20 oct. 2013

La coupure épistémologique ou éloge à l'abbé professeur Kahanga

S'il est des noms et des expressions philosophiques qu'un étudiant de l'abbé Dominique Kahang'A Rukonkish se devait de connaître, ce serait sans doute: coupure épistémologique, Gaston Bachelard, Chambron, Michel Henri, Heisenberg, Einstein, Max Plank, e=mc2, la théorie de la relativité, "la nature devient une activité", nouvel esprit scientifique, réalisme naïf, etc." J'en parle avec certitude parce qu'à l'issue de sa conférence au colloque inaugural du CRECEM, je lui ai dit: "Monsieur l'abbé, je me suis retrouvé dans notre cours d'épistémologie à Mayidi de 76-77." Il a répondu: "C'est de la permanence". 
J'ai connu l'abbé Kahanga à la fin d'octobre 1976 au grand séminaire de Mayidi. C'est l'abbé Louis Nioka qui m'avait présenté à lui, le soir de son arrivée. Je commençais la deuxième année de philosophie. Cette année-là, les abbés de la Province ecclésiastique de Kinshasa reprenaient la direction de Mayidi, après l'exercice raté avec le rectorat de l'abbé Ludiongo qui a vu le grand séminaire fermé en 1974-75. L'abbé Ignace Makela de Kisantu était le recteur. L'abbé Dominique est donc venu renforcer l'équipe professorale. Il faut avouer, qu'il a réussi à inspirer à ses étudiants le goût de la philosophie, l'enthousiasme érudit dans l'appréhension de cette science o combien cérébrale. Les jésuites que nous avions eus en première année - les pères De Cock, Dirven, Mortiaux, Peeters, Van Iseghem - étaient certes des savants remarquables mais n'avaient pas le charisme éloquent et impressionnant d'un Kahanga. Les abbés avaient vraiment remis Mayidi sur les roues. Félicitations pour le pari gagné! L'arrivée une année plus tard de l'abbé Hippolyte Ngimbi, mon maître, a consolidé l'œuvre de restructuration du séminaire face au chaos créé au départ des vénérables jésuites.
Je suis devenu proche de l'abbé Kahanga grâce à Séraphin Kiosi, celui-là même qui, le premier, m'a annoncé sa mort. Ce geste est d'une très profonde signification pour nous deux. Tout est parti d'un si concours de circonstances. L'abbé Dominique partageait une similarité avec Séra: ils étaient tous les deux fils de militaires (gendarmes). Ainsi, lorsque l'abbé avait envie de sortir de Mayidi, il nous prenait dans une VW, Séraphin et moi. Nos randonnées de Mbanza-Ngungu se terminaient souvent par un pot au restaurant de l'hôtel Métropole. C'est là que j'ai pris du Gin Tonic pour la première fois. A ses frais bien entendu! Ces occasions nous ont permis de le connaître un peu plus, d'échanger sur différents sujets de la vie. Pour l'abbé Kahang', j'étais simplement "le technicien du football".
A Mayidi, l'abbé Kahanga a laissé l'impression d'un éminent professeur, d'un connaisseur très doué des sciences philosophiques et surtout d'un être humain plein d'humour et d'amabilité. Son langage impressionnait. Beaucoup de collègues ont vraiment apprécié  ses enseignements et ses connaissances et ont en quelque sorte bâti leur carrière universitaire sur celle de l'abbé Dominique. Je peux citer les amis: Chrysostome Akenda et René Ngambele. Et l'abbé les a encouragés, tant faire que se pouvait, à se spécialiser en philosophie. Il a marqué tous mes congénères et condisciples de Mayidi à la réflexion critique. Même ceux qui ont opté pour d'autres disciplines l'ont tenu et le tiennent toujours en respect.
