Diocèse de Kenge. Depuis plusieurs mois circulent sur le net des lettres signées et anonymes entre les prêtres de ce diocèse qui se trouve être le mien et dans lequel je suis né à l'époque de la préfecture et ai évolué, dans lequel j'ai été ordonné et auquel je reste attaché car j'y ai (eu) mes meilleurs amis, aînés, cadets et membres de famille. Je ne compte pas moins de cinq cousins, oncles et neveux parmi les prêtres. J'y ai travaillé comme enseignant au petit séminaire de Kalonda et de Katende, comme secrétaire à l'évêché, comme responsable de la Caritas, comme directeur du Cerca, et ai participé à l'érection de la congrégation diocésaine des soeurs de Marie Reine de la Paix. J'ai été le premier vicaire dominical de toute l'histoire de ce diocèse, de 84 à 87 à la paroisse Sts Pierre et Paul, rebaptisée Anuarite. La toute première cargaison du sable qui a servi à la construction de la cathédrale, a été transportée de la rivière Kwango à Kenge, sous mes ordres. Bien que je sois parti de Kenge, mes attaches y sont encore vivantes. C'est de l'antiquité certes, mais le problème Nord-Sud-Centre resurgit honteusement, avec une acuité qui frise l'irrationnel.
Ce que je lis me déconcerte, me révolte, me pousse parfois à me conforter dans la satisfaction d'avoir renoncé au sacerdoce tellement c'est dégradant. Que des prêtres censés prêcher l'amour du Christ en viennent à s'insulter publiquement, à se menacer de mort et d'empoisonnement, dépasse tout entendement. Je connais bien ce milieu dans lequel le confident peut se révéler être le pourfendeur de son protégé. C'est un monde plein de haine, de mensonge, de soupçon et de jalousie contre lequel j'ai réagi en le quittant. J'y avais cru mais j'en ai eu le dégoût. Mais je voue un profond respect à tous mes anciens collègues. Les deux lettres les plus touchantes que j'ai reçues, quand j'avais annoncé officiellement mon départ, me sont venue des pères Séraphin Kiosi et René Ngambele. Je ne suis pas un ange, loin de là. J'ai dépassé l'étroite vision tribaliste, quoique je sois très fière de mes racines suku-tsamba-yaka.
Avril 86. Un prêtre convoqué par l'évêque arrive à l'évêché. L'évêché de l'époque était réputé être luxueux. Mgr Fataki de passage pour Kikwit avait été surpris par la modernité et la beauté de ce lieu. Comme j'étais dans ma chambre, l'ami y entre, trouve une bouteille de whisky. "Vous autres, vous jouissez de bonnes choses, alors que nous on trime dans la misère". "Attends, je te cherche un verre propre". Le temps que je revienne avec un verre, mon collègue s'était déjà servi dans le verre qui gisait là sans se préoccuper des microbes. J'ai tout de suite compris le sens de son geste. Il avait craint que je l'empoisonne, sans aucun doute. Je l'ai laissé boire sans dire un mot. La tension Nord-Sud battait son plein. Le gars est encore en vie, Dieu merci. Il se reconnaîtra dans ce propos.
Mon père ne cessait de dire: Fils, on ne voit jamais du sang de la souris sur la moustache d'un chat. Méfie-toi. Lui avait de bons rapports avec l'abbé Binton, le vicaire général qui l'avait nommé directeur d'école sans savoir qu'il était le frère aîné de Papa Frédéric Kayolo. Et lorsqu'il l'a découvert: "Votre compétence est donc familiale", s'était-il écrié, admiratif. Ils partageaient ensemble un verre de skol à la procure alors que les rapports de Binton avec l'évêque se détérioraient. Ce n'était pas ma querelle, c'était clair dans ma tête. Je respectais l'abbé et admirais son énorme contribution à ce diocèse. Un jour, il avait versé des larmes lorsque je lui ai raconté que j'étais servant de messe à l'église St-Esprit de Kenge, lors des funérailles pour sa défunte mère. Bien que j'aie été le proche collaborateur de l'évêque, il ne m'était jamais venu à l'idée de porter un quelconque jugement sur l'abbé Binton. Encore moins de lui écrire une lettre anonyme. Dieu ait son âme. Qu'on me comprenne bien, je n'ai cité le nom de Mgr Binton que pour illustrer mon propos. J'aurais pu prendre un autre.
L'abbé Charles Kapende disait: "Là où il y a des hommes, il y a de l'hommerie". Nous ne sommes que des hommes, avec ce que cela implique. Kenge a des problèmes. Quel diocèse n'en a pas? Pourquoi ceux de Kenge doivent-ils être étalés sur la place publique? Les autorités hiérarchiques devraient gérer les crises humaines et financières en toute équité, en s'inspirant de l'amour du Christ. Le tribalisme, le népotisme, les injustices, les dissensions interethniques, la haine, le manque de respect de l'autre, n'ont jamais uni les hommes. Le petit geste anodin qu'on pose négligemment peut se révéler d'une générosité d'âme comme d'une cruauté exécrable.
Mes chers frères prêtres du diocèse de Kenge, je vous exhorte à la mesure: lavez vos linges sales à la maison, cessez la guerre ignoble de l'internet. Un peu de discrétion quand même. Protégez-vous et valorisez votre sacerdoce. Ce n'est qu'à ce prix que vous construirez l'église de Dieu. Pro fide, spe et caritate.
En la fête de St. Pierre Claver
ce 9 septembre 2011
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