22 mars 2013

Hommage: Chinua Achebe (1930-2013)


Le 21 mars 2013 est décédé à Boston aux Etats-Unis l'écrivain nigérian Chinua Achebe, l'auteur du roman le plus célèbre de la littérature africaine moderne toutes langues confondues: Things Fall Apart (Le monde s'effondre, 1958). Romancier remarquable, homme de lettres exceptionnel, Achebe qui vient de tirer sa révérence est un monument de la culture africaine. Paix à son âme! Honneur et respect au maître de la parole!


"Chinua Achebe, le romancier de l'oralité
(p. 233-235)
Dans Things Fall Apart Achebe nous met en présence des villages auxquels il attribue un discours à la mesure de leurs usages langagiers. Soucieux de vraisemblance, il va jusqu’à transposer ce niveau de langue en anglais. G.D. Killam avait déjà observé ce phénomène: « The language of Okonkwo and the others villagers is expressed in the idiom of the villagers as Achebe transmutes it into modern English » (Killam 1969: 13).[1]Même aux enfants on apprend dès le jeune âge à peser les mots et à bien choisir les expressions en fonction des circonstances:
Children were warned not to whistle at night for the fear of evil spirits. Dangerous animals became even more sinister and uncanny in the dark. A snake was never called by its name at night, because it would hear. It was called a string. (Achebe 1973: 7)[2]
Ce contrôle rigoureux de la parole montre que les personnages vivaient dans un monde merveilleux propre aux contes et légendes. Au-delà de l’attribution d’un discours proverbial aux personnages et de l’inspiration esthétique, Achebe s’inscrit dans la tradition igbo du narratif. Non seulement le romanesque est construit sur une ambivalence philosophique propre à la narratologie igbo, le romancier anglophone insuffle des contes entiers ou des extraits de conte susceptibles d’expliquer une situation événementielle de son récit romanesque. Ainsi en est-il de la fable du moustique et de l’oreille:
“Mosquito”, she said, asked Ear to marry him, whereupon Ear fell on the floor in uncontrollable laughter. “How much longer do you think you will live?” She asked. “You are already a skeleton.” Mosquito went away humiliated, anytime he passed her way he told Ear that he was still alive. (Achebe 1973: 66)[3]
C’est le mythe étiologique qui aide à comprendre pourquoi le moustique vole toujours près de l’oreille et l’empêche de dormir.
Le conte du vendeur de chèvre justifie l’usage de la sorcellerie, pratique souvent évoquée pour expliquer certaines choses inexplicables:
There was once a man who went to sell a goat. He led it on a thick rope which he tied round his wrist. But as he walked through the market he realized that people were pointing at him as they do to a madman. He could not understand it until he looked back and saw that what he led at the end of the tether was not a goat but a heavy log of wood.
Do you think a thief can do that kind of thing single-handed?” asked Nwanko.
“No”, said Obierika. “They use medicine”. (Achebe 1973: 101)[4]
Le conte, la fable, la légende, le chant comme le proverbe, constituent la toile de fond du discours des personnages présentés dans Things Fall Apart. N’est-ce pas le lieu de reconnaître qu’il s’agit d’un roman dont l’écriture est inspirée de la poétique orale igbo? Achebe applique au roman la même transposition formelle et thématique que Senghor a appliquée à la poésie française et que Diop a reprise dans ses contes."
 (Source: KC MABANA. "Léopold S. Senghor, Birago Diop et Chinua Achebe: Maîtres de la parole" Matatu 33.  2006: 223-240)


[1] [Le langage d’Okonkwo et des autres villageois est exprimée dans l’idiome des villageois pendant qu’Achebe le transmue en anglais moderne.]
[2] [On apprenait aux enfants de ne pas siffler la nuit par crainte des esprits mauvais. Les animaux dangereux devenaient même plus sinistres et malins. Un serpent n’était jamais appelé par son nom la nuit, parce qu’il pouvait entendre. Il était appelé une corde.]
[3] [Le moustique, dit-elle, demanda à l’oreille de l’épouser. Sur ce, l’oreille tomba par terre, saisie d’un rire incontrôlable. « Combien de temps, penses-tu, te reste-t-il à vivre ? », lui demanda-t-elle. « Tu es déjà un squelette ». Le moustique s’en alla, humilié, et chaque fois qu’il passait son chemin, il disait à l’oreille qu’il était encore vivant.]
[4] [Il y avait une fois un homme qui alla vendre une chèvre. Il la lia avec une corde épaisse autour de son coude. Mais comme il marchait à travers le marché, il se rendit compte que les gens le fixaient comme ils fixent un fou. Il ne pouvait pas comprendre cela jusqu’au moment où il regarda en arrière et vit que ce qu’il portait au bout de la corde n’est pas une chèvre, mais un lourd fagot de bois.
- Penses-tu qu’un fou peut faire ce genre de choses tout seul?, demanda Nwanko.
- Non, dit Obierika. Ils se servent de fétiches.]



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