Peut-on être politicien et avoir les mains propres? Non évidemment, répond tout le monde spontanément. J'en connais toutefois un qui a collaboré avec le dictateur Mobutu et qui affirme à qui veut l'entendre qu'il a les mains propres. Par politesse ou par décence, je me suis retenu de le contrarier, tellement il en est convaincu. Hier, j'ai attribué des "mains sales" à tous nos gouvernants actuels. Je le réaffirme. En fait, il faudrait définir ce qu'on entend par mains propres.
Mobutu, qu'on l'aime ou qu'on le déteste, était à lui seul un système, un engrenage emberlificoté de relations et d'influences. On y entrait, on y restait. La "Prima Curia" érigée en culte à sa gloire a inclus en son sein tous ses collaborateurs, même les hypocrites qui le critiquaient dans les meetings publics ou clandestins, mais bénéficiaient discrètement de ses bontés et autres actes de générosité.
Mon ami politicien justifie sa pureté pour n'avoir jamais causé la mort de qui que ce soit. Vrai. Mais il a participé à un régime sanguinaire dont la cruauté a été dénoncée dès 1966, l'année de la pendaison publique des Kimba et compagnie. Le sang de chaque innocent sacrifié à l'autel du pouvoir parle plus qu'il ne s'est refroidi. Trente-deux ans, ce régime a tué. Cela tout le monde le sait.
Mon ami estime qu'il mène une vie modeste maintenant qu'il n'est plus au pouvoir parce qu'il a été correct, "incorrompu" et juste dans l'exercice de ses fonctions. Il aurait pu voler ou détourner les biens de l'état comme tout le monde. Tout son entourage sait bien comment il a géré les dividendes qui lui tombaient comme par miracle. Ses nombreux comptes en Europe soldés aujourd'hui - n'est-ce peut-être pas une stratégie de survie? - ne peuvent se justifier par son seul salaire. Je l'ai vu une fois exhiber des liasses des dollars pour impressionner quelques pauvres gens. Qu'il soit en difficulté financière aujourd'hui n'est que l'effet d'une mauvaise gestion de ses avoirs. Comme tous les barons, il a eu sa part du gâteau. De là à s'exonérer comme un non corrompu aux mains blanches-neiges, le pas est géant.
Hugo alias Raskalnikoff voulait la lutte révolutionnaire, mais pas le pouvoir corrupteur et avilissant. Voilà un intellectuel différent de ceux qui voient dans la politique une manne pour s'enrichir plutôt qu'un moyen pour défendre les intérêts suprêmes de leur nation. On l'appelle anarchiste, un être échoué, sans cohérence ni consistance. Ce type d'intellectuel, étranger à sa compagnie et qui refuse de se ranger dans la crême de la bourgeoisie, n'existe peut-être que dans la tête de Sartre ou Boris Boubacar Diop. Je pense à Fadel, le rêveur de la république noire idéale du Tshisombo. Que non! Mai 68, c'est quoi? Le refus d'un système, d'un establishment, d'un ordre des choses. Jean-Paul Sartre lui-même marchant avec des étudiants et des progressistes pour défendre des causes sociales, revendiquer les droits des minorités, réclamer l'établissement d'une justice égale pour tous.
S'il est une leçon à tirer des Mains sales à propos des intellectuels, c'est bien la remise en question de la pensée idéaliste, la notion d'engagement. La critique classe cette pièce dans la catégorie de littérature engagée. L'engagement, c'est le vecteur intellectuel de Hugo. L'existence de ce dernier ne se réaliserait réellement que s'il exécutait une action: "Olga, il faut que tu m'aides. (...) A convaincre Louis qu'il me fasse faire de l'action directe. J'en ai assez d'écrire pendant que les copains se font tuer" (Les mains sales, 44).
De journaliste du Parti, Hugo devient le meurtrier de Hoederer. De la main "propre" spécialement douée pour l'écriture et la belle lettre, il se convertit comme envoûté en une "main sale" dans une cabale qui tue ancien député du Landstag au nom de l'action révolutionnaire. Mais comme on veut effacer la vérité de ce meurtre très crapuleux et gênant, l'ordre est donné par Louis de se débarrasser de l'encombrant tueur, parce qu'il est trop bavard. Les chocolats empoisonnés lui envoyés en prison n'ayant pas agi, un coup de revolver fera la besogne. "Non récupérable" pour d'autres besognes, déclare Hugo pour défendre son autonomie intellectuelle et humaine. Mais à quel prix?
De journaliste du Parti, Hugo devient le meurtrier de Hoederer. De la main "propre" spécialement douée pour l'écriture et la belle lettre, il se convertit comme envoûté en une "main sale" dans une cabale qui tue ancien député du Landstag au nom de l'action révolutionnaire. Mais comme on veut effacer la vérité de ce meurtre très crapuleux et gênant, l'ordre est donné par Louis de se débarrasser de l'encombrant tueur, parce qu'il est trop bavard. Les chocolats empoisonnés lui envoyés en prison n'ayant pas agi, un coup de revolver fera la besogne. "Non récupérable" pour d'autres besognes, déclare Hugo pour défendre son autonomie intellectuelle et humaine. Mais à quel prix?
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