2 mai 2015

Le métier de tuer

1. A deux reprises, j'ai risqué la mort par le fait de brigands. La première fois, j'en ai déjà parlé sur ce blog. C'est au crépuscule du 29 juin 1992 sur les hauteurs de la rivière Kwango avec le Frère Simon Van Steen SVD. Six bandits en tenue militaire avaient fait irruption sur la route pour obliger le chauffeur Musitu à s'arrêter. Mais comme le chauffeur les a semés en fonçant sur eux, ils ont tiré sur la jeep Land Rover, sans toucher personne. Nous avons seulement remarqué des impacts de balle sur le véhicule à notre arrivée à Kenge. Je n'oublierai jamais cet horrible jour, maintenant surtout que mes deux compagnons de route d'alors reposent auprès du Père Céleste. Paix à leur âme! La deuxième fois, moins évidente, était quand même dangereuse parce que ces bandits, Kalaschnikov en bandoulière, rançonnaient tous les passants.
2. Quel métier de que tuer! J'ai été très ému dans ma jeunesse par l'objection de conscience de Muhamad Ali lorsqu'il avait été emprisonné pour avoir refusé d'aller combattre au Vietnam. Ce discours m'a éclairé, car pour moi à cette époque un boxeur n'était pas très différent d'un tueur. Selon ses propres mots, Ali avait refusé d'aller tuer des innocents. Au-delà de la dignité qui s'attache à leurs métiers, le soldat, le policier, le membre de la sécurité, sont des potentiels tueurs lorsqu'ils n'en sont pas eux-mêmes les victimes. Noble métier que de servir son pays par le don de son sang! Mais le sang a aussi sa loi: "Qui tue par l'épée meurt par l'épée.", dit JC (Mt 26, 52). Je me réserve de l'interpréter.
3. Il y a de l'autre côté les tueurs, sbires, bandits, gansters, membres de pègre et autres  criminels à soldes. Ceux-ci constituent souvent des bandes exploitant des richesses monumentales issues de la drogue et d'autres traffics illicites de minerais et ressources naturelles, défendant des intérêts économiques qui touchent l'ordre du monde, qui détruisent le système écologique universel et la santé de milliers. Dans ces aggrégats, la vie d'un individu ne vaut pas le groin d'un cochon. Assez souvent les puissants services d'espionnage qui peuplent les bandes dessinées et les romans policiers n'agissent pas différemment.
4. Les têtes des tueurs des groupes extrémistes religieux, racistes ou politiques, sont officiellement mise à prix. Le montant de la récompense est établi en fonction du danger que représente le malfrat visé. Il y a également les révolutionnaires qui, à l'image du Chè ou de Castro, sèment de guerillas à travers le monde pour défendre leur peuple contre l'oppression capitaliste. La révolution s'effectue, armes à la main. Dans ce combat pour un monde meilleur et juste, le sang constitue le passage obligé.
5. Quelle conscience possède un homme dont le métier est de tuer, de menacer la vie des autres, au risque de sa propre vie? Quelle conscience possède quelqu'un qui tue à froid un autre humain? Quelle conscience possède-t-on après avoir délibérément causé la mort d'un individu ou d'une foule de gens? Comment ce médecin qui a enterré les cadavres de ses victimes dans sa propre concession conçoit-il son geste vit-il ce macabre phénomène? Lapidations, décapitations, explosions aveugles, génocides, tueries à l'arme blanche ou à feu, injections létales, empoisonnements, autant de formes de mise à mort qui interpellent la conscience universelle. Je pense également aux sbires et tueurs des Mains sales de Sartre, qui se retrouvent nombreux dans notre monde actuel écartelé par des enjeux ethniques, raçiaux, religieux, politiques ou philosophiques. Les actes des mouvements idéologiques de ce genre constituent à mes yeux des scénarios de fin du monde.
6. Pourquoi n'y a-t-il dans ce monde aucun agent dont le métier de tueur n'est mentionné sur sa carte d'identité? Ce serait moralement irresponsable et repréhensible. Métier subreptice et souterrain, mais visibilisé comme un radar au moment où il se déclenche. Certains s'y retrouvent forcés par les circonstances de l'histoire, par l'environnement politique immédiat. D'autres estiment qu'ils y ont été naturellement préparés, précisant que c'est un métier comme un autre. Le pire, c'est lorsque tuer une personne humaine devient un acte ordinaire, quotidien, dépourvu de tout remords et glorifié pour un "salut" céleste. Là alors, c'est le monde à l'envers.



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