2 févr. 2017

La mort d'Etienne Tshisekedi (1932-2017)

1er février 2017. La bouleversante nouvelle est tombée comme un couperet. Tshisekedi wa Mulumba, l'opposant historique congolais, est mort à Bruxelles. C'est en entamant une conversation téléphonique que j'ai été informé par un ami hier après-midi qui, par ailleurs, assumait que j'étais au courant. Paix à l'âme de ce grand héros de notre pays!
Qu'on l'aime ou qu'on le déteste, Tshisekedi mérite un vibrant hommage à cause de sa longévité politique d'abord, ensuite de l'immense impact de son action sur la psyché congolaise. Aussi curieux que cela puisse paraître, il ne m'est pas arrivé de rencontrer ce personnage dont les mythes ont été sur toutes les lèvres. Par contre, j'ai su son nom dès mes premières années d'éveil à la politique de notre pays. Mais c'est plus tard que je suivrai, comme tout compatriote, ses engagements politiques. Surnommé Moïse, il a porté la lourde tâche de "démystifier Mobutu" et d'influencer l'évolution du pouvoir en RDC. Sa mission s'arrêtait là selon moi.
L'homme au "V" légendaire n'avait peur de personne. Il a osé braver le président Mobutu, l'intouchable et l'inamovible despote qui règnait d'une main de maître sur le Zaïre en semant la terreur à tous les citoyens. Son mérite est justement d'avoir été, dans l'histoire de cette dictature si l'on peut l'appeler ainsi, l'homme qui a su affronter le démon de face avec une relative réussite. Son opposition au Maréchal était intransigeante, déterminée et dévastatrice. Le Sphynx de Limété a subi la prison, la relégation, la torture, l'humiliation sous le régime Mobutu. Considérée d'un point de vue mythique, son ambition de devenir président était déplacée quoique en pensent ses partisans.3 Et je dois l'avouer, je l'avais supporté comme opposant car il a donné du courage à des millions de Congolais pour voir en Mobutu un homme plutôt qu'un surhumain. Ce pari là, il l'a réussi.
Tshisekedi fut longtemps un proche collaborateur du colonel et président Mobutu depuis le temps de ses études à Lovanium. Il a occupé d'importants postes ministériels comme l'intérieur ou la justice. On lui attribue d'avoir signé l'ordre de l'arrestation de Lumumba, d'avoir signé l'ordre d'exécution de Kimba et consorts, d'avoir posé les bases légales ou idéologiques du MPR. Un solide pilier du régime Mobutu jusqu'aux années 80, avant qu'il ne rejoigne le fameux groupe des treize parlementaires contestataires qui furent relégués en résidence surveillée dans leurs villages. Avec vaillance, courage et détermination, le PM Tshisekedi s'est mesuré au dictateur sanguinaire au point de forcer ce dernier à reconnaître l'UDPS dès l'entame du processus de démocratisation.
On dit aussi de l'homme du changement qu'il entretenait des rapports ambigus avec Mobutu du genre "opposant le jour" et "ami la nuit". Raison pour laquelle, semble-t-il, ce dernier ne l'avait jamais éliminé physiquement. On dit que c'était plutôt un ordre des Américains. On raconte qu'il recevait des soutiens financiers du Maréchal, qu'il se rendait incognito ou "en soutane" auprès de Mobutu pour retirer ses allocations, etc. On dit aussi qu'il portait une marque indélébile sur son dos: MPR = Servir, la devise du parti-état de Mobutu. On parle aussi d'une affaire de femmes qui les aurait divisés. Autant de mythes à vous faire dormir debout! Tous les compatriotes congolais ont entendu l'une ou l'autre de ces versions de récits.
Au-delà de ces anecdotes difficiles à vérifier, il y a son parcours depuis son opposition au deuxième régime jusqu'à ses derniers engagements . Opposant aux Kabila père et fils, il n'a jamais réussi à obtenir le fauteuil présidentiel. Le plus dramatique, c'est qu'il a prêté serment se disant président élu de la RDC en 2011. J'ai parlé de ce sombre passage en son temps sur ce blog. Il est demeuré un opposant intraitable au régime Kabila, qui l'a séquestré à résidence après les élections de 2011. Doté d'un franc-parler sans ambiguïté, Tshisekedi était un personnage charismatique, peut-être le plus populaire à Kinshasa et dans certaines régions du pays. Trahi par les uns, abandonné par d'autres, Ya Tshitshi est resté égal à lui-même. Les immenses foules qu'il drainait à son passage en sont des signes indiscutables. Il était populaire, aimé de la population à cause de son langage clair, tranchant, et souvent incendiaire. Il n'avait peur de personne.  Il est resté actif dans la vie politique de la RDC comme leader du Rassemblement. Les derniers pourparlers dit de la CENCO l'ont désigné à la tête de son comité de suivi. Il est temps à l'UDPS de se réorganiser en fonction des futures échéances politiques, d'y apporter un souffle de jeunesse, d'inspiration et de créativité.
Le combattant Etienne Tshisekedi laisse un vide irremplaçable dans l'Opposition congolaise certes, mais j'estime que les Congolais s'arrangeront pour trouver la meilleure alternative à cette situation. Qu'on se le dise, l'homme passe, les institutions restent. Simple loi de l'histoire. La RDC restera, mais les hommes passeront, nous passerons. Une page de notre histoire vient de se tourner avec la disparition de Tshisekedi. Il ne reste qu'à souhaiter un hommage national à ce Congolais qui, à sa façon, siège au panthéon de nos leaders héroïques. Que son inhumation ne serve pas de prétexte pour causer des troubles et des "morts" dans les villes de la RDC.
Que son âme repose en paix!

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