15 mai 2013

Enfant-sorcier

-  Un enfant-sorcier? Vous n'êtes pas sérieux; come on!
- Aussi sérieux que le pape à la chaire de vérité.
- Non, c'est une blague.
-  Aussi irrationnel que cela puisse paraître, vous pénétrez avec ce thème dans le saint des saints des croyances et des us africains. Laissez-moi vous raconter des histoires que j'ai entendues au sujet des enfants-sorciers.
1. Un monde opaque. Du temps de mon enfance, j'ai entendu parler d'enfants-sorciers dans les contes qu'on nous racontait lors des veillées nocturnes. Dans ma tête, c'était clair que c'était juste des récits sans dangers. Les vieux étaient tous  réputés sorciers. Plus d'une fois, il m'est arrivé de croiser un enfant de mon âge dont on disait qu'il était sorcier. Souvent simplement parce qu'il accompagnait son vieux père ou grand-père un peu partout où ce der,nier allait. Ce n'est que plus tard que j'ai compris que ce compagnonage était un service social rendu au croulant vieillard. Les mauvaises langues soutenaient que cette proximité constituait à elle seule une initiation à la vie occulte et aux pratiques sorcières. Dans la plupart des cas, ces enfants n'allaient pas à l'école moderne.
2. Des croyances d'un autre siècle. Je n'oublierai jamais un jour de juillet 1978 où j'avais rendu visite au père Frank Roelandt svd à la paroisse Christ-Roi de Kinshasa. Il commençait son apostolat des enfants de la rue. Ce jour-là, il m'a présenté ces jeunes gens, m'a parlé de leur vie. Que ces enfants préféraient dormir sur le terrain de basketball plutôt que dans le dortoir qu'il leur a construit. L'habitude du plein air avait pris le dessus sur le luxe qu'offraient quatre murs, à tel point que le dortoir servait de dépôt pour leurs effets. Parmi ces enfants, le père Frank m'a parlé d'un fils d'un ancien prêtre chassé de la maison paternelle parce qu'il était sorcier. Un autre était chassé par ses parents parce que, depuis sa naissance, ses parents éprouvaient du mal à dormir et subissaient des cauchemars inouïs. Un nganga (un devin) qu'ils avaient consulté leur a intimé d'écarter immédiatement le jeune homme afin d'éviter des malheurs plus graves. Un troisième a été jeté à la rue à la suite de la faillite financière subie par son père, peu après la naissance du rejeton. Un pasteur appelé à la rescousse n'a pas hésité d'incriminer le malheureux enfant sous prétexte que sa présence était maléfique, qu'il était en réalité un ancêtre-sorcier revenu régler ses comptes avec son père. Jeté à la rue, il a été recueilli par les bonnes soeurs qui lui ont assuré un milieu de vie. Cette échange m'a beaucoup bouleversé, tellement bouleversé que je ne l'oubierai jamais.
3. Du pain pour le pasteur et le devin. Comment un enfant de deux ans, qui articule à peine son propre nom, peut-il être un sorcier capable d'agir sur le destin d'une famille ou d'un homme? Ou bien c'est de l'ignorance ou bien c'est de la mauvaise volonté. Comment une mère peut aisément se débarrasser d'un enfant qu'elle a tendrement porté dans son ventre pendant neuf mois au seul motif que celui-ci est un sorcier? Comment un père, intellectuel de surcroît, peut-il jurer que son fils est porte-malheur au lieu de se poser sur la manière dont il gère sa vie et ses affaires? Pour moi, c'est de l'irresponsabilité pure et simple. Un refus d'élever son enfant alors qu'il y a de milliers de familles sans enfants et qui ont recours à l'adoption. Un enfant, c'est un trésor sacré. Mon père, Donatien Mabana d'heureuse mémoire, disait un adage: "la cause est finie au moment où on décide d'aller au devin." Ce dernier, bon manipulateur, sait comment détrousser ses clients. Et comment? Il les suce jusqu'à l'ongle. Curieusement, certains pasteurs des églises du réveil emboitent les pas des devins, banalisant en quelque leur propre ministère sacré.
4. Des milliers d'enfants sont quotidiennement jetés sur la rue pour des raisons aussi simplistes que celles que j'ai évoquées plus haut. Une tare dans le système social né de la post-colonisation. Affrontant très tôt la précarité et la misère, ces enfants-sorciers sont destinés à la vie criminelle des quartiers chauds des capitales africaines. Des innocents condamnés par la haine parentale et très tôt exposés aux dangers et aux crimes - vol, viol, tuerie, braquage, etc. - qui sévissent dans les milieux urbains. 

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