le roi exploitera vos filles, confisquera vos moissons…(8,10-18). Mais Israël refusa d’écouter Samuel.
Samuel au nom de Dieu leur accorda un roi. Cependant celui-ci n’est pas comme les rois des autres nations : Contrairement aux rois des autres nations qui étaient souvent vénérés comme des divinités (leur offrant même des sacrifices) par exemple Pharaon en Egypte, Assurbanipal en Mesopotamie, en Israël, le roi est le représentant de Dieu, càd sujet à des critiques et des blâmes s’il n’obéit pas aux commandements de Dieu. Pour marquer cet état, les rois d’Israël sont oints par un prophète au nom de Dieu. Ils sont ainsi soumis aux directives du Dieu par des prophètes. Les rois d’Israël ne pouvaient pas faire ce qu’ils voulaient sous peine de punitions de toute sorte.

5. l’autorité/royauté humaine et Dieu/le prophète

Vision réelle de la royauté d’Israël.
Saul, le premier roi d’Israël sera rejeté par Dieu pour n’avoir pas obéi aux commandements de Dieu et avoir conduit le peuple sur un mauvais chemin. Non sans réprimander, Samuel, l’homme de Dieu, prononcera la sentence de la condamnation et le rejet de roi Saul. (1 S 15,10-23).
David sera réprimandé sévèrement par le prophète Nathan (2 S 12,1-12) dans l’affaire d’une double faute : l’adultère avec Bethsabée, la femme d’Urie (2 S 11,1-5), et le meurtre de ce dernier (2 S 11,10-18). David se repent, mais le malheur annoncé lui arrivera (2 S 13-15). Donc le roi en Israël ne peut pas faire n’importe quoi. Il est sous la soumission de Dieu.
Les deux livres des rois sont pleins des récits des rois bons et les rois impies. À propos de ceux-ci, il y a souvent un refrain descriptif - « il fit ce qui déplait à Yahvé » - qui précède ou suit l’annonce des malheurs qui s’en suivent à rois impies : le roi Ozias fut frappé de la lèpre (2 R 15,5) Manassé et son fils Amon furent tués (2 R 21,1-26).
Plusieurs fois les prophètes se sont insurgés contre les autorités politiques comme religieuses si les unes comme les autres se sont écartées des chemins de Dieu.
Ils se sont aussi épris contre les nations (Am 1-2) pour avoir commis des « crimes contre l’humanité » et des « crimes de guerres ». Isaïe prophétise la chute de Babylone par les mèdes et les perses puisque Babylone et autres nations ont fait souffrir d’autres peuples qu’elle a conquis et surtout profané le temple de Yahvé (Is 13-14 ; 21)

6. Conclusion

Mon cher Gabi,
Cher fils et frère,
Je crois qu’avec ces lignes, j’ai pu te donner quelques éléments pour qu’on ne supprime pas cette sentence de la bible « rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu » ; que tu puisses la comprendre dans son contexte : Il ne faut pas se limiter à la perspective d’une autorité quelconque sans Dieu. Qui est l’autorité suprême entre César et Dieu ?  Le fondement de l’autorité dans la bible, c’est Dieu comme nous l’avons dit et que nous pouvons lire dans plusieurs passages de l’Ancien et du Nouveau Testament. La conception d’une autorité humaine voulant usurper les prérogatives y attachées par Dieu n’est qu’illusion et fausseté.  
De même, quand Paul (l’ancien pharisien de l’école théologique de Gamaliel) parle évidement de toute autorité qui vient de Dieu ; il se place dans la perspective selon laquelle que Dieu institue l’autorité humaine pour le servir et faire appliquer ses commandements au milieu de son peuple.

Soyez bénis, toi et les tiens.
Vale !

Albert Ngengi Mundele


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