31 mars 2012

Ntalu bumbidi

Kubendula: décliner, analyser
Kutanga: lire, calculer
Ngogo: le mot
Ntalu: le nombre
Ntalu bumbidi: le pluriel
Bumosi: le singulier

Un peu de grammaire kikongo telle qu'elle me fut enseigner il y a cinquante ans bientôt.

30 mars 2012

A propos "Langues congolaises"

"Claver,
Tu écris des choses dont tu ignores, décidément, les bien-fondés. Tu n’es pas juriste, cela s’entend. As-tu jamais lu la constitution du pays. Au lieu de vanter les mérites des Suisses et des Canadiens que tu tiens pour des modèles, tu ferais mieux de t’informer d’abord. Les articles de la constitution sont clairs à propos des langues, tu peux les consulter sur l’internet. L’article 123 de la constitution de 1998 stipule :
Le français, l'anglais et les quatre langues nationales constituent les langues de travail du Parlement. Toutefois, chacune des chambres ou le Congrès peut admettre également l'usage d'autres langues du patrimoine culturel national.
Pour ton information, la constitution de 2006 a supprimé l’anglais comme langue officielle. Voilà qui répond à ta question sur l’usage des langues nationales dans les événements de la vie politique nationale. Un autre article stipule la protection de ces langues nationales.
Quant à ton intervention sur la défense de la langue française que tu perçois sur l’organisation du sommet de la Francophonie en RDC, elle relève d’un manque de réalisme politique. As-tu une idée de la publicité qui se ferait sur le pays à travers cet événement ? Mobutu a sollicité plusieurs fois de l’organiser, il n’a pas réussi à l’obtenir. C’est le mérite de Kabila de l’avoir enfin sur le sol congolais. Un tel événement ne peut être qu’à l’avantage du pays. C’est l’aboutissement de beaucoup de tractations et négociations." (Email du 30 mars 2012)

A quoi je réponds :
Cher Ami,
Merci pour ta réaction rapide à mon sujet d'aujourd'hui. Laisse-moi te dire quelque chose.
1.       Bien que je ne l’aie pas mentionné, j’ai une assez bonne connaissance de la constitution congolaise. Cependant entre la lettre et les actes, il y a souvent un précipice. Les langues nationales ont été promues à une époque à travers les médias  et la presse. Je me souviens du journal en kikongo  Kimpangi dont l’éditeur n’était autre qu’un aîné à moi, l’Honorable Hubert Masala sénateur dans la précédente législature. Je me souviens des manuels de vulgarisation médicale produit à Kangu. A travers le pays, les églises chrétiennes ont promu les langues liturgiques par d’excellentes traductions et des manuels de catéchèse, des lectionnaires, missels, etc.
2.       Tout cela est vrai, mais l’élan n’a pas suivi. Des décisions politiques bien ciblées doivent être prises. Si François Ier n’avait pas eu une vision pour le français, le français aurait disparu de la carte. La chose culturelle est souvent objet de choix et de vision. Lingala Facile, voilà une émission dont le concept du départ était louable, mais qui par la suite, s’est fourvoyée dans d’insolvables polémiques.
3.       L’éducation nationale doit prendre des mesures courageuses à propos de nos langues. Tout en respectant la liberté, elle doit imposer une ligne d’action susceptible de préserver notre identité.
4.       Que la constitution soit amendée et que l’usage des langues nationales soit permis dans les écoles. Pourquoi doit-on simplement enseigner le français, en français, à des élèves dont personne n’est sûr qu’ils maîtrisent cette langue celte, latine et qui n’a aucun rapport avec leur histoire ? Le temps a sonné pour remettre nos langues au centre du système éducatif. C’est le seul moyen de sauvegarder l’intégrité de nos langues. Suis une fois Impact et idéologie, tu me diras quelle langue y est parlée. L’avenir appartient peut-être au créole bantou-français.
5.       L’organisation du sommet de la francophonie vise à promouvoir la culture française et le français, langue-socle de la nation française. Les Congolais gagneront sûrement en visibilité sur le plan politique et international. Les Français y gagnent bien plus que nous. Il n'y a aucun secret car la francophonie leur assure une hégénmonie gratuite sur 55 pays dans lesquels le français est langue officielle ou d'adoption. Ainsi, dans des conférences internationales, la France parle au nom de ces francophones; c'est une opportunité en or que Mr Sarkozy et ses alliés ne déclineront jamais. En dépit de son ouverture en faveur des cultures francophones - allez-y voir ce que cette expression signifie -, la francophonie sert précisément cet objectif expansionniste. Quel prestige pour les reconnaissants francophones que d'être téléguidés par les maîtres qui leur ont imposé le français comme langue unique de la culture! Cela dépend surtout du côté où l'on se situe.
6.    Je n'irai pas jusqu'à dire comme Mongo Beti: "Seigneur délivre-nous de la francophonie". Je suggère que la francophonie soit repensée en vue d'une meilleure distribution de dividendes politiques ou culturelles que Français et Francophones peuvent en tirer. L'apprentissage du français ne doit pas se faire au détriment de nos langues locales, autrement nous ne serons que des Français à peau noire. Usons du français comme un moyen d'expression sans altérer l'essence de nos langues. La catastrophe cauchemardesque serait que nos enfants se servent d'interprêtes pour s'adresser à leurs grands-parents, cousins et autres compatriotes.

