24 août 2016. Mort de l'écrivain français Michel Butor. Paix à son âme!
Pour moi, Michel Butor est un nom d'abord lié au professeur Jean Roudaut, auteur en 1964, d'un essai intitulé Michel Butor ou le livre futur. Grâce à M. Roudaut, j'ai eu à voir et écouter Michel Butor à deux reprises à l'université de Fribourg. La première fois devrait être en 1988 à l'occasion d'une conférence qu'il a tenue dans l'Aula Magna. Personnage assez excentrique par son apparence, il était habillé en salopette bleue pour présenter son exposé. Il avait l'air plutôt d'un agriculteur que d'un professeur d'université. C'est l'image que j'ai retenue de ce maître de littérature et écrivain. Et ce jour-là la surprise n'a pas manqué au rendez-vous: Butor a défini le bottin téléphonique comme on dit en Suisse comme le meilleur livre qui puisse exister. Le seul vrai livre. L'annuaire téléphonique est un répertoire inépuisable pour tout ce qui peut s'écrire, prétendait-il, car à travers les noms listés se profilent des récits et des histoires dignes de figurer dans tous les supports d'écriture. A cette époque, il était à la recherche de nouvelles formes de production littéraire: il avait entre ses mains des maquettes ou des minuscules bloc-notes sur lesquels étaient écrits sous formes les plus surprenantes ses textes.
Ma deuxième rencontre avec Michel Butor a eu lieu pendant un séminaire sur Degrés animé par M. Roudaut. C'était en 1991. J'ai déjà mentionné cet événement dans mes articles précédents sur Roudaut. Comme il n'y avait qu'une dizaine d'étudiants inscrits à ce séminaire supérieur, il était plus aisé d'engager une conversation avec le fameux novateur du roman français. Ce jour-là, une collègue étudiante avait réussi à déceler les mécanismes de l'écriture de Butor dans Degrés, fascinant Butor par la justesse de sa découverte. Admiratif, celui-ci a été très agréablement surpris et n'a pas manqué de féliciter l'étudiante: "Je n'y avais jamais pensé de façon consciente... mais c'est comme cela que j'avais procédé pour écrire Degrés. Merci de m'avoir révélé cette facette inconnue ou insoupçonnée de moi-même." Notez que c'est moi qui reconstruis ces phrases.
Michel Butor est un des derniers représentants de l'école du nouveau roman qui a régné après la deuxième guerre mondiale. Avec Claude Simon, Alain Robbes-Grillet, Nathalie Sarraute, il a cherché à déconstruire les formes d'écriture romanesque héritées du 19e siècle. L'objectif était de renouveler le roman en démantelant littéralement ses structures fondamentales du temps et de l'espace, en remettant en cause la notion du personnage en faveur d'une composition libérée des carcans et codes traditionnels. La narration quitte le strict champ du récit pour s'élargir à la dimension de la voyance et de la visualisation imaginaires. Les contours d'un personnage ne se donnent plus à voir à travers une description classique, mais par une sorte de vague présence dans un espace géométrique ou circulaire. Ainsi, son roman phare La modification est entièrement écrit à la deuxième personne "vous". Degrés est construit sur la base d'une liste d'étudiants dont un professeur et son neveu tentent de reconstituer le souvenir par un effort de mémoire. Une écriture qui associe le lecteur à la composition de l'oeuvre qui s'étale devant lui. L'oeuvre annoncée et qui le demeure jusqu'à la dernière page s'écrit de connivence virtuelle avec son récepteur-interlocuteur. Avec Butor et ses compagnons, l'écrivain est conçu comme un créateur aux multiples talents: il est à la fois poète, narrateur, essayiste, peintre, artiste, homme de culture.
Adieu à Michel Butor! Que son immense contribution à la culture du livre continue d'inspirer les générations futures, au-delà des contingences idéologiques, religieuses ou raciales. Que son âme repose en paix!
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