En RDC comme dans beaucoup de pays africains, l'habit est considéré comme un dieu. Il y a même au panthéon des surhumains un dieu surnommé Kitende (pièce d'habit) consacré par les sapeurs. Il y a des prières qui lui sont adressées par les disciples de la sape.
Cela me rappelle une conversation que j'ai eue en 2002 à Berlin avec Calixthe Beyala. A ma remarque que je venais d'un pays où les gens étaient très sensibles à l'habillement, elle a rétorqué assez ironiquement: "Oui, je le sais moi aussi. Lors des soirées africaines à Paris, si vous voyez une femme qui s'est jetée sur le corps les parfums les plus exécrables, les ors les plus éteincelants, et les habits les plus extravagants, eh bien, vous êtes en face d'une Zaïroise. Comme quoi le ridicule ne tue pas" Elle porte la responsabilité de ses paroles. Ceci me rappelle une autre phrase entendue quelques années plus tôt: "Si tu vois dans la rue une femme trop maquillée, c'est presque à cent pour cent sûr que c'est une Zaïroise." Je ne fais pas le procès de mes soeurs compatriotes mais ce sont des phrases que j'ai entendues en temps réel. Je les respecte, car au-delà de l'anecdote, elles sont de mon pays, de ma race, de mon ethnie, etc. Il y a, il faut le reconnaître, un peu de vrai dans ces déclarations gratuites.
La sape est souvent vu comme un fléau, un ingrédient d'immoralité et de légerté pour une jeunesse en mal de modèle. Les musiciens et les voyous les plus exécrables ont servi de tremplins pour la diffusion de ce mouvement suivi à la lettre par des milliers des jeunes. Etre jeune, c'est être sapeur. Ne pas bien s'habiller revient en quelque sorte à rejeter la vie, le succès, la célébrité ou la visibilité. Des jeunes gens vous jugent par votre habillement, surtout si vous venez de l'étranger. Il y a des personnes qui vous approchent pour vous voir, c'est-à-dire voir ce que vous portez comme vêtements. Prenez garde de mettre un T-shirt, vous serez houspillés. Kala dans L'impasse du romancier Biyaoula en a payé le frais, humilié par les siens déçus de le voir apparaître sans les frimes d'Outre-Mer. Comme il a manqué de "descendre" comme un vrai Parisien, son frère aîné l'a conduit de force à une boutique de prêt-à-porter pour lui procurer des costumes qui n'étaient pas du tout à son goût. Le paraître est très important dans nos pays où la misère se voile d'illusions de richesse, de m'as-tu-vu, et d'insolences vestimentaires. Ce paraître-là ouvre la voie du succès auprès des jeunes et des femmes. Ce paraître-là, beaucoup de personnes ont perdu leur vie pour l'obtenir. C'est un fléau dévastateur.
Un fléau? Les sapeurs ont leur religion et ne s'en cachent pas. Dieu seul sait comment ils acquièrent ces vêtements pimpants neufs et onéreux. Ils tirent honneur de l'extravagance de leur habillement. Une chaussure sur la tête ne gènerait personne si elle peut faire office de chapeau. La forme, oui, la forme, c'est ce qui compte en sapologie. Vous les avez vus au deuil de Kester Mubiala? Ils ont défilé pour défendre la forme que leur idole adorait. La démarche, un autre ingrédient de la sape. Vous les avez vu au enième anniversaire de la mort de Niarkos? Vous les avez vus exposer leurs griffes japonaises, italiennes, françaises, ou américaines? Vous les avez entendus déclamer les prix de leurs frimes? Vous les avez vus s'échanger des coups au cours des combats de gangs? Il y a lieu de s'interroger, au-delà de toutes ces excentricités,sur la pertinence de ce fléau et sur ce que cache ce phénomène qui galvanise l'inconscient des jeunes congolais et africains.