Les langues nationales congolaises

Je n'ai jamais compris le problème avec les langues vernaculaires de la RD Congo. Pourquoi les quatres langues ne sont-elles pas représentées sur les emblèmes de la nation? Cela n'a peut-être jamais effleuré l'esprit des dirigeants et des décideurs de ce pays. Il y a un réel problème d'identité non perçu par l'opinion. En tant qu'homme de lettres intéréssé aux problèmes des langues, je me sens très interpelé. L'oeuvre de la construction de l'Afrique n'est pas l'apannage d'un groupe isolé. Or, les langues font partie de notre authenticité identitaire. La RDC est très fière d'abriter les prochaines assises de la Francophonie. Nous sommes tellement englués dans cette fierté qu'il ne nous viendra jamais à l'esprit de nous demander de quelle langue française il s'agit ni quelle culture elle véhicule. De celle de Voltaire, propriétaire éternel et inaliénable de cette langue? Ou bien de celle de Tintin au Congo, charabia du Nègre? Un prestige, avouons-le franchement, est lié à la parfaite maîtrise du français. L'école coloniale a réussi là une mutation profonde en nous, au point de nous moduler sur son action assimilatrice et son système d'acculturation. Le français nous a été imposé; et nous continuons à nous l'imposer prétextant que nos langues africaines ou congolaises sont inadéquates pour véhiculer le savoir qu'il transmet.
Le passeport biometrique congolais est écrit en français et en anglais. L'ancien, c'est-à-dire celui qui a précédé, avait l'anglais, le français et le swahili. Pourquoi n'y a-t-on pas ajouté le tshiluba, le lingala et le kikongo? Faute d'espace ou surcharge, m'a un jour dit un compatriote. Auparavant il suffisait de bien parler lingala pour se voir attribuer la nationalité congolaise; cela a été remplacé par le swahili. Aujourd'hui, je ne sais pas. Les billets de la monnaie sont en français et en swahili. Encore une fois, pourquoi pas les trois autres langues du pays? La devise du pays devrait être officiellement traduite dans les quatre langues partagées par tous les natifs de ce pays. En fait, ces questions ne sont pas posées; en plus personne n'aide à résoudre cette erreur fondamentale. Lorsque j'ai dit à un compatriote qu'il fallait qu'on s'inspire des pays bilingues ou multilingues comme le Canada, la Belgique ou la Suisse qui reprennent la totalité de leurs langues sur tous les emblèmes nationaux, celui-ci m'a traité d'aliéné mental, de vendu, d'occidentalisé. Lorsque je lui ai dit qu'il s'agissait d'une question d'identité nationale, il a réfléchi un instant et s'est exclamé peu après: Que diable tu as raison!
Réfléchissez-y! La nation française est fondée sur l'unicité de la langue française. Le français est l'objet de l'article 2 de la constitution française. Lorsque vous vous pavanez à organiser le sommet de la francophonie, à quel schéma et à quel agenda obéissez-vous? Dans tous les cas de figures, pas à la culture congolaise ni africaine. Vous poursuivez la logique de l'hégémonie (impérialiste et coloniale) francaise. J'aime bien le français comme les autres langues occidentales que j'ai étudiées ou que j'utilise dans la vie, mais pas au détriment du kisuku, du kikongo ya leta, du kiyaka, du kipelende, du kihungana, du kilonzo, du kintandu, du lari, kizombo ou du lingala. Ce discours ne passe malheureusement pas chez mes compatriotes. Seul peut-être Mr. Salikoko Mufwene me comprendrait, à la rigueur.
Cela me rappelle un épisode de Berlin en 99 ou 00 je pense. Au cours d'une réunion, des compatriotes de la communauté congolaise de Berlin se sont farouchement opposés à ma suggestion d'utiliser nos quatre langues dans la présentation de nos activités. La seule langue des réunions était le lingala, arguant que tout Congolais digne de ce nom comprenait le lingala. Je n'oublierai jamais.
Il en va de la survie de nos langues, et donc, de nos cultures sur l'échiquier universel. Il en va de notre liberté car un peuple sans culture n'est pas un peuple; s'il en est un, c'est un peuple enchaîné, mort, sans personnalité. La question de nos langues conditionne même notre statut d'être humain. Il nous revient de défendre nos langues contre leur destruction en optant pour des programmes linguistiques conséquents. Avez-vous jamais entendu deux Allemands communiquer en kikongo entre eux? J'en sais quelque chose. Mme Erika Köberlein a appris, à Munich, le kikongo lorsqu'elle s'est rendu compte que ses compatriotes missionnaires allemands utilisaient le kikongo pour l'isoler de leur conversation. Elle parle et écrit le kikongo sans difficultés. Que les pratiques linguistiques qui jadis privilégiaient les langues locales dans les écoles (coloniales) soient remises à l'ordre du jour! La Tanzanie y a réussi avec le swahili, pourquoi pas la RD Congo avec ses quatre langues? La RDC n'est pas la Tanzanie, me rétorquera-t-on. Vrai, pas si différente non plus. Il n'y a aucune honte à voir ce qui se fait de bien chez le voisin. Je suis d'avis qu'il faut suivre un modèle lorsqu'il se révèle applicable, logique et bon. Un défi? Oui, mais réalisable si il y a une vision claire et une volonté d'action précises.

