L'abbé Albert N Mundele me prie de diffuser sur mon blog le texte ci-dessous, écrit à la demande de son fils et frère Gabriel Kwambamba:
« Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu »
(Mc 12,17)
(voir aussi Mt
22,21 et Lc 20,25)
À mon fils et frère Gabi.
Sous ta petite plume que tu as
bien aiguisée au cours des années depuis ta formation modelée au petit
séminaire de Katende, tu m’as invité de façon subtile à te venir en aide pour
comprendre la citation biblique citée par une autorité politique de la
République Démocratique du Congo dans une interview accordée à la presse
pendant ce mois de Janvier 2018. C’est une interview qui semblait être un
pseudo « pro domo ».
Il s’agit de : « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu
ce qui est à Dieu ».
Je vais te donner quelques
éléments importants pour comprendre cette phrase, et partant, pouvoir voir si l’autorité
politique congolaise l’a été avec sagesse ou si elle a, une fois de plus,
démontré ce que les critiques d’évaluation pensent de lui.
Je vais le faire suivant ces points :
1)
Préliminaires
2)
Contexte propre
3)
Contexte immédiat : visions de l’autorité
4)
L’arrière fond (background) de l’autorité dans l’Ancien
Testament
5)
L’autorité/royauté humaine et Dieu/prophètes
6)
Conclusion
1.-
Préliminaires
- Je m’excuserais d’abord si l’une ou l’autre formulation d’expressions
française, « sent » de l’anglais. Ton intuition journalistique me
la fera corriger et comprendre immédiatement ; tu sais toi-même
comment l’environnement anglophone peut influencer dans ce cas. Moi je
t’admire quand tu écris tes épisodes.
- Pour ne pas t’embarquer dans des « acrobaties exégétiques » réservées
aux experts en bible qui font souvent recours à des textes en langues
originales (le Grec et l’hébreu), je vais le faire de façon simple pour
que tes lecteurs et tes amis puissent aussi comprendre clairement. J’espère
que j’y parviendrai.
- Je vais utiliser la version de « la Bible de Jérusalem »,
les éditions du cerf, 1981.
- La citation « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu » se trouve telle quelle dans les trois évangiles de Matthieu (22,21), Marc (12,17) et Luc (20,25). Je vais prendre le passage de Marc pour plus de clarté des personnes (groupes des personnes) impliquées dans le récit qui contient cette citation.
2.- Contexte
propre
Il nous a toujours été
recommandé de voir les contextes des citations ou récits bibliques avant de les
appliquer de façon adéquate dans des contextes particuliers d’aujourd’hui.
J’appelle « contexte
propre », c’est le contexte (le récit) qui contient la citation (ou le
verset) sur laquelle on porte la discussion ou la réflexion. Dans l’évangile
selon Marc, le contexte propre de la citation en question est le passage de Mc
12,13-17. De ce texte, je voudrais d’abord voir les personnes qui sont y impliquées
et puis après les personnes dont on parle (César et Dieu) dans la citation.
2.1. Les personnes
impliquées :
Nous avons : a) des
pharisiens ; b) des hérodiens ; c) ceux qui ont envoyés les deux
premiers groupes et enfin d) Jésus. Qui sont ces personnes et quelle est leur rôle
dans leurs sociétés respectives.
a) Les pharisiens
Ce sont des membres d’un groupe
religieux dans la société juive du temps de Jésus. Ils étaient aussi considérés
comme un parti politique pour qui l’observance de la Torah (loi) et les
prophètes était le fondement sans équivoque de leur vie en générale et dans
leur vie quotidienne. Dans la Torah/Loi, Dieu est le Créateur du Ciel et de la
terre et tout ce qui existent. D’où le respect, l’honneur et l’adoration de
tout être humain - quel que soit sa position dans la société - et de toute
créature devant Lui (cf. Gn 1 et 2. ; Is 42,5 ; 44,24-28). Dans les
évangiles on voit les pharisiens souvent en discussion avec Jésus ;
pourtant ils Le reconnaissaient comme un maître (rabbi). Ceci est justement
confirmé dans le récit d’où notre citation est tirée : « Maitre, nous savons que tu es
véridique (…) (Mc. 12,14)
Vis-à-vis de la politique de
l’occupant romain, les pharisiens ont pu coopérer avec l’occupant pourvu qu’il
n’enfreigne pas à leur Torah (loi). Dans le temple, on offrait aussi des
sacrifices pour l’empereur et NON à l’Empereur comme dans
le reste de l’empire romain. Car pour les pharisiens (juifs) l’empereur n’était
pas Dieu à qu’ils devraient offrir des sacrifices. On raconte qu’ils se
promenaient dans des places publiques de façon ostentatoire pour que les gens
sachent de l’application de la Torah (Loi). Certains pensent que c’est une
pédagogie religieuse pour le public.
