Un prêtre qui voulait passer inaperçu a écrit une aimable lettre de menace de mort à son aîné prêtre à cause de ses prises de position intransigeantes vis-à-vis de la hiérarchie diocésaine accusée de tribalisme, de malversations financières, de clientélisme et de favoritisme. L'exercice consistait à lêcher les bottes du patron et faire bloc avec son camp. Bouchez vos oreilles car c'est un conte moderne. Le littéraire que je suis aime bien écrire n'importe quoi. Je ne parle pas de moi, mais d'un gribouilleur à la sainte plume assassine. L'anonymat lui a permis de s'attribuer froidement un surnom de Terminator sacré et de terroriser impitoyablement son confrère avec lequel il a beaucoup de comptes à régler. Un crime parfait sans tâches de sang ni empreintes digitales. Car sous ce masque, sous des titres peu dignes de son rang, le malfrat a déployé sur près de vingt pages ses talents de chien indomptable, d'asticot en soutane et de criminel impénitent, distribuant des cartes de bon service et des autodafés à ses ennemis, maudissant telle personne et vilipendant telle autre, étalant les malversations financières et les écarts de sa future victime à qui il a intimé de dresser sans délai le bilan (négatif et honteux) de sa longue vie sacerdotale. Tout tourne autour de l'argent, curieusement, chez cet arriéré mental. De quoi perdre votre foi en l'église une, sainte et catholique! Mal lui en a pris car il n'a malheureusement pas compté avec les ruses de l'Internet. Il a oublié que les documents de Microsoft Word gardent des propriétés de base. L'anathème largement diffusé à travers le net va sans doute réjouir les exploiteurs de scandales. Quidquid latet apparebit!
Ce qui m'intéresse dans cet acte insensé, c'est l'extension du désir de faire mal que l'on atteint dans l'anonymat. C'est le danger de l'internet. Derrière le personnage diffusant une nouvelle alléchante peut se cacher le plus abominable des mécréants et des tueurs à gage. Le nom s'efface au profit du prête-nom. Le réel s'efface au profit de l'épouvantail comme le loup du petit chaperon rouge. En cinq minutes, il est possible d'ouvrir une boite électronique et de diffuser, sous un pseudonyme anonyme, à des millions de personnes des menaces dignes d'une bombe. Le camouflage, le déguisement, le faux-fuyant, le vague, le nébuleux, le voile, le masque, le clin d'oeil, l'esquive, la feinte, le trompe-l'oeil, le clair-obscur... autant de subterfuges pour draper son revenant. L'internet, c'est aussi le lieu de l'expansion du suintement, de la fuite. Le secret se dévoile sous la forme de la fuite, et atteint le monde entier sans qu'on s'en rende compte. N'en est dupe qu'un étourdi, car il n'y a en réalité aucun secret sur l'Internet, c'est question de disposer d'outils susceptibles de fonctionner derrière la toile. Dans une entreprise, le patron peut contrôler par ce biais les activités de ses collaborateurs.
Vous avez dit Internet? Hier encore, j'ai reçu un message m'intimant de remplir un formulaire, faute de quoi mon blog et ma boîte seraient bloqués. Sans compter les millions qu'on m'offre si je donne toutes mes coordonnées personnelles. Cela se sait. J'en sais quelque chose, moi. Il y a quelque quatre ans, j'avais écrit un email à mon doyen dans lequel je donnais mes arguments sur le dossier d'une étudiante de terminale. Je défendais l'idée qu'elle devrait refaire le cours au lieu d'un examen supplémentaire. Eh bien, cette lettre confidentielle "emailée" à mon doyen avec copies pour mes collègues est tombée, Dieu seul sait comment, droit dans la boite de l'étudiante. Imaginez mon embarras! Que s'est-il passé? J'avais un mailing-list intitulé "French", mais je ne savais pas que l'adresse email de l'étudiante commençait par "Fren". Je découvris également que l'étudiante, bonne espionne, recevait régulièrement notre courrier interne... et se taisait, sauf lorsqu'il s'est agi de son propre cas. Moralité: soyons droits surtout lorsque nous nous croyons à l'abri des regards.
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