Me revoilà dans ma peau de mythologue! Je lis, j'entends des gens que l'Afrique est damnée, condamnée par l'Histoire à vivre dans la misère comme dans la 'éternelle dépendance de l'Occident. Devons-nous accepter, manipulés par une épreuve du destin, cette mise en terre prématurée alors que nous pouvons nous prendre en charge? Sommes-nous vraiment des sous-hommes, incapables de nous assumer face aux méandres de l'Histoire? N'est-il pas venu le temps d'écrire nous-mêmes notre propre histoire. L'impression qui se dégage de notre vie quotidienne est que pendant toute notre nois attendons d'être légitimés ou sanctionnés par l'Occident. Comment pouvons-nous nous développer dans ces conditions?
Une image de nous-mêmes nous a été imposée, dont nous ne saurons jamais nous séparer sans compromettre notre personnalité. Un système de gestion politique ou financière que nous ne maîtrisons pas du tout nous sert de modèle. Tout nous vient de l'extérieur. Et nous attendons tout de l'extérieur au lieu de produire localement notre nourriture, nos besoins de première nécessité. Nous attendons des maîtres étrangers au lieu de valoriser le potentiel humain dont regorge l'Afrique. Nous sommes, en réalité, les "damnés" de la terre, sommés de suivre aveuglement les consignes des puissants de ce monde dont l'intérêt majeur consiste à exploiter sans partage les ressources naturelles et minérales de notre continent. Ils sont tellement d'intolérants imposteurs qu'ils ont mis en place des structures susceptibles d'assurer perpétuellement leur prise en otage de l'Afrique. Esclavage, colonialisme, impérialisme, civilisation, christianisation, autant de subtiles astuces concoctées par les maîtres de ce monde pour nous mettre à genou. L'heure de la libération a plus que sonné. Nos dirigeants tiennent une énorme responsabilité dans ce chaos historique tant qu'ils serviront de poupées et.d'obséquieux serviteurs des Occidentaux. Tout le monde le sait, le sort de l'Afrique se décide ailleurs ou par leurs relais africains corrompus et traîtres. Tout est mis en oeuvre pour étouffer dans l’œuf toute forme de velléité d'indépendance politique ou économique. Les visionnaires de ce continent connaissent souvent une mort tragique ou un emprisonnement à vie. Même à un niveau individuel, le regard est tourné vers l'étranger blanc, paternaliste et sauveur. Des demandes d'aide fusent de partout et sous diverses formes. Le fait de vivre aux Antilles fait naturellement de moi un bienfaiteur, un coopérant et un possible créateur d'emplois dans ma communauté d'origine. Les gens attendent de moi d'amener des investisseurs, des organismes d'aide alors qu'enseigner est mon seul métier. Et pourquoi pas? rétorquerait mon pourfendeur. Que non! Je récuse cette identité d'emprunt.
Et même encore, qu'est-ce que j'enseigne? La littérature francophone d'Afrique et de la Caraïbe. Une main de l'Impérialisme français pour diffuser les valeurs exécrées de la Francophonie. Un agent civilisateur au sens où l'on l'entendait du temps colonial. Je vis dans une sorte de cercle vicieux ou d'impasse identitaire, condamné que je suis par l'histoire coloniale, civilisatrice et évangélisatrice. J'enseigne la littérature française certes mais j'ai déjà dépassé cette vision avilissante. La littérature est pour moi un savoir comme un autre. Je l'assume comme j'aurais pu m'adonner à une autre science. J'aurais pu enseigner le Créole ou le Japonnais avec la même habilité, si j'en avais reçu la formation. Claver Jr m'a dit l'autre jour que je n'aimais pas mon travail. Je lui ai répondu que j'exerce mon boulot avec passion, zèle et enthousiasme. La passion, pas juste le travail. Mes étudiants et étudiantes le témoignent lors des Staff Student Liaison Meetings.
Condamnés par l'Histoire? Je m'interroge sur la pertinence de cette question. Le concept même d'histoire est à examiner attentivement. L'histoire de qui? Qui la fixe? Naïveté que de croire que le salut viendra d'ailleurs. Le temps de la libération a sonné. J'y reviendrai.
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