24 mai 2020

Confinement, quid?

Les mots surviennent et passent comme la mode. Chaque époque possède ses mots de prédilection par lesquels elle se caractérise. Ce n'est jamais le fruit du hasard comme souvent on le croit. Les circonstances créent un mot ou une expression et les sémantisent pour répondre à une sensibilité propre et précise. L'onomastique est de ce point de vue révélatrice de l'environnement socio-historique et culturel qui entoure la production d'un verbe, d'une expression ou d'un énoncé. Les particularités lexicales dépendent de l'institution, de la région ou du pays qui les produisent. Les belgicismes ou africanismes figurent au nombre des tournures reconnues par les plus récents dictionnaires de la langue française. 
Dans beaucoup de villes africaines, le mot "délestage" démontre combien les autorités urbaines ne sont plus en mesure de fournir simultanément l'électricité à toutes les parties de la ville. On alterne la distribution entre zones est - sud - ouest - nord et vice-versa, en fonction des jours, heures ou moments déterminés. Tout le monde connait ce vocable parce qu'il est vécu ces dernières années. Il y a trente ans, la distribution de l'électricité s'effectuait normalement à travers la ville. Mais la mauvaise gestion, la vétusté de l'équipement, l'expansion géographique ou l'augmentation de la population urbaine ont eu pour conséquence immédiate l'insuffisance de l'électricité pour tout le monde. D'où le recours à un rationnement contrôlé et différé de l'électricité à travers les différents quartiers urbains. 
Depuis quelques mois, c'est le mot "confinement" qui a vu le jour avec son tas d'expressions telles que "gestes  barrières", distanciation sociale", "mise en quarantaine", "port de masque". C'est "l'ère du coronavirus", le temps du Covid-19. On parle même de pandémie, de "pré-covid-19" et de "post-covid-19". Des mots ou expressions connus, il y a peu de temps, des spécialistes mais totalement inconnus du grand public reçoivent des connotations particulières. Confinement, ou shutdown, lockdown, ou Lockerung - je vois aussi Ausgangsbeschränkung - c'est la nouvelle réalité: "Plus rien ne sera comme avant". Afin d'éviter la contagion virale, le monde entier est prié de "rester chez soi". Une dictature sociale qui ne dit pas son nom. A-t-on jamais vu cela dans l'histoire qu'une maladie maintienne  enfermés des milliards d'humains à la maison pendant des semaines et des mois? Une sorte de peste à peine voilée, mais dont l'impact se révèle terriblement terrorisant et traumatisant sur l'avenir du monde. Des avions sont cloués au sol, des voitures stoppées devant les maisons, écoles et institutions publiques fermées, tous les lieux de rassemblement - églises, restaurants, théâtres, hôtels, marchés -    sommés de fermer jusqu'à nouvel ordre. Ordre a été donné par les puissants de ce monde de changer l'ordre économique et géopolitique du monde. 
Port de masques. Il y a quelques années, j'avais vu une collègue asthmatique avec un masque blanc au visage alors qu'elle conduisait sa voiture. L'image m'avait à la fois choqué et amusé. Quinze ans plus tard, ne me voilà-t-il pas conduisant masqué? Ce geste jadis obsolète s'impose aujourd'hui comme une norme de salut. Et lorsque j'en vois par centaines ou milliers, le littéraire que je suis pense spontanément au gouvernement des borgnes dont parle Tchicaya U Tam'si dans le Destin glorieux de Nnikon Nniku prince consort. Pour plaider allégeance au Président Ni Con Ni Cul et devenir son ministre, il faut s'éborgner d'un oeil. Imaginez tout un pays soumis à porter le masque à  l'oeil plutôt qu'au nez et au menton. Vous aurez alors compris ce qu'est le confinement. 


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