L'ordre mondial - une survivance impérialiste?

Impérialisme et colonialisme, voilà les maîtres-mots qui régissent le monde d'aujourd'hui. Cette réflexion me vient après avoir lu les démanrches entreprises à Kinshasa par le ministre belge des affaires étrangères. Mr Didier Reynders arrive au Congo-Kinshasa, s'entretient avec les autorités du pays et de l'opposition. Ce qui me dérange, c'est qu'il se permet de faire des déclarations sur le paysage et l'avenir politiques de la RDC. Il a déclaré par exemple que:
"Pour ce qui concerne l'opposition, tous les responsables que j'ai rencontrés aujourd'hui m'ont dit être prêts à jouer le rôle de l'opposition voire certains d'entre eux d'être dans un gouvernement d'ouverture si c'est possible. J'ai rencontré les élus de l'UDPS, ce qui m'a été dit ce matin ce que la grande majorité des élus de l'UDPS siégéraient à l'Assemblée et souhaitaient jouer leur rôle" (Source: Radio Okapi).
Comme toujours, j'en reviens à ma question: Sommes-nous vraiment indépendants? Serait-il jamais possible à son homologue congolais Tambwe Mwamba d'aller en Belgique et se prononcer sur la crise gouvernementale belge? J'en suis à me demander ce qu'est l'ingérence dans les affaires intérieures d'un état souverain. Etait-ce une mission de médiation ou de contrôle des forces politiques en présence? Chacun peut se poser un tas de question là-dessus.
On ne le dit pas haut. On se laisse chapeauter ou légitimer par la Belgique sur la scène internationale alors que la réciprocité n'est pas du tout évidente. Ce qui est curieux, c'est que personne n'y trouve à redire. La machine de l'ordre mondial est bien huilée et a encore de longues années devant elle. Les Africains, fragilisés et minés par leurs incohérences, n'y peuvent rien. On nous dicte d'en haut ce que nous devons faire, on nous impose la démocratie et ses règles, on nous force d'être bons ou mauvais élèves et d'être d'éternels demandeurs de solutions à nos problèmes. Quand est-ce que les Congolais résoudront eux-mêmes leurs crises? Avons-nous vraiment besoin des OK des anciens colonisateurs et leurs représentants pour nous "gouverner" avec compétence et efficacité? Si le discours officiel est différent, la pratique confirme cet assujetissement éternel.
Qu'on se le dise, les Belges servent d'abord leurs intérêts. Leur intervention ne saurait qu'embrouiller les Congolais dans leur effort de s'autogouverner et d'exploiter les ressources naturelles dont régorge leur pays. Je l'ai déjà dit ailleurs. C'est le vrai pari de la RDC. Les grandes puissances à travers leurs institutions parallèles n'agissent qu'en fonction de deux vecteurs: l'impérialisme et le colonialisme. Ces vocables possèdent à l'heure actuelle de la mondialisation de connotations précises: démocratie, droits de l'homme, bonne gouvernance, liberté sur le modèle occidental-américain. Prenez garde de vous tourner vers la Chine! De là à ne pas se scandaliser qu'un ministre belge vienne nous donner des leçons de gouvernance et de démocratie!