b) Les Hérodiens
Les Hérodiens étaient des
Partisans d’Hérode le Grand et de sa dynastie. Hérode lui-même n’est pas juif :
Idumée d’où il vient est au sud de la Palestine ; il est plutôt de culture
hellénistique. Cependant il fut un
politicien rusé : il aida les juifs à reconstruire leur temple comme moyen
pour adoucir leur aigreur devant l’occupant romain dont il était le
représentant. Et ainsi il pouvait avoir de la considération devant Rome (César)
à cause de sa contribution à la « pax Romana ». Pourtant ses
partisans voulaient un état laïque ; c‘est à dire non juif. Ils
représentent ici dans le texte la tendance des gens dont la religion juive n’avait
pas beaucoup d’importance au-devant du pouvoir romain.
c)
Ceux
qui ont envoyé pharisiens et hérodiens auprès de Jésus
Ils sont identifiés façon
explicite en Mc 11,27. Ce sont des grands prêtres, les scribes et les anciens
dont l’intention était de tendre un piège à Jésus afin de l’accuser Jésus
devant l’autorité romaine d’avoir méconnu l’autorité de César.
d) Jésus
Dans notre récit, Il est décrit
comme « Rabbin », Maitre, enseignant et donc une autorité en matière
religieuse. Jésus est donc fondamentalement juif : Il est reconnu véridique
et comme impartial (v.14 « tu
enseignes en toute vérité la voie de Dieu »).
C’est donc à un Jésus, autorité
religieuse juive que les pharisiens, hérodiens, grands prêtre, les scribes et
les anciens recourent pour clarification, même si leur intention est mauvaise
et hypocrite (v. 13 « lui tendre un
piège »).
Jésus saisit l’occasion pour
leur apprendre que l’autorité ne se limite pas seulement sur la terre. Il y a
une autre dimension de l’autorité dont l’autorité humaine doit tenir
compte : Dieu.
2.2. Personnes mentionnées :
deux visions sur l’autorité
Celles que j’appelle ici les « personnes
mentionnées » sont celles au sujet de quelles les autres parlent dans le
texte : César et Dieu.=
César : c’est à la fois un nom et un titre de l’empereur
romain, l’autorité suprême des romains et des habitants de l’empire romain. Les
deux groupes - Pharisiens et Hérodiens -
parlent de César comme autorité suprême dont l’effigie se voit sur la
pièce de monnaie. C’est une vision partielle et fausse que l’autorité soit
limitée au niveau terrestre. Car la réponse de Jésus porte et ajoute une autre dimension de
l’autorité : celle globale et vraie de l’autorité suprême qui est Dieu.
Les pharisiens et les hérodiens
ne parlent que de César – « Est-il permis ou non de payer l’impôt à
César ? ». Et Jésus ajoute la dimension divine « … à Dieu, ce
qui est à Dieu »
Cela pouvait s’entendre ainsi :
aux uns – les pharisiens - Jésus leur rappelle le fondement de leur Foi en
Dieu, l’unique créateur ; aux autres - les hérodiens - Jésus leur fait
savoir qu’il n’y a pas que l’autorité terrestre, il y a encore une plus grande,
Dieu. La réponse lapidaire de Jésus est en fait à la fois un rappel et une
correction sur la perception de l’autorité.
Donc aux yeux de Jésus « juif »,
César n’est peut avoir une autorité suprême sur les hommes. Rappelons-nous
qu’ils sont allés voir Jésus le Maitre, le véridique, « l’arbitre
impartial ». Dans une perspective comparative entre les deux personnes
mentionnées – César et Dieu - je commenterai : « rendez à César ce
qui est à César dans sa position inférieure et à Dieu ce qui est à Dieu dans sa
position suprême ».
3. Contexte immédiat.
Par « contexte immédiat »,
j’entends par là des textes qui entourent le récit qui nous préoccupe. Ici je
voudrais simplement montrer que dans les trois évangiles, les textes contenant
la citation « Rendez à César ce qui
est à Dieu c’est qui est à Dieu », sont précédés par la parabole des
vignerons homicides (Mc 12,1-11 ; Mt 21,33-46 ; Lc 20,9-19). Cette parabole
se réfère au passage de Is 5,1ff : il s’agit d’un propriétaire qui planta
une vigne, puis la loua aux vignerons ignobles. Le propriétaire c’est Yahvé et
les vignerons sont les autorités et la vigne c’est le peuple. Les vignerons ont
abusé de leur pouvoir et maltraité le peuple. Leur sort est ignominieux est
catastrophique.
Ces textes sur les vignerons
ignobles et les taxes à payer à César font un ensemble dont le thème principal
est l’autorité (voir aussi les grands pretres demandant à Jésus sous quelle
autorité Jésus a dispersé les marchands du temple (Mc 11,15-33 ; Lc
19,45-20,8). Dans tous ces textes, Jésus démontre l’autorité suprême de Dieu par
rapport à l’autorité humaine.
