Nul n'est éternel quelle que soit la puissance de ses armes, de ses forces physiques. La force de l'âge, le temps, le délabrement physique finissent toujours par vaincre naturellement. Nous sommes tous destinés à disparaître un jour quel que soient l'effort et les moyens mis en œuvre pour y échapper. Malheureusement, le sentiment de puissance donne l'illusion d'être inamovible, intouchable, au-dessus de l'humaine condition. L'ambition aveugle. La volonté de suprématie sur l'autre constitue souvent la pomme de discorde que ce soit au niveau d'un ménage qu'à celui de la vie publique.
"Il faut savoir partir." C'est la leçon à tirer des événements qui surviennent au Zimbabwe. Le patriarche Mugabe, véritable héros de l'indépendance, a de quoi regretter son désir de se maintenir coute que coute au pouvoir. Comment un vieux monsieur pouvait-il prendre en otage tout un pays s'il n'avait pas le soutien de l'armée? Aujourd'hui que ses gradés l'ont placé en résidence surveillée, il pourrait peut-être regretter de n'avoir pas quitté plus tôt. Il pourrait ne pas être en mesure de réaliser ce qui lui arrive. Il a 93 ans, sa santé quoique forte en apparence le trahit. Des vidéos le montrent somnolant en plein meetings officiels, ou manquant une marche d'escaliers, voire saoul. Des scènes qui entament son honneur, car un héros est un surhomme. L'homme qui a toujours réussi à anéantir toute contradiction à son pouvoir est aujourd'hui humilié, maîtrisé par une junte militaire qui désormais décidera de son sort. Habib Bourguiba en son temps a été écarté par Ben Ali presque dans des circonstances similaires. Fidel Castro s'est retiré pour laisser la place à Raoul, sans que l'idéologie ne soit touchée. Quant à Mugabe, il n'a jamais rien compris ou n'a jamais rien voulu entendre. Voilà où on en est. Cet homme aurait pu jouir d'une retraite dorée si les contraintes politiques ne l'avaient pas empêché de voir ce bout du tunnel.
"Il faut savoir partir". Plus d'une fois, je l'ai entendu dire à ses supporters qu'il n'entendait pas abdiquer, que ce serait "an act of cowardice". Au lieu de céder la place à un autre, cet homme a préféré s'éterniser au pouvoir en manipulant aussi bien les textes que l'histoire. Son ascension politique serait, dit-on, entachée du sang d'innocents et de rivaux éliminés dans des circonstances douteuses. Ce n'est pas lui qui les a tués, mais c'est la loi du pouvoir qui veut ça. Un accident de voiture ou d'avion règle vite l'affaire. Un empoisonnement, c'est ni vu ni connu. Ôte-toi de là que je m'y mette. Tant que j'y suis, j'y reste; personne ne peut y prétendre. Le président Mugabe a joué cette partition politicienne à la perfection. Si Bob Marley avait su qu'il en serait ainsi quatre décennies plus tard, je crois qu'il ne se serait pas déplacé pour célébrer l'indépendance de ce beau pays. On a remplacé les Blancs. Les Blancs sont partis, partez vous aussi après avoir rempli vos mandats légaux et illégaux plutôt que d'enfoncer votre peuple dans la misère, l'indigence, le déshonneur, plutôt que de bloquer le développement de votre pays et de clochardiser vos concitoyens. Votre long règne n'aura finalement servi qu'à dévoiler l'autre face de vous-même: l'anti-héros. Vous auriez quitté le pouvoir il y a vingt ans que vous seriez sorti avec honneur par la grande porte. Maintenant, à la limite de vos facultés physiques, intellectuelles ou mentales, vous n'êtes plus que l'ombre de vous-même.
"Il faut savoir partir." De président élu si on a été "élu", on devient président à vie. C'est un syndrome des pays statiques. L'Afrique en compte une bonne gamme. Plus on prend de l'âge, plus on s'accroche au pouvoir. Tous les moyens sont utilisés pour rester au pouvoir le plus longtemps possible. On pille, on arrête, on terrorise, on tue, on intimide, on vend le pays à des multinationales, on appauvrit, on sème la précarité. On se maintient par défi. On maintient l'impasse jusqu'au bout comme si le pays était sa propriété privée ou familiale. Cela s'est vu, cela se verra encore. L'histoire jugera.
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