28 mars 2012

Sénégal: une vraie leçon de démocratie

Le départ d'Abdoulaye Wade du pouvoir est une vraie de leçon de démocratie. Au premier tour, j'ai pensé qu'il utiliserait la fraude et, si besoin, la force militaire pour se maintenir au pouvoir. Eh bien, je me suis trompé. Au départ l'octogénère voulait un seul tour; demande rejetée par le Parlement. Ce fut son premier échec car le premier tour l'aurait d'office consacré. Ainsi, dès qu'on a annoncé un second tour, il était clair qu'il perdait parce qu'il faisait face à un seul candidat supporté par tous les tenants de l'opposition. On ne peut que féliciter les Sénégalais pour ces élections libres et transparentes.
Le Sénégal, en effet, a longtemps été modèle de démocratie en Afrique. Il vient de le prouver une fois de plus. Senghor s'est retiré; Diouf a été battu aux élections par Wade. Aujourd'hui, c'est le tour de Wade de céder la place à du nouveau sang. On est vraiment loin des mascarades électorales qu'on voit ailleurs où le pouvoir en place s'accapare des média de l'Etat pour son propre compte, téléguide, terrorise ou falsifie les résultats. Coups de chapeau aux Sénégalais! Honneur au pays de la Teranga.

22 mars 2012

Adieu Bernard Bottey Zadi Zaourou!

20 mars 2012. Un grand critique littéraire africain a tiré sa révérence. Homme politique, homme des lettres et professeur d'université, Bernard Zadi Zaourou est connu pour sa théorie du Didiga. Spécialiste d'Aimé Césaire et de la littérature francophone en général, il s'est longtemps investi dans la revalorisation des arts et de la culture en Côte d'Ivoire et, donc, en Afrique. Hommage au maître de la parole héroïque! Que son âme repose en paix! 

