15 avr. 2013

Les pasteurs congolais: un casse-tête

Ces deux dernières semaines, j'ai pris connaissance de beaucoup d'événements concernant des pasteurs congolais. J'ai même publié sur le prophète Denis Lessie, sans savoir que la victime de ses impostures, Jean Baptiste Nthawa, était elle aussi un pasteur. Une vidéo circule où d'autres pasteurs insultent Lessie, lui promettent géhenne et grincement, apparemment très satisfaits de le voir en prison et traîné au tribunal. Hier, l'ami Zéphyrin Mukangu m'a fait écouter l'intervention d'une fille de 19 ans concubine d'un nommé Pasteur Emmanuel: "Nabimaka na Pasteur Emmanuel. Naza mwasi ya pasteur." (Je sors avec Pasteur Emmanuel; je suis la femme du pasteur). Un homme marié, père de 4 enfants, qui va chasser (ou a chassé) son épouse pour la prendre. Et d'autres histoires à vous tenir éveillés des nuits entières. Je voudrais, comme à mon habitude, me livrer à quelques réflexions sur ce casse-tête. 
1. Un moyen de survie. Comment devient-on pasteur? Je sais comment est formé un prêtre catholique et anglican. Une formation philosophique et théologique d'un minimum de cinq ans selon les pays, en plus d'une ou deux années de stage. J'ai une idée de la formation des pasteurs protestants de la vieille époque; mais aucune idée de ceux qu'on appelle aujourd'hui des pasteurs chez nous au Congo. Ngbanda, Sakombi, Nthawa ont été des ministres gouvernementaux, mais également des ministres de Dieu. Le Dr Ben Bulu, mon collègue nigérian Dr Ogunkola, Mbuta Luzubu à Bienne, exercent des responsabilités pastorales dans leurs communautés de vie. L'ami Louis Ngomo se fait appeler Bishop. On aime bien l'anglais pour marquer l'américanisme à la mode. J'ai un cousin pasteur à Kenge. Autant dire que les arrière-plans et les horizons de cette identité sont aussi variés que les motivations de ces hommes de Dieu. Certains se font pasteurs par vocation, d'autres pour des besoins matérialistes et financiers; d'autres encore pour couvrir quelques malversations ou s'exorciser de quelques crimes. Il ne m'appartient pas de les juger.
2. Prophétie et désenvoûtement. Le métier de pasteur, tel qu'il est exercé en RDC ou par les Congolais où qu'ils vivent, ne se différencie pas de la pratique sorcière et occulte. Le pasteur est souvent présenté comme un homme doué de dons spéciaux, surhumains, capable de distribuer des bénédictions et d'opérer des miracles. Un tel pasteur prétend guérir ses adeptes rien qu'en les invitant à toucher l'écran de la télévision d'où il prêche son message de guérison. Du sensationnel quoi! Et il y a des centaines de personnes qui témoignent avoir été guéries de leurs maladies par ce procédé. Prophète, il prédit infailliblement l'avenir en parlant au nom de Dieu. Il suffit d'obtenir son "eau bénite" pour être sanctifié et lavé de toutes les impostures du Mal. A ce titre, il désenvoûte les adeptes victimes d'attaques du Diable, il répand la grâce à tous ses auditeurs et purifie les âmes pécheresses. A se demander si Dieu n'est qu'un prétexte pour obtenir crédibilité auprès des compatriotes minés par la faim, la précarité et la pauvreté. Ayant maîtrisé quelques passages de la Bible qu'il débobine comme un perroquet, l'éminent ministre de Dieu s'emploie surtout à fasciner son audience et ses spectateurs. Une dramaturgie admirablement testée et appliquée.
3. Rien n'est impossible à Dieu. Face à tant de misères, d'injustices et de désespoirs, le pasteur livre un message de renaissance, de réveil et de salut. Un message bien ficelé, le tour est joué. Le principe veut que  chaque jour se lève un ingénu ouvert à ce type de message, le défi consiste à le trouver. L'adepte une fois acquis à la cause, le reste peut suivre aisément. Les dividendes de l'opération ne tardent pas car la dîme est substantielle. Un pasteur se fait livrer la voiture d'une adepte, au seul motif que cette voiture serait ensorcelée (sic). Une prophétesse dépouille ses ouailles de leurs bijoux soit disant que le Seigneur hait l'apparat luxueux. De là à abuser de l'obséquiosité des adeptes, le pas est vite franchi. Dans le même ordre se font, au nom du Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, des promesses de mariage, de fécondité pour les couples stériles, de richesse pour les pauvres, des visas pour ceux qui cherchent par tous les moyens à débarquer à Paris ou Londres. Pour arriver à ses fins, le pasteur n'hésite pas à recourir à des pratiques occultes, à des groupes d'influence ou d'intelligence.
4. La face cachée. Les abus de toutes sortes sont inévitables dans ce fouillis de promesses, d'attentes et de visions. Manipulant et manipulés, au four et au moulin, les pasteurs font l'office de toutes les attractions de la société actuelle; ils sont adulés comme de véritables stars, servis comme des notables, tenus pour des modèles, des personnages mi-divins capables de dicter au doigt et à l'œil le comportement de toute leur congrégation religieuse. Versés dans les jeux d'influences et de ce que les Congolais appellent la "domination", ils savent trouver la parole percutante, susceptible de toucher et de convertir les plus résistants des esprits. Ils opèrent forces miracles en direct à leurs télévisions. Ils sont évalués plus à la mesure de leur rayonnement social et économique qu'à celle de leur statut religieux. En général, les grands pasteurs congolais appartiennent à l'élite financière et politique, disposent de relations sûres en hauts lieux, jouent copain-copain avec les tenants du pouvoir, ouvrent les portes des ambassades. Surtout, ils ont leur sanctuaire d'où ils brillent et braillent leurs messages de salut. Tout cela constitue le gage de leur succès social.
5. Beaucoup de pasteurs ont émigré vers d'autres cieux plus cléments, plus rentables financièrement où ils continuent tant bien que mal leurs prédications et activités pastorales. J'ai suivi le parcours d'un d'entre eux. Cet homme était actif à la paroisse catholique de Lausanne, chargé notamment d'assurer l'accueil et l'encadrement de nouveaux requérants d'asile. Lorsqu'il a obtenu ses papiers de séjour grâce à un mariage "arrangé", il a fondé sa propre communauté emportant dans la foulée un bon de nombre de ses anciens coreligionnaires. Son objectif était d'intégrer l'Africain (congolais) dans le difficile contexte de l'exil suisse en lui assurant une assise religieuse solide. Il y a réussi, car son église draine chaque dimanche des adeptes des quatre coins de la Suisse, et même de France. Aujourd'hui, c'est un monsieur, un homme de Dieu respecté de tous. Comme pour conclure, il y a du bon grain et de l'ivraie.
J'ai un grand respect pour les pasteurs, c'est-à-dire les vrais pasteurs, des hommes de Dieu entièrement voués à l'évangélisation et à la sanctification du peuple de Dieu. Qu'ils commettent des fautes et des erreurs comme tout humain ne m'embarrasse pas outre-mesure. Par contre, le scandale, l'imposture, le vol, le crime, la violence, les abus et l'usage de ce statut pour des avantages terre à terre, me répugnent.

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