18 mai 2015

Etre étranger, c'est pas toujours marrant

C'est curieux, c'est seulement plus tard que je me suis rendu compte du sérieux de ce problème. En fait, je le vivais de façon inconsciente. Jusqu'à ce jour, il sera difficile de me convaincre que l'Italie où j'ai vécu de 79 à 82 était hostile aux étrangers comme elle est devenue aujourd'hui. Certains me diront que rien n'a changé. D'autres insisteront sur la crise qui a plongé les consciences vers l'irrationnel racial. Etc. Je crois que j'étais peut-être un peu jeune pour saisir les finesses du racisme que j'y vivais. On devenait étranger lors des cérémonies culturelles; on devenait étranger lorsqu'il fallait faire la queue à la Questura di Roma; on était complètement étranger lorsqu'il fallait demander un visa de retour afin de voyager hors d'Italie. C'était la norme, on y obéissait sans réfléchir. Un contrôle drastique de tout mouvement. Certains pays vous laissent sortir une fois pour toutes quel que soit votre statut.
Lorsque la xénophobie frappe de plein fouet l'Afrique, alors là, je n'en reviens plus. Angolais, Rwandais ont été accueillis à bras ouvert sur le territoire congolais. Dieu seul sait ce que cette hospitalité a rapporté comme problèmes à ce pays hôte. Ces gens doivent aussi avoir subi de frustrations terribles; ce n'était pas facile pour eux aussi. Je n'oublierai jamais les menaces que nous proférions contre un condisciple de cinquième primaire à Kimbau, nommé Kanzumbila. Simplement parce qu'il était angolais. En réalité, il était comme nous; parlait comme nous; faisait tout comme nous. On le haïssait parce que ses parents n'étaient pas du pays. Face à l'étranger, les sentiments que l'on éprouve sont souvent étranges. Ce n'est pas un simple jeu de mots, hélas. Nos attitudes diffèrent selon qu'on a affaire à un fils / une fille du pays ou non. 
L'étranger, c'est celui qui n'est pas de notre tribu, de notre contrée, de notre langue. On l'exclue par la différence qui l'éloigne naturellement de nous. On l'humilie sans cesse afin de lui faire sentir qu'il n'est pas chez lui. On l'encense un peu pour le dénigrer à la moindre erreur. Cette attitude ne connait pas de couleur. Trappatoni en sut quelque chose, lorsqu'il avait dit: "Ich habe fertig". Googlez cette petite phrase, vous verrez jusqu'où la méchanceté humaine peut aller. Cet homme, latin, a exprimé ses sentiments de méridional avec les structures syntaxiques propres à son naturel, mais qui se sont révélées totalement contraires à la langue allemande. D'où la risée. Les Italiens lanceront: "Vous comprez" pour désigner les marchands ambulants qui sillonnent leurs plages pour vendre à la sauvette ou à la criée leurs objets d'art et autres trucs prisés par les Blancs. "Vuoi comprare?" mal dit. Une moquerie très subtile, mais raciste, dédaigneuse et intolérante. 
Etre étranger n'est rien d'autre qu'un crime. Aujourd'hui, les Sud-Africains chassent en masse les Mozambicains, les Zimbabwéens et les Somalies qui y vivent. Voilà des familles, des parents et des enfants, largués sans espoirs dans l'inconnu, vidés de leurs projets immédiats pour embrasser un avenir incertain. Le paradoxe, c'est que cet "avenir incertain" constitue le meilleur refuge, du moins pour le moment. Voilà des êtres humains qui, sommés d'abandonner leurs "vies", s'aventurent vers des terres natales qui leur seraient naturelles mais pour lesquelles ils sont entre-temps devenus des étrangers. Le retour au pays n'est pas toujours facile ni heureux.
Des personnes expulsées vers leurs pays d'origine après un long séjour en Suisse, en France, en Belgique ou en Angleterre se retrouvent clochards dans les rues des métropoles africaines. Le choc est terrible. Souvent, les intellectuels subissent plus les coups du déracinement que les voyous et vagabonds. Parti humain pour l'étranger, le voici revenu spectre et vide de vie. Etre étranger, c'est pas marrant. Alors pas du tout.   

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