Kanda Bongo Man à la Barbade










Je connais Kanda Bongo Man - j'entends sa musique - depuis plus de trente ans. Mais ce n'est que samedi 17 mars que j'ai eu l'immense plaisir de le voir live sur scène au Holders Seasons Festival. Un événement sans pareil pour la Barbade! Pour rien au monde, j'aurais pu manquer ce concert. Depuis des années que je vais à ce festival, je n'ai jamais vu autant de monde se tremousser. Je suis resté deux heures debout, à savouer chaque note et chaque son produits par mes compatriotes. D'habitude, les artistes africains qui viennent à ce festival drainent du monde, mais ce monde reste amorphe à les écouter sans bouger ni faire quoi que ce soit. Avec Kanda Bongo, c'était extraordinaire: Holders était en feu, galvanisé, l'ambiance chaude et tropicale. Les organisateurs eux-mêmes n'en revenaient pas.
J'ai découvert un Monsieur. Respect! Des inquiétudes que j'avais sur une éventuelle bavure comme c'est souvent le cas avec nos compatriotes se sont vite dissipées. Par le passé, j'ai assisté à des concerts où les musiciens se sont présentés en retard ou n'ont joué en tout et pour tout que trois ou quatre chansons, se moquant éperdument du public pourtant venu nombreux les saluer, les admirer ou s'amuser. A la fin du concert, j'ai crié: "Esili te" (C'est pas fini). Eh bien, ils ont exécuté une chanson de plus dans le style de Bella-Bella que j'adorais du temps de mon adolescence. Pour moi, c'était vraiment un retour aux sources. Merci Kanda Bongo Man.
L'après-midi du 18, les compatriotes africains -une bonne vingtaine - se sont retrouvés au park de Folkestone à St James, juste à côté de l'hôtel où ils étaient logés, pour un picnic. On a pu "socialiser" pour reprendre une expression anglaise. L'idée était de leur rendre le séjour agréable, de se connaître, de leur offrir une petite fête africaine. Kanda Bongo, Douglas, Jeannot, Ladi Mbala, les danseuses Paulette du Ghana et Cleopatra de Ste Lucie se sont arrangés pour se détendre avec nous, pour notre grand plaisir. Dans une ambiance bon enfant, on a échangé des contacts, ri du rire baniana, mangé du pondu et des beignets, bu de la bière et du sucré, chanté Mokolo nakokufa au son de la guitare de Mbala, pendant que nos enfants jouaient au parc. Vers 18 heures, une combi est venue récupérer les musiciens.
Le lundi 19 mars matin, j'ai passé presque deux heures de conversation avec l'auteur d'Esambé. Je l'ai interviewé sur ses débuts en musique et son parcours international. J'ai reçu une véritable leçon de musique, de l'histoire de la musique congolaise.  J'ai appris par exemple que le hit "Lofesse" de Soki Dianzenza était composé alors que ce dernier était malade, interné au CNPP de Kinshasa et qu'il s'était présenté en tenue du centre psychiatrique pour l'enregistrer au studio de Johnny Bokelo. Je livrerai un jour cette interview s'il plait à Dieu, car il me faudra enlever certains détails. Vers midi, je l'ai déposé au Holders House, d'où il partirait avec les autres pour l'aéroport. On se reverra bien, un jour!

Au tour du Mali maintenant

En Afrique, le pouvoir, le vrai, j'ai toujours dit, se conquiert et se conserve par les armes. Revenez me parlez de démocratie dans cent ans. Elections? Oui, mais avec les armes sous la table. Celui qui a le pouvoir le garde, le doigt sur la gachette comme ce fut autrefois le cas avec Baby Doc en Haiti. Celui qui se conquiert par les élections demeure fragile tant que le sang ne coule par l'arme.
Au Mali, le putsch est pacifique, on parle de redressement de la démocratie chez la junte qui s'est emparé du pouvoir hier ou ce matin. Y a-t-il jamais eu démocratie? Jamais, et c'est pas la faute à Mr. Toumani Touré, qui n'a pas su gérer la rébellion du nord. Un général d'armée est toujours un putschiste en puissance. La militarisation de l'Afrique n'est jamais finie. Le scénario est partout le même. Les décrets tombent: "suspension de la constitution", "dissolution des institutions", "couvre-feu" dès 6 heures. Les militaires ont pris leur responsabilité face à l'incompétence du régime d'ATT: c'est leur mission de restaurer l'ordre. Ministres, sénateurs, députés, commissaires, tous à la poubelle. On fait du nouveau avec du nouveau sang. On révise le mot-miracle qu'est la démocratie.
Des dénonciations pleuvent de toutes parts, de tous les pays et organisations internationales, même des pays qui forment et envoient les guides providentiels en Afrique qui ont été pris de court, mais les mutins tiennent le bon bout; ils ont Bamako. Retour à l'ordre constitutionnel! Mais vous rêvez. Ils vont imposer leur constitution; elle a déjà un nom: le Capitaine Sanogo.
Démocratie, démocratie, quel vilain mot!

