Il y a quelques jours j'ai relu l'interview que le professeur Biyoya avait accordée au journal Le Potentiel en juillet 2011. Pour moi, il y a une réelle interpellation. Autrefois, il y avait trois universités en RDC, puis une seule la célèbre UNAZA jadis décriéee mais reconnue valablement aujourd'hui. Aujourd'hui, les universités pullulent à tous les coins de rue à Kinshasa, Lubumbashi, Kisangani. Chaque province, chaque ville possède son université à côté des instituts supérieurs de toutes sortes. Une véritable inflation.
A l'époque, les Basuku avaient même créé une université de Musambu sous la houlette d'un politicien du coin. A cause de mon appartenance ethnique, j'ai obtenu des informations sur cette institution. On m'a dit que le plus difficile était obtenu: l'acte (décret ou arrêt) ministériel de création. On en était à l'étape d'engager un personnel qualifié parmi les ressortissants du coin, à constituer une infrastructure académique (bibliothèque), administrative, logistique. Que tous les efforts étaient mis en oeuvre pour que l'année soit ouverte au plus vite. Jamais la question n'est passée à l'esprit: A quoi servirait cette université? Qu'offrirait-elle de mieux - en qualité - que les instituts existants? Je crois que cette caricature forme le lot de beaucoup d'institutions supérieures et universitaires récemment créées. En dépit de la libéralisation en vigueur, la création d'une université ne s'improvise pas. On a beau faire la chasse aux instituts "non viables", la qualité de l'enseignement universitaire n'est pas pour autant garantie.
Un collègue gabonais m'a raconté qu'à la fin de ses études, il aurait pu, s'il l'avait voulu, être promu professeur ordinaire quelque part - sans avoir jamais exercé un quelconque enseignement universitaire auparavant - simplement parce qu'il connaissait quelqu'un qui avait le pouvoir de le parachuter à ce poste. J'observe aujourd'hui de telles tendances dans nos universités. Des collègues sont propulsés professeurs associés ou ordinaires alors même que l'institution dans laquelle ils ont commencé à travailler n'a pas trois ans d'existence. Sont-ce des titres sérieux ou bien marchandés pour donner une stature honorable à l'institution? Des généraux et politiciens en pleine fonction défendent avec grande distinction des thèses à l'université, prennent aussitot le titre de professeurs ou sont promus en dehors de toute procédure adéquante.
Nationalisation, ethnisation et politisation sont les fléaux entre autres dénoncés par le professeur Biyoya, qui ont ruiné l'université en RDC. L'actuelle dissémination des instituts universitaires à travers le pays permet aux étudiants de ne plus aller à Kinshasa, Lubumbashi ou Kisangani comme ce fut par le passé. Par contre, une université a ses propres exigences et critères d'excellence et de qualité qui ne dépendent ni d'un pouvoir politique ni d'une instance d'influence. Même à l'époque où les choses allaient encore bien, beaucoup de doctorants sérieux allaient suivre des stages ou séminaires de recherche dans des institutions occidentales avant de présenter sa thèse. Des bourses de recherche étaient à disposition quoique parfois distribuées injustement. Aujourd'hui, l'excellence n'est plus reconnue ni encouragée. Désormais les cycles de licence-maîtrise et doctorat existent presque partout. Et chaque institut s'y adonne à coeur-joie.
Quel est le débouché de notre université? Une enquête pourrait étudier le rendement de ses finalistes sur le marché du travail. En fait, un tel travail qui pourrait pourtant s'avérer utile et éclairant n'intéresse personne. Les entreprises préfèrent importer des expatriés plutôt qu'embaucher des locaux. D'où la ruée vers la politique, les cabinets ministériels et les entreprises publiques! D'où la ruée vers la débrouille et les postes de "conseiller". Les professions jadis attractives comme la médecine, le barreau et l'enseignement supérieur ont perdu leur éclat au profit de celles plus lucratives de musiciens, sportifs, "sapeurs", pasteurs ou commissionnaires. L'université a été mise en état de crise permanente. Elle forme des diplômés dont la société n'a que faire. Comme quoi l'argent ne va ou ne vient pas forcément avec le savoir théorique. Les autodidactes et autres praticiens ou hommes de terrain réussissent plus aisément dans les affaires que les universitaires trop bourrés de systèmes et d'idéologies. L'université n'a jamais trouvé sa pertinence dans la société congolaise, voire africaine. L'intellectuel n'est pas bien vu dans ce pays; il est même soupçonné d'incompétence lorsqu'il ne cède à un pédantisme creux et dégradant. Bref l'intelligence théorique ne nourrit pas son homme.
S'il y a un point déterminant pour cet échec de l'université, c'est l'argent. Toutes les attributions dont bénéficiaient jadis l'université et l'universitaire de la part du gouvernement ont été supprimées. Je comprends de l'interview que ce sont les parents qui financent l'université alors que l'état nomme les gestionnaires: recteur, administratifs, etc. Et la gestion de cet argent n'est pas transparente puisque les professeurs sont irrégulièrement payés. Et le professeur subit de plein fouet la dégradation de son métier et la crise économique ambiante qui le somment de vendre son savoir dans différents instituts du lieu. Basé à l'UNIKIN, il peut être visiteur à Kimwenza chez les jésuites, à temps partiel à l'UPN, chef de projet à l'IFASIC ou à l'UCC, intendant à l'ISP. Pourquoi pas, s'il est débrouillard, député national ou provincial à défaut de directeur de cabinet (Dircab) ou conseiller. Comment peut-il dans ces conditions dédier un temps suffisant à la recherche, publier, participer à des colloques, assurer la direction des travaux des étudiants? Comment l'université de ce remuant professeur peut-elle être compétitive par rapport aux autres sanctuaires du savoir du monde? Je caricature, bien entendu.
Vous tenez à avoir mon avis à la suite de l'interview du Professeur Biyoya? Dans son état actuel, l'université ne sert à rien. J'y reviendrai.