30 avril 2022. Cette journée est consacrée à l'enseignement en République démocratique du Congo. C'est l'occasion de revaloriser ce métier qui a été longtemps foulé au pied. Je suis né dans l'enseignement et mourrai dans l'enseignement. Dans ma jeunesse, j'ai parcouru différents villages au rythme du métier de mon paternel. J'ai passé ma tendre enfance dans des postes scolaires. Mon père a exercé le métier d'enseignant, moi je l'exerce jusqu'à ce jour. C'est une tradition familiale: mes soeurs et frères sont dedans. Un y était. Une autre y est aussi mais en tant qu'agente de ministère tout comme une nièce. Les plus jeunes ont préféré faire autre chose. Quoi qu'il en soit, l'enseignement nous a tous marqués, à différents niveaux. Je me permets comme à mon habitude d'ébaucher quelques réflexions spontanées sur l'enseignement en Afrique.
L'enseignement n'a jamais obtenu la place qui lui revient dans ce continent comme dans le reste du monde. Le monde occidental a développé un modèle sur lequel se sont greffés les pays sous-développés. Il a imposé un système qui répond plus à son expansionisme colonial plutôt qu'aux problèmes réels des pays anciennement colonisés. Tant que ce système restera en place, rien de bon ne se réalisera dans le Tiers-Monde. Ni sa forme ni son contenu ne correspondent à l'esprit de nos peuples à cause de l'hégémonie occidentale sur ce secteur important de la vie. Et nos pays, victimes du paternalisme scolaire, n'ont jamais réussi à élaborer des programmes adéquats indépendants et pertinents. Il y a des causes endogènes et exogènes à cette situation.
Un manque d'intégration. L'Afrique n'a jamais vraiment compris ni intériorisé la valeur de l'enseignement véhiculée par l'administration coloniale et ses piliers d'action. Si le savoir est demeuré l'apanage du colonisateur, l'idée s'est répandue de croire ce dernier intellectuellement supérieur et même propriétaire du savoir. L'enseignement en inculquant la langue et les sciences de l'envahisseur a perpétué ce complexe d'infériorité. Des stéréotypes raciaux se sont ajoutés au tableau discriminatoire. Nos autorités politiques sont elles-mêmes les premières à douter de l'efficacité de l'enseignement qu'elles organisent et dont elles administrent le fonctionnement. Elles les compromettent à tel point que leurs propres progénitures ne fréquentent pas ces écoles. Leurs enfants sont dans les écoles américaines, françaises, belges ou européennes disséminées à travers le monde lorsqu'ils ne sont pas carrément expatriés. Au niveau supérieur et universitaire, le cas est identique. Les diplômes reçus en Occident font l'objet d'une admiration sans failles et sont préférés aux diplomes locaux. La perception répandue est que la qualité de l'école européenne dépasse celle de l'école africaine.
Une négligence systémique. L'enseignement ne compte pas parmi les priorités du pays alors qu'il devrait être à la base du développement social et de l'essor économique. En investisssant dans l'enseignement, on investit dans l'homme, premier facteur du progrès dans tous les domaines. Il est temps que les gouvernements redonnent à l'enseignement, à l'éducation et à la recherche la place et les moyens nécessaires à leur épanouissement. Le métier de l'enseignant est vilipendé, honni et détesté alors qu'il devrait inspirer la vision de la nation. Des chansons populaires mettent à jour la pauvreté des enseignants alors même que dans d'autres parties du monde ils sont respectés pour leur apport important à la construction de la nation. Pour reconstruire l'Allemagne détruite à la fin de la deuxième guerre mondiale, la fonction d'enseignant a été parmi les mieux payées. L'éducation en inculquant les notions d'écriture, de grammaire, de mathématique ou de technique ouvre les portes du succès dans le monde de la vie sociale, culturelle, économique ou financière. Des slogans sont connus: "Le savoir donne accès au pouvoir. Le partage du pouvoir selon le savoir." La pauvreté exhibée par l'enseignant dans certains coins du monde en fait la risée et la méprise de la population. Autant être ignare que pédant savant sans le sou. Un illettré riche est de loin mieux considéré qu'un diplomé pauvre. Ce dénigrement est la cause de notre sous-développement. La condition de l'enseignant mérite d'être sensiblement améliorée. En RD Congo on parle d'une augmentation salariale de 40 000 Fc, c'est-à-dire 20 dollars. J'y reviendrai.
Les études et les diplomes ne comptent pas, n'accordent pas le dieu adulé qu'est l'argent. Encore moins le succès ni la réussite sociale. La chance, les églises du réveil, la magie sorcière bouclent la boucle. Inutile d'achever des études. Il ne faut pas forcément étudier pour occuper des fonctions prestigieuses et bien rémunérées. Le mépris de l'intellectuel a comme conséquence que des leaders au parcours scolaire déficient ou muni de faux titres universitaires s'imposent, qui ne savent finalement que piller le denier public, tuer les opposants, affamer la population. Pis encore qui ne comprenent rien aux grands enjeux économiques et géopolitiques actuels, et incapables d'imaginer des solutions aux problèmes sécuritaires, médicaux et socioculturels de leurs compatriotes. L'enseignement aurait pu corriger ces lacunes. Un peu trop vite dit, mais une certaine vérité y est.
Célébrons ce noble et beau métier: l'enseignement. Il est temps de le revaloriser face à l'attraction de l'argent facile et des antivaleurs matérialistes.