14 mars 2012

A propos "Incendie du dépôt de Mpila"

Voici une réflexion d'un ami écrivain congolais:

"Claver,
L’incendie qui s'est déclenché sur le dépôt de l’armement et les munitions de Mpila (Congo Brazzaville) est un événement malheureux qui fait réfléchir. Comment un accident pareil a-t-il pu arriver? Pourquoi a-t-on déposé tant de munitions près de la population? C'est la preuve que le peuple est piégé par des "épées de Damoclès" larguées de toute part. De là à parler de terrorisme d'Etat. Les milliers de morts et blessés qu'on a dénombrés à Brazzaville sont simplement des victimes de l'inconscience de nos dirigeants plus soucieux de leur main-mise sur le pouvoir que tout autre chose. L'hôtel Majorque n'existe plus... depuis une décennie; les impacts des balles sont encore visibles sur certains bâtiments du centre-ville. Comme si cela ne suffisait pas, Brazzaville s'est réveillée aux coups de canons et de bombes propulsés par l'inconscience de ceux qui sont sensés protéger la population. S'il t'arrive de rencontrer l'abbé Zoubakela, demande-lui combien de ses chrétiens sont morts ou blessés à cette occasion, sacrifiés sur l'autel de la peur de ceux qui nous dirigent.
Avons-nous vraiment besoin de telles armes si incendiaires? Avons-nous vraiment besoin de l'armée? Regardez l'histoire du Congo, combien des fois l'armée a-t-elle vraiment défendu les frontières du Congo contre des envahisseurs étrangers? Les armes ont toujours tué des citoyens congolais, au lieu de les protéger. L'histoire nous apprend que même le président Marien Ngouabi, même le cardinal Biayenda, nul n'est à l'abri de la menace des armes et de l'assassinat. L'arme tue, on le sait; elle est dangereuse, on le sait; mais on l'accumule pour terroriser sa population, et éviter les putsch. D'aucuns ont d'ailleurs pensé à l'amorce d'un coup d'Etat. Avons-nous, pays pauvres, vraiment besoin de dépenser autant de milliards de dollars dans l'armement?
Les Suisses, dégoûtés de la militarisation de leur identité par l'imposition du service militaire, ont il y a quelques années ouvert une "campagne pour une Suisse sans armée". Sans succès, certes, mais ils ont osé. Clair du moment que ce pays produit et exporte des armes. Je me souviendrai toujours de ton condisciple, Patrick Suter, sommé de subir la prison pour avoir refusé de faire le service militaire. Dans nos pays, il aurait été purement et simplement "exécuté", pour haute trahison. Il n'y a pas de place pour l'objection de conscience. C'est cela la différence avec les pays démocratiquement évolués.
L'Afrique connaîtra une ère de prospérité et d'avancement démocratiques le jour où elle maîtrisera les excentricités de ses armées. Chaque général en Afrique est un putschiste virtuel. C'est toi qui dis qu'un enfant de douze ans armé jusqu'aux dents est viscéralement plus cruel que cent adultes réunis. On n'a pas besoin d'armes, mais d'eau et de pain. J'attends impatiemment ta réaction à ces réflexions cousues de toutes pièces." AA. (Email du 12 mars 2012)

