30 mars 2012

Les langues nationales congolaises

Je n'ai jamais compris le problème avec les langues vernaculaires de la RD Congo. Pourquoi les quatres langues ne sont-elles pas représentées sur les emblèmes de la nation? Cela n'a peut-être jamais effleuré l'esprit des dirigeants et des décideurs de ce pays. Il y a un réel problème d'identité non perçu par l'opinion. En tant qu'homme de lettres intéréssé aux problèmes des langues, je me sens très interpelé. L'oeuvre de la construction de l'Afrique n'est pas l'apannage d'un groupe isolé. Or, les langues font partie de notre authenticité identitaire. La RDC est très fière d'abriter les prochaines assises de la Francophonie. Nous sommes tellement englués dans cette fierté qu'il ne nous viendra jamais à l'esprit de nous demander de quelle langue française il s'agit ni quelle culture elle véhicule. De celle de Voltaire, propriétaire éternel et inaliénable de cette langue? Ou bien de celle de Tintin au Congo, charabia du Nègre? Un prestige, avouons-le franchement, est lié à la parfaite maîtrise du français. L'école coloniale a réussi là une mutation profonde en nous, au point de nous moduler sur son action assimilatrice et son système d'acculturation. Le français nous a été imposé; et nous continuons à nous l'imposer prétextant que nos langues africaines ou congolaises sont inadéquates pour véhiculer le savoir qu'il transmet.
Le passeport biometrique congolais est écrit en français et en anglais. L'ancien, c'est-à-dire celui qui a précédé, avait l'anglais, le français et le swahili. Pourquoi n'y a-t-on pas ajouté le tshiluba, le lingala et le kikongo? Faute d'espace ou surcharge, m'a un jour dit un compatriote. Auparavant il suffisait de bien parler lingala pour se voir attribuer la nationalité congolaise; cela a été remplacé par le swahili. Aujourd'hui, je ne sais pas. Les billets de la monnaie sont en français et en swahili. Encore une fois, pourquoi pas les trois autres langues du pays? La devise du pays devrait être officiellement traduite dans les quatre langues partagées par tous les natifs de ce pays. En fait, ces questions ne sont pas posées; en plus personne n'aide à résoudre cette erreur fondamentale. Lorsque j'ai dit à un compatriote qu'il fallait qu'on s'inspire des pays bilingues ou multilingues comme le Canada, la Belgique ou la Suisse qui reprennent la totalité de leurs langues sur tous les emblèmes nationaux, celui-ci m'a traité d'aliéné mental, de vendu, d'occidentalisé. Lorsque je lui ai dit qu'il s'agissait d'une question d'identité nationale, il a réfléchi un instant et s'est exclamé peu après: Que diable tu as raison!
Réfléchissez-y! La nation française est fondée sur l'unicité de la langue française. Le français est l'objet de l'article 2 de la constitution française. Lorsque vous vous pavanez à organiser le sommet de la francophonie, à quel schéma et à quel agenda obéissez-vous? Dans tous les cas de figures, pas à la culture congolaise ni africaine. Vous poursuivez la logique de l'hégémonie (impérialiste et coloniale) francaise. J'aime bien le français comme les autres langues occidentales que j'ai étudiées ou que j'utilise dans la vie, mais pas au détriment du kisuku, du kikongo ya leta, du kiyaka, du kipelende, du kihungana, du kilonzo, du kintandu, du lari, kizombo ou du lingala. Ce discours ne passe malheureusement pas chez mes compatriotes. Seul peut-être Mr. Salikoko Mufwene me comprendrait, à la rigueur.
Cela me rappelle un épisode de Berlin en 99 ou 00 je pense. Au cours d'une réunion, des compatriotes de la communauté congolaise de Berlin se sont farouchement opposés à ma suggestion d'utiliser nos quatre langues dans la présentation de nos activités. La seule langue des réunions était le lingala, arguant que tout Congolais digne de ce nom comprenait le lingala. Je n'oublierai jamais.
Il en va de la survie de nos langues, et donc, de nos cultures sur l'échiquier universel. Il en va de notre liberté car un peuple sans culture n'est pas un peuple; s'il en est un, c'est un peuple enchaîné, mort, sans personnalité. La question de nos langues conditionne même notre statut d'être humain. Il nous revient de défendre nos langues contre leur destruction en optant pour des programmes linguistiques conséquents. Avez-vous jamais entendu deux Allemands communiquer en kikongo entre eux? J'en sais quelque chose. Mme Erika Köberlein a appris, à Munich, le kikongo lorsqu'elle s'est rendu compte que ses compatriotes missionnaires allemands utilisaient le kikongo pour l'isoler de leur conversation. Elle parle et écrit le kikongo sans difficultés. Que les pratiques linguistiques qui jadis privilégiaient les langues locales dans les écoles (coloniales) soient remises à l'ordre du jour! La Tanzanie y a réussi avec le swahili, pourquoi pas la RD Congo avec ses quatre langues? La RDC n'est pas la Tanzanie, me rétorquera-t-on. Vrai, pas si différente non plus. Il n'y a aucune honte à voir ce qui se fait de bien chez le voisin. Je suis d'avis qu'il faut suivre un modèle lorsqu'il se révèle applicable, logique et bon. Un défi? Oui, mais réalisable si il y a une vision claire et une volonté d'action précises.

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