J'ai vécu dans plusieurs pays en dehors de la RDC. Ma trajectoire migratoire a connu plusieurs courbes. J'ai vécu trois ans en Italie, douze ans en Suisse, deux ans en Allemagne et vingt-trois ans à la Barbade. Quoique les raisons et les circonstances de ces "exils" soient différentes, je dois avouer que j'ai vécu mon statut d'immigré avec une relative sérénité, sans être inquiété par une quelconque menace.
Septembre 1979. J'arrive à Rome par un vol d'un DC10 de la compagnie Air Zaïre qui fonctionnait parfaitement à l'époque. Je ne souviens que de la nuit. Partis de Kin à 22h, nous sommes arrivés à 6h du matin du 10 septembre 79. Présentation des passeports avant de sortir de Fiumicino. Bus et taxis pour Termini et le Collège Urbain. Me voilà propulsé noir dans une Italie blanche. Je deviens un uomo di colore. Nous sommes nombreux les nouveaux étudiants venus des pays des missions pour ne pas dire du Tiers-Monde. Tous les continents sont représentés. Pendant que nous suivons des cours de langue italienne, je découvre la réalité de l'immigration. Aidés par un Autrichien du nom d'Albrecht, nous remplissons les formulaires de séjour en Italie à la Questura di Roma. Beaucoup de paperasses auxquelles je ne comprends pas grand chose. Mais la conscience d'être étranger noir dans un pays européen prend une ampleur significative. Curieux et attentif à mon nouvel environnement, je découvre Rome, le Vatican, les Italiens. Dés Noël 79, je suis invité à dîner avec Basile Nzumbu dans la famille Pietro Maronne. J'y prends la Marsala all'uovo. L'année académique 79-80 se déroule vite. J'ai obtenu une bourse d'étude de langue allemande à l'institut Goethe Staufen im Breisgau en Allemagne. Je dois séjourner en Belgique et en Hollande chez le Père Ben Overgoor à Stoutenbourg. Mon expérience de l'Europe s'enrichit. L'été 81 je le passe à Londres au Central School of English pour un perfectionnement de l'anglais car l'acquisition de l'allemand a semé de la confusion dans ma tête. Août-septembre 81, je me retrouve ouvrier à la Fllzfabrik de Fulda aj service d'expédition. Je retournerai au Zaïre autour 5-6 août 1982 pour l'ordination diaconale à Kenge le 15 août. Nous serons douze diacres, surnommés les douze apôtres.
Que retenir de ce séjour en termes d'immigration et de rapports interraciaux? Étant jeune, j'étais préoccupé à tisser le plus de relations avec le plus de monde possible. J'ai profité de mon séjour romain pour connaître les dicastères et leur fonctionnement, pour approcher certains cardinaux et prélats. Un privilège énorme que de cotoyer un futur pape ou un futur nonce ou préfet de congrégation. Mon carnet d'adresses était plein de noms de tous les categories sociales et de tous les continents. Les étés europeens ont été pour moi des moments de voyage et de formation à la vie. Depuis Kalonda et Mayidi, c'est la première fois qu'il m'a été donné d'évoluer hors des structures ecclésiastiques. L'institut Goethe de Staufen, le Central School of English de Londres tout comme la Filzfabrik de Fulda ont constitué les lieux où mon esprit s'est imprégné d'autres valeurs et visions du monde. L'université Urbaniana m'a gardé dans le sillage du Vatican alors que les autres lieux m'ont ouvert les yeux à des réalités non religieuses, mondaines de la vie européenne. De cette époque datent mes relations amicales avec Baker des USA, Thomas d'Allemagne, Radaelli d'Italie, Schlindwein du Brésil, JF Martin de Belgique, etc. Sans oublier les bonnes âmes: Resie Weingärtner, Martina Weiss ni les familles Radaelli, Thomas, Fehrenbadh, Fernholz, Zimmermann. Beaucoup sont morts tandis que je garde des contacts avec les survivants. Ces personnes m'ont permis de relativiser le racisme ou de gérer la différence raciale avec lucidité et décence. J'étais jeune, curieux, ouvert aux vents de l'histoire. J'excellais dans la découverte du monde, des pays, des langues et cultures. De passage à Munich, un aîné doctorant a tenté de me persuader de ne pas retourner au pays. J'ai dit niet. Je dois reconnaître qu'à cette époque j'étais presque insensible au problème racial, que je n'avais jamais pensé vivre ailleurs qu'au Congo-Zaire, et je n'avais même jamais envisagé que mon statut social changerait.
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