Les langues africaines, sujet de débats

Les débats sont souvent houleux lorsqu'il s'agit des langues africaines souvent jugées réticentes à la science. On préfère souvent la langue coloniale à la langue des voisins. Pourquoi? Simplement parce que l'Occident a réussi à assujétir mentalement tout le monde. Quel privilège que de maîtriser la langue française ou anglaise pour un Africain sorti des prestigieuses écoles de l'Occident! Ne se vante-t-il pas de mieux parler la langue de Shakespeare comme cela ne s'entend plus? Ne se vante-t-il pas d'être admiré par les tenants de ces langues? En Allemagne, lorsqu'on félicite un étranger pour le bon maniement de l'allemand, c'est qu'il le parle mal. Un trait culturel, mais presque jamais perçu par les naïfs "zétrangers" que nous sommes.
Langues africaines? A défaut de barrer le chemin des postes ministériels, elles vous enterrent dans votre réduit natal. Que faire? Perdre son identité en manipulant la langue coloniale avec une aisance susceptible d'émouvoir les propriétaires légitimes de cette langue.
A un mikiliste qui traitait un homme récemment débarqué d'Afrique, Djanana a une fois dit: "Yo nani? Bernard Tapie?" (Qui es-tu? B Tapie?). Tout est dit.
J'entends encore des Zaïrois se moquer des Rwandais qui confondent la lettre "l" et "r", prétendant que ce dernier parlent mal. Et même encore, un tel débat est le résultat d'une aliénation mentale et d'une prétention oiseuse. N'importe quoi! D'autre part, il suffisait de dire deux phrases en lingala pour s'attribuer un passeport zaïrois. Je parle de mon temps de Fribourg.
D'Aimé Césaire, les créolistes disent la même chose, au point de l'accuser de mieux parler le français que le créole, voire de ne pas savoir le créole. Chamoiseau et Confiant exploitent souvent cette corde pour vilipender leur "père à jamais" aux yeux de leurs lecteurs.
Je me souviens de Tonton, un fou de Kimbau qui, du temps de mon école primaire, maniait un français original: "ça va très bien, monsieur le directeur, mais la djabi mal".  (entendez les habits mal). De là à parler petit-nègre.
Pourquoi nous forçons-nous à nous apprivoiser d'une langue que les condescendants propriétaires nous refusent? Quel profit en tirons-nous? Eh oui, "délivre-nous Seigneur de la francophonie", aurait prié Mongo Beti. Nos écrivains francophones le savent mieux que quiconque. Par notre attitude de supplicateurs de la magnanimité française ou anglaise, nous nous rendons coupables d'un manque notoire de personnalité et d'amour-propre identitaires.
N'attendons pas des Français qui détruisent nos langues en nous imposant le français au nom d'une unité nationale de surface qu'il leur viendra un jour à l'esprit l'idée de les réhabiliter. Sauvons nos langues. Le premier lieu où la lutte de leur survie doit avoir lieu, c'est à l'école. Ce n'est pas le souci de nos gouvernants, plus préoccupés de pouvoir et de leur enrichissement personnels que de l'évolution culturelle de nos pays. Avez-vous jamais vu deux Occidentaux s'entretenir en wolof, en umbundu ou en ewondo, en ewe ou en zulu? Défendons nos langues.

4 mars 2012

Les langues africaines dans l'éducation nationale


Après les indépendances africaines, beaucoup d'intellectuels ont adopté l'option de Julius Nyerere à propos de l'usage des langues africaines dans l'éducation scolaire. Un ancien ministre de la culture ou de l'éducation m'a raconté son aventure à travers les villages congolais. Jeune et dynamique à l'époque, fraîchement sorti de ses études d'histoire, surtout convaincu de l'idée que les Africains se réapproprient leur histoire et leur identité spoliées par l'Occident, il était en pleine campagne de sensibilisation lorsqu'il fut interpelé par un vieux du village. Lisez:
- Vous proposez qu'on étudie en monokoutouba ou lingala dans les écoles?
- Exactement, répond le jeune ministre.
- Mais vous-même êtes devenu ministre justement parce que vous maîtrisez la langue française?
- Que non? Je ne suis pas contre le français. Je propose que l'enseignement soit africanisé dans nos écoles. Nous devons sortir du néocolonialisme en rompant avec l'usage unique du français. Nos enfants doivent être capables de lire et écrire nos langues véhiculaires, et d'apprendre les sciences dans nos propres langues. C'est notre seule voie de salut.
- Monsieur le ministre, ce que vous demandez là est impensable. Avec le monokoutouba et le lingala, nos fils ne deviendront jamais ministres, n'iront jamais se former aux pays des Blancs comme vous. Je regrette de soutenir le contraire. Pour preuve, comme l'abbé Youlou en son temps, Massamba-Debat ne s'adresse à la nation qu'en français. Avez-vous jamais entendu un seul mot kikongo ou lingala de sa bouche? Revenez nous en parler une autre fois.

Ce fut la fin de la campagne.