Il y a quelques semaines, j'ai échangé avec le journaliste Legrand Mufwenge sur le silence, et lui ai promis de publier une réflexion à ce sujet. Il y a plusieurs types et formes de silences.
Tout est parti de l'admiration que vouent certains Congolais à l'ancien président de la RDC, Joseph Kabila, pour son silence et son esprit de réserve, laissant ainsi libre cours à l'action de son successeur. Le président honoraire de la RDC est réputé pour son calme et son flegme devant des situations difficiles. Qu'on le traite d'étranger rwandais, de fils adoptif de son père, d'imposteur et détourneur des fonds, de manipulateur et de calculateur, cet homme qui aux yeux de ses adeptes a favorisé une passation pacifique de pouvoirs entre un président sortant et un président entrant, reste de marbre, inamovible, silencieux. Il garde silence quand tout le monde attend qu’il parle. Ce silence-là est admiré de beaucoup de personnes, fascinées par la sagesse et l'adresse dont il a fait montre, en neutralisant le M23 en 2011. Pas de lâcheté plaintive. Seule l’action compte. L'imperturnable Raiss a bien assimilé la froide leçon de "La mort du loup" de Vigny, conclut le littéraire.
Observons les choses de près, est-ce que JKK est si silencieux que cela? Il fait parler ses gens, en se taisant. Les membres du FCC ne jurent que sur la foi de leur autorité morale. Cette stratégie lui a réussi pendant toute sa présidence, pourquoi y renoncerait-il? Monsieur Kabila était craint d'abord qu'il était militaire, et inspirait la peur autour de lui. Il n'était pas du genre Mobutu très médiatique, convaincant avec la presse et solide dans ses argumentations. Tous les deux étaient des hommes d'action. Mobutu offensé et offusqué serait descendu dans l'arène, parce qu'il savait parler, haranguer les foules dans une ambiance très vivante. Écoutez JKK quand il parle, je ne crois pas qu’il soit un orateur de la trempe de son illustre prédécesseur. En plus il n’a jamais tenu de meetings populaires comme le faisait Mobutu au temps de sa glorieuse splendeur. Le silence lui seyait et lui sied naturellement mieux que la prise de parole. N'est pas orateur qui veut.
"Qui se tait consent", cet adage ne s’avère que dans des conditions de liberté et de claire conscience. Autrement, il est relatif. Terrorisé et muselé, l'homme ne saurait que se taire devant ses assaillants. Dans des pays socialistes ou communistes, la parole des individus était étouffée. Personne n'osait jamais exprimer sa libre opinion. Ce silence-là n'est rien d'autre que soumission, obséquité et servitude. Un pasteur menace de maudire son adepte, d'invoquer le feu du Saint-Esprit sur lui, s'il ose dénoncer le tort qu'il lui impose. Un sorcier impose le silence à son protégé à qui il demande, pour obtenir richesse et bonheur, de "toucher" une fille mineure vierge, à défaut de sa mère ou de sa soeur. Silence, secret, et crime vont souvent de pair. L'adage "qui se tait consent" ne vaut que pour ceux qui l'ont édicté, vu que l'accord n'est pas consensuel. Le dictateur n'entend que sa propre loi, sa propre voix: il impose le silence à tous ses sujets sans exception. Il y a aussi le droit du silence, ce silence parfois rappelé par les agents de l'ordre stipulant que "tout ce que vous direz sera retenu contre vous". Je sais d'expérience qu'il est demandé à certains agents d'ambassade de se tenir coi en cas d'accident de circulation et d'alerter tout de suite leur ambassade.
Scène de famille. Quand j'étais enfant, les silences de ma mère me dérangeaient plus que ses paroles. Vieille époque, me dira-t-on. Revenons au présent. Plus d'une fois, Ibangu me rapporte une dispute survenue avec Mukawa, et attend que je parle, que je réagisse, que je condamne son frère. Souvent, je me tais. Sa réaction ne se fait pas attendre: "Et tu ne dis rien? Si c'était moi, tu allais tout de suite réagir." Me voilà traité d'injuste pour une situation où je n'ai entendu que sa parole à elle. Quand elle se plaint ou croit qu'elle a raison, elle n'aime pas que j'écoute son frère. Je prends rarement position avant d'avoir entendu les deux parties. Je préfère par principe me taire, appeler à la patience, plutôt que de prendre une décision hâtive et injuste. Le fait de vous plaindre ou de pleurer fort ne vous donne pas forcément raison. Le chantage existe aussi. Le trafic d'influence pourrait faire de l'innocent un condamné et du meurtrier un innocent. D'autre part, tout silence n'est pas bon, il peut vous transformer en complice involontaire de crimes. Des fois, il faut savoir exprimer haut et clair ses opinions, dénoncer le mal et l'injustice. Pas de silence lâche ni complice. L'omerta ne vaut pas lorsqu'il s'agit d'éviter les tueries, de libérer son pays, même au prix de sa vie.
Lorsque j'étais au petit séminaire de Kalonda, j'avais lu un livre intitulé Secret inviolé du jésuite Joseph Spillmann. Je suis demeuré et demeure jusqu'à ce jour édifié, profondément marqué par la fermeté radicale du prêtre qui affronta l’exil pour avoir refusé de dénoncer un meurtrier qui lui avait avoué son crime en confession. Je n’ai plus jamais relu ce roman depuis 1971 ou 72, qui illustre l’infini zèle du serviteur de Dieu. Le secret inviolable de confession peut mener au sacrifice suprême. Lisez un autre récit de la jeunesse L’ouragan rouge de Fritz Steuben, vous verrez combien le pouvoir politique ou la propagande idéologique peuvent instrumentaliser à leur avantage des actes sacrés ou religieux. Comme quoi la confession chrétienne constitue un puissant levier pour le contrôle de la population, que l’état pourrait utiliser comme un service de renseignements. Les exemples sont légion où l'agent colonial et le missionnaire ont collaboré pour maîtriser les tentatives de révolte, l'état d'esprit et empêcher toute velleité de rébellion chez les colonisés.
Problème de langue. Lorsque en juillet 80, je me suis retrouvé chez les Hommelsheim à Pützdorf, l'heure du repas de midi était pour moi la plus difficile à affronter. Je retrouvais ma timidité, je me faisais taciturne, moi qui d'habitude étais loquace. Incapable de formuler des phrases en allemand, je me contentais de me taire, de comprendre sans avoir à répondre tout en restant souriant. La même situation s’est répétée ici même à la Barbade au début de mes enseignements à l’université des West Indies. Je devais m’adapter: l’anglais-standard était pratiqué dans les bureaux, et le bajan dans les rues et les shops. Mes cours étaient tenus en français. J’étais très réservé lorsque je devais parler anglais, il m’a donc fallu ré-acquerir la langue, m’adapter à mon nouvel environnement linguistique. Pour ce faire, le silence et la retenue m'étaient devenus des vertus parfaites au cours des premiers mois de mon séjour barbadien. La vie m'a appris qu'on observe et on n'apprend mieux qu'en silence. Le plus sage est de laisser la parole aux tonneaux vides. La maîtrise de la langue est donc indispensable pour fonctionner dans n’importe quel milieu. Comme quoi ceci peut expliquer cela.
Le silence est un langage, mieux une stratégie, qui s’apprend avec l’expérience de la vie. "Le silence est d’or", dit un proverbe de sagesse populaire. Apprenons-le car il pourrait un jour se révéler utile. Les actes parlent également, même plus efficacement que les paroles.