4. L’arrière fond de l’autorité dans l’Ancien Testament
Le premier livre de Samuel
décrit l’avènement de la monarchie en Israël (à partir de 1S 8, ss)
Une vision fausse de la monarchie parmi les Israelites
Le peuple d’Israël dit à Samuel :
« établis nous un roi pour qu’il
nous juge comme toutes les nations » (1 S 8,5) « Nous aurons un roi et nous serons, nous
aussi, comme toutes les nations : notre roi nous jugera, il sortira à
notre tête et combattra nos combats » (v.19); Notons que Israël oublie
qu’il n’est pas un peuple comme les autres ; c’est Yahvé qui est leur roi
(8,7 et 12,,12); Samuel s’évertue de corriger cette vision partielle des rois
des autres nations ; il leur présente les inconvénients de la royauté des autres nations: le roi
exploitera vos filles, confisquera vos moissons…(8,10-18). Mais Israël refusa
d’écouter Samuel.
Samuel au nom de Dieu leur
accorda un roi. Cependant celui-ci n’est pas comme les rois des autres
nations : Contrairement aux rois des autres nations qui étaient souvent
vénérés comme des divinités (leur offrant même des sacrifices) par exemple
Pharaon en Egypte, Assurbanipal en Mesopotamie, en Israël, le roi est le représentant
de Dieu, càd sujet à des critiques et des blâmes s’il n’obéit pas aux commandements
de Dieu. Pour marquer cet état, les rois d’Israël sont oints par un prophète au
nom de Dieu. Ils sont ainsi soumis aux directives du Dieu par des prophètes.
Les rois d’Israël ne pouvaient pas faire ce qu’ils voulaient sous peine de
punitions de toute sorte.
5. l’autorité/royauté humaine et Dieu/le prophète
Vision réelle de la royauté d’Israël.
Saul, le premier roi d’Israël sera
rejeté par Dieu pour n’avoir pas obéi aux commandements de Dieu et avoir
conduit le peuple sur un mauvais chemin. Non sans réprimander, Samuel, l’homme
de Dieu, prononcera la sentence de la condamnation et le rejet de roi Saul. (1
S 15,10-23).
David sera réprimandé sévèrement
par le prophète Nathan (2 S 12,1-12) dans l’affaire d’une double faute :
l’adultère avec Bethsabée, la femme d’Urie (2 S 11,1-5), et le meurtre de ce
dernier (2 S 11,10-18). David se repent, mais le malheur annoncé lui arrivera
(2 S 13-15). Donc le roi en Israël ne peut pas faire n’importe quoi. Il est
sous la soumission de Dieu.
Les deux livres des rois sont
pleins des récits des rois bons et les rois impies. À propos de ceux-ci, il y a
souvent un refrain descriptif - « il fit ce qui déplait à Yahvé » -
qui précède ou suit l’annonce des malheurs qui s’en suivent à rois impies
: le roi Ozias fut frappé de la lèpre (2 R 15,5) Manassé et son fils Amon
furent tués (2 R 21,1-26).
Plusieurs fois les prophètes se
sont insurgés contre les autorités politiques comme religieuses si les unes
comme les autres se sont écartées des chemins de Dieu.
Ils se sont aussi épris contre
les nations (Am 1-2) pour avoir commis des « crimes contre
l’humanité » et des « crimes de guerres ». Isaïe prophétise la
chute de Babylone par les mèdes et les perses puisque Babylone et autres
nations ont fait souffrir d’autres peuples qu’elle a conquis et surtout profané
le temple de Yahvé (Is 13-14 ; 21)
6. Conclusion
Mon cher Gabi,
Cher fils et frère,
Je crois qu’avec ces lignes,
j’ai pu te donner quelques éléments pour qu’on ne supprime pas cette sentence
de la bible « rendez à César ce
qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu » ; que tu puisses la
comprendre dans son contexte : Il ne faut pas se limiter à la perspective
d’une autorité quelconque sans Dieu. Qui est l’autorité suprême entre César et
Dieu ? Le fondement de l’autorité
dans la bible, c’est Dieu comme nous l’avons dit et que nous pouvons lire dans
plusieurs passages de l’Ancien et du Nouveau Testament. La conception d’une autorité
humaine voulant usurper les prérogatives y attachées par Dieu n’est qu’illusion
et fausseté.
De même, quand Paul (l’ancien
pharisien de l’école théologique de Gamaliel) parle évidement de toute autorité
qui vient de Dieu ; il se place dans la perspective selon laquelle que
Dieu institue l’autorité humaine pour le servir et faire appliquer ses
commandements au milieu de son peuple.
Soyez bénis, toi et les tiens.
Vale !
Albert Ngengi Mundele
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