30 nov. 2019

Le temps change les hommes

Lorsque vous avez rencontré une personne il y a des années et que vous la revoyez aujourd'hui, souvent la personne que vous retrouvez devant vous n'est pas pas la même. Le temps change les gens. La tête est devenue chauve, les rides se sont renforcées au visage, les articulations se sont raidies. Ou simplement la personne a grossi ou maigri contrairement à son aspect antérieur. Souvent leur histoire physique, professionnelle, biologique ou mentale, les affecte et influence leurs comportements. Le changement opéré par le temps informe leurs attitudes, et de surcroit la vision du monde.
Tutoiement. Il m'est arrivé de revoir un ancien camarade de classe qui, à cause d'un quelconque complexe, n'ose pas me regarder en face ni me tutoyer à cause de tout ce par quoi je suis passé. Par contre, j'en ai trouvé d'autres qui n'hésitent pas de me tutoyer au premier abord. D'autres encore refusent d'accepter que je leur demande de me tutoyer, préférant garder leur distance du respect qu'ils me doivent. Même un copain, lorsque je dis "copain", j'entends un ancien condisciple de classe. En fait, on dirait que moi j'ai réussi et que eux n'ont pas réussi. Faux! Chacun a son parcours; on ne peut pas restreindre sa vie à regretter éternellement des faux pas. Par nature et par option, je voue un égal respect à tous ceux et toutes celles qui m'ont vu grandir. Mon respect et mon affection pour eux demeurent identiques. 
Promotion sociale. La promotion sociale due aux diplômes universitaires, à l'élevation à certains postes ou à l'acquisition de certaines richesses, donne des ailes à leurs bénéficiaires. C'est aussi l'oeuvre du temps. Un homme parti en Belgique pour des études et revenu occuper des responsabilités au pays, n'a pas hésité à insulter son bienfaiteur qui lui avait accordé la bourse d'études, le traitant de pauvre et de mendiant. Beaucoup de parvenus n'aiment pas qu'on leur rappelle le temps où ils étaient comme tout le monde. Le temps, l'histoire, l'échec ou la réussite changent l'attitude des hommes en fonction de ce qui est vécu. L'homme qui a échoué subit de plein fouet la risée impitoyable de tout le monde. Des expressions du genre "Muzaraka murungwa" (il l'était mais ne l'est plus), "abetela" (il est ruiné), "acraqua" (il a pété les plombs) demontrent le sarcasme dont se nourrit la société pour juger les gens. Du temps où je faisait le directeur spirituel, une dame m'a dit: "J'ai passé toute ma vie à faire le Jean-Baptiste. Je refuse maintenant ce statut." Par là, elle s'insurgeait, dépitée et rancunière, contre toutes celles qui lui ont arraché des prétendants, estimant qu'elle avait été maladroite. Je lui avais conseillé de rester elle-même, de prendre ces revers comme ils sont arrivés. Le bonheur n'est jamais un chemin parfait, ni droit, ni paisible, encore moins donné.   
Gratitude. Le temps change les hommes, il faut l'avouer. Il m'est arrivé de retrouver dans certaines circonstances des anciens élèves ou cadets qui m'ont ignoré simplement parce qu'ils ont réussi dans la vie, ou jouissent d'une richesse matérielle et d'une position sociale élevée dans la société. Une indifférence choquante qui m'a indigné dans mon amour-propre. Soit comme on dit, la reconnaissance n'est pas de ce monde. L'arrogance fait qu'ils ignorent d'où ils viennent et ce dont ils ont bénéficié à un moment donné de leur vie. Souvent dans leurs déclarations, ils ont raturé l'apport spirituel ou moral de leurs mentors, estimant qu'ils sont arrivés au sommet par leurs propres efforts. Un prêtre de mes aînés m'a surpris un jour en me disant: "Cela fait plaisir que vous pensiez encore à des gens comme nous." Très attristé, je lui ai exprimé à sa surprise ma profonde gratitude pour son énorme contribution à ma formation, en soulignant que je ne serais jamais devenu ce que je suis devenu sans lui. Dans ce monde, nous nous laissons souvent leurrer par nos contingents succès sociaux ou professionnels du moment en faisant table rase de tout ce qui a précédé. "Je n'ai pas changé" comme avait autrefois chanté Juglio Iglesias. Je n'ai certes pas une vie parfaite, mais j'ai des valeurs auxquelles je tiens mordicus, je me dis béni. Blessed!
Est-ce le temps qui change les hommes? Ou bien les hommes qui changent avec le temps? Serait-ce mieux de soutenir que les hommes ne changent pas fondamentalement alors que le temps change constamment. Remontez à Héraclite et consorts.

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