En RCA, il y a désormais un président par interim. Depuis deux jours, la situation a dramatiquement changé. L'ancien président a fui au Cameroun pour sauver sa peau, le nouvel auto-proclamé se dit président par interim. En tant que littéraire, peu importent les noms des acteurs, c'est le scénario qui m'intéresse.
1. Du déjà vu. Un coup d'état avec ou sans effusion de sang. Un commandant rebelle s'installe au pouvoir ou un chef d'armée connu ou inconnu estime se donne mission d'instaurer l'ordre dans le système démocratique. L'ancien président est accusé de tous les maux: incompétence, tribalisme, mégestion, injustice, crimes arbitraires, despotisme, détournements de fonds publics, etc. C'est la volonté du peuple ou de l'ethnie persécutés par le régime déchu, qui prévaut. Ou bien, c'est la volonté de la hiérarchie militaire scandalisée par des dissensions internes dans la classe dirigeante renversée, qu'on met en exergue. Quelle que soit la raison avancée, le chef de la révolution prend le pouvoir et fabrique des motifs de changement pour un mieux-être de toute la nation. Du point de vue formel, le schéma est identique un peu partout.
2. Une période de transition. Toutes les institutions du pays (exécutives, législatives et judiciaires) sont suspendues. Armes à la main, les frontières sont fermées, le pays isolé. La population est invitée à rester calme et à attendre le salut du nouveau maître. Le maître dicte sa loi: une période transitoire. Souvent, un siège relativement court, deux ou trois ans, est dicté car tout en restant très ferme voire cruel, il faut garder un visage humain. La transition constitue en réalité le temps qu'il faut pour s'installer confortablement dans son fauteuil, museler les récalcitrants, monter son système de gouvernement et s'assurer un pouvoir à longue durée. Le mouvement rebelle se "civilise" en devenant un parti politique, car il faut éviter tout débordement tyranique de peur de provoquer des soulèvements intempestifs.
3. Le règne de l'arbitraire. Le nouveau chef se saisit des instruments et instances officiels pour justifier les bienfaits du nouveau régime après les ténèbres dans lesquelles s'enlisait le pays. "C'est moi, la Constitution", a dit le maréchal Nnikon Nniku prince consort de Tchicaya U Tam'si. Le dictateur non révélé peaufine son profil, sa doctrine et son action politiques, en dissimulant habilement ses ambitions de devenir "président à vie". Il devient l'homme qu'il fallait, le messie annoncé par les griots ancestraux, le héros du peuple. La propagande s'en mêle, et le tout est ficelé. Les services secrets éliminent toutes les velleïtés de résistance, musèlent les bavards et assurent à l'homme fort une voie royale pour un mandat présidentiel en bonne et due forme. Entretemps se promulgue une constitution taillée sur mesure, faisant table rase de tous les anciennes dispositions devenues désormais caduques.
4. La faiblesse des institutions. Voilà le tendon d'Achille de la politique en Afrique! Aucune institution ne s'inscrit dans la durée. N'importe quel seigneur peut tout chambouler n'importe quand. A se demander si on a le sens de l'état. Symbole de l'échec du bon sens au profit de l'arme, la fragilité des institutions forme le drame de notre politique. On recommence à zéro au lieu de continuer sur ce qui a été déjà fait. On institue la mémoire courte. Du jour au lendemain, on proclame que tous les prédécesseurs n'ont rien fait, ayant plutôt pillé le pays au lieu de le construire. Le tyran qui répare une route dit qu'il l'a construite; il pourrrait même ajouter qu'il y a investi sa fortune personnelle qu'il ne serait jamais contredit. Alors tout repart de zéro. En réalité plus ça change, plus c'est la même chose. On place les siens à des postes clés, on est élu à 95% faisant du pays et de ses ressources sa propriété privée. On y est, on y reste. La communauté internationale, en dépit de vociférations qui peuvent parfois être agressives, finit toujours par s'en accommoder, complice ou lasse de poursuivre un boycott inutile. Tout en dénonçant l'inconstitutionalité du régime, les anciennes puissances coloniales continuent à sauvegarder leurs intérêts financiers et économiques.
5. A chaque pays son sort. Observez tous les putschs advenus en Afrique sub-saharienne depuis les années 60, vous dresserez une typologie de coups d'état. Pourquoi cela n'arrive-t-il qu'en Afrique? "C'est une fatalité, mon cher. Tu n'y peux rien, nous n'y pouvons rien. Laissons le temps au temps", m'a répondu un jour un journaliste burkinabé. Soit. La République Centrafricaine en est à l'étape initiale. Vive Djotodia qui a suspendu la constitution et va légiférer par ordonnance! Qui lui a donné ce pouvoir? Autrement dit, "président auto-proclamé par interim" est une autre fatalité proprement africaine. Quand sortirons-nous de l'incertitude et stabiliserons-nous nos institutions? Pas de mon vivant, quoi qu'il en soit. Démocratie, c'est pas pour nous.
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