De Mayidi l'abbé Dominique est retourné à Strasbourg pour finir son doctorat de troisième cycle. Pendant ce temps, je l'ai revu à Rome où il est venu, avec sa sœur, passer les fêtes de noël et de nouvel an 80. La communauté ecclésiastique de Bandundu, alors présente, les a reçus au Collège St Pierre où habitaient ses co-diocésains les abbés Alphonse Ndeki et Phocas Pfunga-Pfunga. Pour la petite histoire, c'est à cette fête que Faustin Mampuya s'était enivré après avoir avalé à sec trois verres pleins de gin. J'ai déjà raconté cet épisode ailleurs. C'était dans la nuit du 31 décembre 79 au 1er janvier 80. Nous avons fait un tour de Rome ensemble.
Rentré peu de temps après sa défense de thèse, il a été affecté au grand séminaire de Kalonda. Il est devenu recteur de cette institution en 1981, en remplacement de l'abbé Boniface Ndoyi d'Idiofa. Il avait aussi pris des enseignements aux facultés catholiques et y participait aux semaines philosophiques. Il a géré Kalonda avec brio car le niveau intellectuel et spirituel du grand séminaire a très bien évolué. Lorsque je travaillais à l'évêché de Kenge, nous avons beaucoup collaboré vu que l'évêque de Kenge était responsable des séminaires pour la région. Et il était secrétaire des évêques de la province de Bandundu. A ce titre, il a contribué à la création du grand séminaire théologique de Kikwit. Au niveau personnel, on discutait souvent; il m'a invité chaque année à animer une récollection à Kalonda. Une fois, il m'a ramené à Kenge: en chemin, il s'est mis à ma grande surprise à entretenir son chauffeur, qui n'y comprenait rien mais en avait l'habitude, sur la "quiddité" et "l'essence". Notre relation personnelle était tellement bonne que je n'ai pas hésité à lui demander d'écrire une recommandation pour mon admission à Fribourg. Ce qu'il a fait volontiers.
L'abbé Dominique savait faire rire. Un jour, il m'a rapporté l'homélie la plus courte et la plus claire qu'il ait jamais entendue de sa vie. C'était à l'occasion d'une retraite du clergé de Popo. L'animateur a simplement dit à la fin de l'évangile: "Monseigneur, chers confrères dans le sacerdoce. Beaucoup de gens ont entendu cet évangile et sont allés en enfer. Quant à nous, essayons de ne pas aller en enfer". Chacun, en commençant par le haut prélat, a retenu un sourire.
En septembre 87, peu avant que je parte de Kenge, il a récupéré des équipements sportifs pour le grand séminaire. Puis on s'est revus une fois à la procure de Kenge à Kinshasa. Je suis parti. J'étais informé de ses passages à Montpellier et à la Commission épiscopale Justice et Paix. Nous nous sommes revus une dernière fois à l'occasion du colloque du CRECEM en décembre 2010. J'avais perçu, comme tous les collègues présents, sa santé fragilisée. Au moins, il avait un message pour moi: "Mgr Nzala m'envoie te dire qu'il viendra à ta présentation". Ce qui s'est fait. Après le colloque, on s'est séparés. Il repartait le lendemain sur Montpellier. Et depuis...
Professeur réputé très  rigoureux et compétent, l'abbé Dominique Kahanga appartient à la crème de la crème. Un intellectuel de très grande valeur et un homme de Dieu qui a servi l'Eglise avec humilité, discrétion et zèle. Avec lui, le pays, l'église, la région, le Kwango perdent un de leurs fils les plus brillants. "Il a combattu le grand combat". Que la couronne des élus lui soit conférée! Requiescat in pace!
Je m'unis de cœur avec toute la communauté ecclésiastique et au diocèse de Popokabaka pour pleurer ce serviteur de Dieu. Mes condoléances à Mgr Nzala, au clergé de Popo et à sa famille biologique! Kwenda mbote, mbuta! Mfumu Nzambi kuyamba nge na bwala na yandi.



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