Dans un pays où toute forme de liberté est muselée, où l'autorité s'avère brutalement despotique, l'habillement devient facilement une expression. On vous impose l'abacost, on supprime la cravate. D'accord. Les jeunes trouvent dans l'autorisation tacitement accordée pour d'autres habits étrangers une raison d'aiguiser leur libération. Le culte abhorré de l'étranger ou de l'Occident est récupéré, comme par ricochet, dans une dynamique renouvelée. Une récupération qui vise une revanche contre l'atrocité de la dictature culturelle, une affirmation de l'individu au détriment du système politique. Le sapeur est dadaïste, anarchiste, surréaliste. Il pousse sa témérité vestimentaire aussi loin que son imaginaire créatif le lui permet. Aussi contradictoire que cela puisse paraître, l'interdiction de la cravate a poussé la jeunesse d'origine modeste à regarder du côté des grands couturiers de la Place Van Dome, de Milan, New York ou Londres. Avec la sape, un autre mythe de l'Occident et de l'Orient a vu le jour dans les coeurs des gens. Une modernité subreptice a tracé son chemin en réaction contre une "authenticité africaine" aux contours mal définis et totalitaires. La sape s'est ainsi imposée, parmi d'autres détours que détermine l'instinct de survie, comme une véritable rationalité dans le contexte d'un monde encore marqué par l'esprit colonial et comme un exutoire libérateur.
La sapologie est devenue une science digne de figurer au curriculum des sciences sociales africaines. L'histoire, la philosophie, la psychologie individuelle et sociale, l'étude des comportements tout comme la religion, la littérature ou la linguistique y trouveront matière à explorer, développer et théoriser. Soit un vaste domaine d'investigation en ce temps de la mondialisation où le monde est devenu un village.
Un fléau? Les sapeurs ont leur religion et ne s'en cachent pas. Dieu seul sait comment ils acquièrent ces vêtements pimpants neufs et onéreux. Ils tirent honneur de l'extravagance de leur habillement. Une chaussure sur la tête ne gènerait personne si elle peut faire office de chapeau. La forme, oui, la forme, c'est ce qui compte en sapologie. Vous les avez vus au deuil de Kester Mubiala? Ils ont défilé pour défendre la forme que leur idole adorait. La démarche, un autre ingrédient de la sape. Vous les avez vu au enième anniversaire de la mort de Niarkos? Vous les avez vus exposer leurs griffes japonaises, italiennes, françaises, ou américaines? Vous les avez entendus déclamer les prix de leurs frimes? Vous les avez vus s'échanger des coups au cours des combats de gangs? Il y a lieu de s'interroger, au-delà de toutes ces excentricités,sur la pertinence de ce fléau et sur ce que cache ce phénomène qui galvanise l'inconscient des jeunes congolais et africains.
Dans un pays où toute forme de liberté est muselée, où l'autorité s'avère brutalement despotique, l'habillement devient facilement une expression. On vous impose l'abacost, on supprime la cravate. D'accord. Les jeunes trouvent dans l'autorisation tacitement accordée pour d'autres habits étrangers une raison d'aiguiser leur libération. Le culte abhorré de l'étranger ou de l'Occident est récupéré, comme par ricochet, dans une dynamique renouvelée. Une récupération qui vise une revanche contre l'atrocité de la dictature culturelle, une affirmation de l'individu au détriment du système politique. Le sapeur est dadaïste, anarchiste, surréaliste. Il pousse sa témérité vestimentaire aussi loin que son imaginaire créatif le lui permet. Aussi contradictoire que cela puisse paraître, l'interdiction de la cravate a poussé la jeunesse d'origine modeste à regarder du côté des grands couturiers de la Place Van Dome, de Milan, New York ou Londres. Avec la sape, un autre mythe de l'Occident et de l'Orient a vu le jour dans les coeurs des gens. Une modernité subreptice a tracé son chemin en réaction contre une "authenticité africaine" aux contours mal définis et totalitaires. La sape s'est ainsi imposée, parmi d'autres détours que détermine l'instinct de survie, comme une véritable rationalité dans le contexte d'un monde encore marqué par l'esprit colonial et comme un exutoire libérateur.
La sapologie est devenue une science digne de figurer au curriculum des sciences sociales africaines. L'histoire, la philosophie, la psychologie individuelle et sociale, l'étude des comportements tout comme la religion, la littérature ou la linguistique y trouveront matière à explorer, développer et théoriser. Soit un vaste domaine d'investigation en ce temps de la mondialisation où le monde est devenu un village.
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