8 févr. 2023

"Le chaland" (Émile Verhaeren)

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“Le chaland”, je découvre aujourd’hui seulement par la magie de l’Internet que ce poème a été écrit par Émile Verhaeren. Lorsque le nom de Verhaeren a été mentionné au cours de l’histoire littéraire, je ne me suis jamais imaginé qu’il aurait pu être le poète auteur de ce poème que je viens de revoir après plus de cinquante ans. Quelle découverte! Eureka. 

1967-68, mon père Donatien Mabana en est à sa première année comme directeur à Kimbau. Je suis en cinquième primaire dans la classe de Mr Donatien Lufwa d’heureuse memoire. Un homme au français impeccable. Très marqué par son passage au collège jésuite de Kiniati, il a gardé la finesse d’élocution de cette grande école de formation. Des grands orateurs congolais sont sortis de cette pépinière intellectuelle. Voilà que parmi les premiers récitations qui étaient proposées figurait le fameux “chaland”. Je dis fameux parce que je ne l’avais jamais maîtrisé entièrement, mais en ai gardé quelques vers jusqu’à ce jour.  Pendant longtemps, j’ai eu des doutes quant à la vraie existence de ce poème. Je revois visuellement la page du manuel dans lequel il était tiré. J’en arrivais à remettre en question sa nature au point d’en faire une sorte de mirage ou de création de mon imaginaire. Je n’ai plus jamais entendu parler de ce poème dont je ne connaissais même pas l’auteur, à moins que ce ne soit une création des éditeurs d’ouvrages scolaires. Je ne crois pas que mes condisciples encore vivants s’en souviennent. Je vais les tester et vous dirai l’issue. Un des brillants Mukangu, si pas tous les deux (Zephyrin ou Corneille) devrait en principe s’en souvenir. Depuis 1967, jusqu’à ce jour, personne ne m’a jamais parlé et je ne l’ai jamais évoqué dans une conversation Curieux n’est-ce pas? 

Ce dont je me souviens à propos de ce poème, c’est qu’il était difficile à comprendre. Je ne l’avais jamais compris et l’ai mémorisé comme un perroquet. Et aujourd’hui 53 ans après, je me rends compte qu’il était complètement incompréhensible pour un enfant congolais de 11 ans né à Kimbau, passé par Kabwita, Mutoni, Makiosi, Kenge, Kinshasa. Lorsque je parle de mémoriser, c’est juste les deux premières strophes, la suite étant un charabia indigestible. Et même encore qu’avais-je retenu de ces mots. Tous les mots m’étaient absolument inconnus: “chaland, arrière, batelier, maison naine, canaux… cloisons rouges, etc.” En relisant ces strophes, je réalise que le mot “tranquillement” ne m’est jamais revenu, et que je ne crois pas non plus l’avoir compris à l’époque. Ridicule, inconsistant et inapproprié était notre enseignement colonial: comment un poème typiquement belge a-t-il été imposé à des écoliers congolais sans aucune idée de l’aliénation mentale à laquelle ces derniers sont exposés et soumis? La réforme de l'enseignement n'a pas eu lieu après l'indépendance. Maitre Lufwa a fait son travail, je ne le condamne pas de m’avoir inculqué des strophes de ce poème. Moi je condamne le système éducatif congolais et africain qui répond a des problèmes occidentaux plutôt que locaux et nationaux. Decolonize the Mind please.

De là à une critique plus sérieuse des leviers mentaux qui conduisent notre société, le pas se franchit vite. Observez toute la ruée qui s’opère vers l’Europe. Aliéné et acculturé, l’enfant de Kenge rêve de voir le Quai de Gand ou Bruges plutôt que de trouver comment capitaliser les eaux de Yete ou Manioka ou Bakali pour le mieux-vivre de sa communauté. Le Belge Verhaeren est nationaliste, et son poème est destiné à la consommation belge. Pas de place pour le primitif du Congo indigène. Je ne crois pas qu’il y ait un seul élève français, suisse ou luxembourgeois qui a mémorisé “Le chaland”. Migration, Lampedusa, Chypre, Turquie, Libye ou Maroc, sont les ports et quais vers l’Eldorado européen illustrés anticipativement par Verhaeren dont le poème figurait au programme congolais de nos récitations. 

/ Sur l’arrière de son bateau / le batelier promène / sa maison naine / par les canaux/ 

Perroquets, perroquets, perroquets! École de perroquets. Nous ne nous développerons jamais tant que nous resterons des perroquets. 

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