25 mars 2015

Le paraître et le masque

Le festival intercampus qui vient de s'achever m'a permis d'achever une réflexion commencée quand j'ai écrit dernièrement sur les sapeurs.
La sape fonctionne comme un jeu de mascarade, comme un bal masqué. En réalité, on se dédouble; on joue un rôle pour lequel on porte des costumes ou des accessoires appropriés. Une véritable jeu de masques où des personnages s'identifient aux indications de leur accoutrement.
L'aspect théâtral ou fictif de la sape est important car il aide à contourner le train-train de la vie. Comment expliquer cet engouement exagéré pour l'habillement sinon par la précarité et la pauvreté ambiantes? Avec la sape, s'habiller revient à assumer un personnage auquel on s'identifie. Une créativité sans limite accompagne ce phénomène un peu partout. Il m'est arrivé d'assister à quelques représentations scéniques où des individus décrivent jusqu'au détail près ce qu'ils portent. L'idée est de montrer ou de convaincre qu'on est bien habillé et pousser les autres à vous envier, imiter. Familier de grands couturiers et de vagues de la mode les plus récentes, le sapeur impose une réputation d'avoir réussi dans la vie grâce à son habillement. Souvent, ses ressources tout comme ses activités professionnelles ne sont connues que vaguement. Discrétion s'impose à ce sujet. Le sapeur adore l'habit au point de vendre son âme. Ce qui compte, c'est le paraître. Et ce paraître a un prix: il est habituel de voir un sapeur détailler les prix de tout ce qu'il porte dans le but d'impressionner son audience ou ses compères. Comme aux enchères, chacun exhibe le plus gros prix. 
Un sapeur a de beaux habits, une belle voiture et une belle femme. Bon dragueur, il sait tirer avantage de la beauté de sa dulcinée pour se faire ouvrir le chemin de la gloire. La jolie, souvent fille de bonne famille dopée par le beau-parler du sapeur, fait office de fournisseuse ou d'approvisionneur. Les habits avant tout, car ils déterminent la classe. Le succès suit naturellement le sapeur dans tout ce qu'il entreprend. "Qui que vous soyez, vous n'atteindrez jamais ma classe tant que vous ne posséderez pas d'habits aussi onéreux que les mieux," proclame le sapeur dans son ghetto. Mais en réalité, ce dégoiseur d'autocélébration peut parfois surprendre par sa modestie et son sens de respect dans son milieu familial. Timide et effacé chez lui, il brille de toute étincelle au "terrain", son milieu d'affaires, son fief de prédilection. Dans le langage des Congolais de la Diaspora, le terrain est un lieu de rencontres sportives et culturelles, un lieu de retour aux sources et de retrouvailles entre co-nationaux. Là il joue à  domicile, et à  fond. Sa forme parle pour lui. Dis moi ce que tu portes, je te dirai qui tu es. Credo de sapeur.
L'habit est le masque dont il se sert pour "officier" car il y a une liturgie appropriée à chacune de ses apparitions publiques. Le sapeur vit dans une confrérie de personnes qui pensent comme lui, marchent, boivent et roupillent comme lui. Son langage en fait un poète et un manipulateur chevronné. Il partage les rêves et les illusions de ses confrères et congénères. Le paraître est son point fort. Et il frappe fort, voire très fort. Il endosse sur lui tous les personnages possibles et imaginables. Le jour où l'un d'eux a foulé le sol parisien pour le première fois, il n'a cessé de vociférer à qui voulait l'entendre: "A partir d'aujourd'hui, mon idéal est de devenir un sapeur, un homme de la forme."
- C'est qui un sapeur?
- Eh bien, c'est un adorateur du prêt-à-porter car la forme fait l'être. L'habit montre la classe du porteur. Le mannequin en réalité n'est qu'un maillon de la longue châine du paraître. C'est pourquoi, c'est une star de la sape."

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