12 avr. 2012

La corruption routière

Le texte de Ken Saro-Wiwa dit tout haut ce qui se passe sur les routes d'Afrique. Quiconque voyage sur les autoroutes, routes, rues et pistes africaines rencontre à un moment ou à un autre ce phénomène: une police routière avide d'argent et de biens des usagers de ces routes.
Okonkwo n'est pas heureux de sa promotion au titre d'inspecteur et voudrait rester sergeant parce qu'avec l'argent reçu du traffic il a pu se contruire une grande maison avec frigo et meubles et épouser quatre femmes. L'inspecteur, c'est juste un titre; c'est s'asseoir au bureau alors que les "affaires profitables" se règlent sur la route. D'où ses pleurs et son désenchantement!
"Refus d'obtempérer aux injonctions", telle fut longtemps la phrase française exhibée par tous les policiers dans leurs rapports. Chaque policier, gendarme ou militaire posté sur la route, en fait son "ligablo", une source avantageuses de revenues qui dépasse de loin son salaire mensuel, encore faut-il que celui-ci soit payé.
En juillet 2003, nous étions en route pour Bandundu. Arrivés au Pont Mayindombe, des agents en tenues militaires nous arrêtent ayant remarqué que le Dr Mosimi tournait une vidéo caméra. Rien à faire: il fallait leur laisser la caméra parce que nous menacions la sécurité du pays. A notre proposition de détruirele film, ils ont dit niet; ils devraient garder l'appareil, sans plus. On a perdu plus d'une heure à discuter. Le rapport était écrit sur un vieux cahier d'écolier sans entête ni sceau. Farce de voleurs! Lorsqu'on a proposé 50 USD, ils en ont exigé 300; ils ne voulaient surtout pas de Francs congolais car l'incident était très grave. Ayant appris que Donat était médecin et vivait en France, ils ont monté les enchères. Je ne sais plus combien on leur a donné.
Dans ce pays-là, les choses dépendent souvent de l'individu qui se trouve en face de vous. Une Congolaise d'origine rwandaise m'a raconté en Suisse qu'elle a conduit sa voiture sans permis de conduire à Kinshasa pendant plus de dix ans sans avoir jamais été inquiétée par la police routière. "Deuxième bureau" d'un ministre mobutiste, comme on dit au Congo, elle roulait en mercedes. Et comme elle était de stature forte et imposante, personne n'osait la déranger. On respecte la femme de... Elle entrait même au Mont Ngaliema sans être contrôlée. Les ennuis n'existent que pour les pauvres, les basses classes.
J'ai une fois vu un camion militaire sur lequel on chargeait des sacs de manioc confisqués auprès des commerçants sur la route du Bas-Zaïre. La barrière placée là filtrait tous les véhicules en direction de Kinshasa. L'autre direction ne les intéressait pas.
Ne parlons pas d'extorsion d'argent, de confiscation d'animaux domestiques sous prétexte qu'ils ne disposent d'aucun document vétérinaire, voire de confiscation de véhicules entiers avec marchandises.
Il y a eu un gendarme qui s'est rendu célèbre a cause de sa probité et de son honnêteté. Il s'appelait Charlot. Dieu ait son âme. Il était réputé être le seul gendarme dans toute la ville de Kinshasa à ne jamais exiger des pourboires ni de corruption. Par contre, les taximen, les chauffeurs et autres usagers de la route le gratifiaient de dons généreux. C'était un plaisir de le voir organiser la circulation au croisement des avenues Kasavubu et Rwakadingi, son poste de travail. C'était un Monsieur. Comme pour dire qu'au milieu de cent brebis galeuses, il y a toujours une brebis non atteinte par la pandémie. Respect!
Tout ne s'explique pas par la pauvreté ni le manque de paiement. Les fonctionnaires sont impayés depuis des années, mais n'ont aucune emprise sur les gens. Ainsi, lorsqu'ils attrapent un dossier juteux, ils en profitent. S'ils se retrouvaient sur la route, ils auraient sans aucun doute agi de la même façon que les policiers routiers.
Souvent, ces policiers doivent arrondir une somme à remettre à leurs chefs invisibles, qui les dispatche selon leur volonté à travers les rues des villes et les routes du pays. Un versement journalier comme pour un propriétaire de taxi. Une fois la somme exigée par les chefs obtenue, les policiers s'empressent de penser à leur propre poche. C'est du donnant donnant. Les premières heures, on travaille pour le chef; le reste de la journée pour soi-même. Chaque grand véhicule doit payer quelque chose à ces vautours de la route. Okonkwo avait raison de refuser le titre d'inspecteur. La corruption est également ancrée dans la mentalité qu'un policier cherchera une infraction là où il n'y en a pas ou cherchera à aggraver un petit incident anodin. C'est toute la société qu'il faudrait, en réalité, changer de fond en comble.

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