Le tribalisme? Voilà une question très importante pour nos communautés d'Afrique. Comme pour le racisme, l'autre est la cible principale. C'est l'affirmation de soi.
"Ku mbau kukala iwaku sisi di niengako" (Quand un des tiens est au feu, le maïs ne se calcinera jamais). En clair, votez pour quelqu'un de votre famille, de votre village, de votre tribu, de votre coin, afin qu'il défende vos intérêts au niveau politique. Ne votez pas un étranger. C'est le tout premier principe tribaliste que j'ai appris dans ma vie. L'un de tous premiers proverbes qu'il m'a été donné de connaître. C'était en août 1964.
Je venais d'arriver à Makiosi avec ma famille pour la deuxième primaire. Makiosi était dans la fièvre de l'érection du secteur Bakali, dissident de Kobo ou Pelende-Nord. Le chef-lieu était à Nzasi, je n'ai jamais compris comment le chef de secteur Mandokolo Kimbuta s'est retrouvé à Makiosi. Pour la petite histoire Mandokolo fut le père de José, André (actuel gouverneur de Kinshasa) et Lazare Kimbuta. La vie du secteur Bakali a été éphémère. Il y avait une campagne électorale. Ainsi m'a été donnée l'occasion de voir pour la première fois Louis Musey, Peti-Peti, ... et mon propre grand-oncle Sylvain Mayengo, candidat malheureux.
Depuis, cette idée est restée en moi. Pour la députation provinciale ou nationale, on vote forcément quelqu'un de chez soi, non pas tant à cause de ses compétences que de son appartenance à la tribu. Principe étroit, mais toujours en vigueur. Suivez les discours de beaucoup de candidats aux élections, vous retrouverez la veine tribaliste. Le principe est identique. Et ce tribalisme rampant résiste à toutes les tentatives d'éradication aussi bien au niveau microcosmique du village que macrocosmique du pays. Dans certaines villes, les natifs ne se mêlent pas aux étrangers venus d'ailleurs, créant une atmosphère de méfiance et d'insécurité perpétuelles.
Un natif de Kenge candidat aux élections s'est vu refuser le statut de natif de Kenge, simplement parce que ses parents sont originaires d'un autre territoire du Kwango où il n'a même jamais été. Cela illustre bien l'incontournable prépondérance de la tribu. Je ne sais pas comment cela se passe dans d'autres continents. En Afrique, le tribalisme est un véritable fléau. Aucun pays n'y échappe.
Le frère du village ou de même langue est plus sûr que l'étranger qui vient de loin. Ainsi, même au niveau national, on veillera à ce que les fonctions-clés soient détenues par les siens. L'UDPS appartient aux Baluba, et le PALU aux Bapende. Les autres adhérents sont marginalisés quelles que soient les positions qu'ils y occupent. Les Bakongo ont régné sous Kasavubu, les Bangala sous Mobutu et sous les Kabila père et fils, ce sont les Baswahili. Autant le pays se dirigeait en lingala sous Mobutu - j'en ai été témoin - , autant le swahili est devenu la langue inévitable dans certains services spéciaux de la RDC d'aujourd'hui. Ouvrez le passeport rd-congolais, il y a l'anglais, le français et le swahili. L'ordre d'imposer le swahili n'a jamais été donné par le chef de l'Etat, mais la réalité s'est imposée d'elle-même. Personnellement, pour dépasser le sectarisme tribaliste, j'ai toujours plaidé pour que les quatre langues du pays figurent dans les emblèmes officielles du pays. Les Suisses y ont réussi, pourquoi pas les Congolais. Même la Suisse gère impeccablement les divergences entre les différents groupes ethniques: français, allemand, italien et romanche. Je suis bien informé des dissensions internes entre Suisses romands et alémaniques pour avoir vécu douze ans dans ce pays.
Beaucoup de nos pays africains sont divisés en entités tribales ou ethniques. Les rébellions n'ont de base que tribale. Le génocide rwandais a été tribal. Hutu et Tutshi restent en conflit éternel quelle que soit la façade pacifique qu'on prône. La Côte d'Ivoire s'écartèle entre le Nord et le Sud. Le Sénégal et sa Casamance. Le Biafra au Nigeria. Le Nordistes d'Ethiopie. Les Luo et les Gikuyu au Kenya. Autant des fissures pratiquement impossibles à raccommoder. Il suffit d'un petit éclat d'étincelle pour que les vieux démons de la haine tribale remontent à la surface. C'est connu de tous. Pourquoi tout cela? Parce que la convivialité avec l'autre est difficile, conflictuelle et tendue. Même dans les institutions fondées sur la foi religieuse ou morale, ou qui défendent l'égalité de tous les hommes, la veine tribale joue un rôle incontournable. Certaines autorités n'éprouvent aucune honte à se proclamer tribalistes, défenseurs de leurs frères et sœurs du village, de même langue. L'expression "gouvernement de mon frère" est apparue dès l'avènement des indépendances. Combien de mariages ont capoté simplement à cause de la réalité tribale, la famille ayant rejeté l'épouse ou ayant imposé une deuxième femme du coin à l'usurpatrice étrangère? A Rutshuru, on est présentement en train d'enlever ou de tuer les non-natifs du coin qui s'y trouvent (Cf. La dernière lettre pastorale de Mgr Kaboy). Nettoyage tribal! Le problème est donc très complexe, compliqué.
En conclusion, ce qui s'appelle racisme ailleurs ou dans d'autres contextes s'illustre comme tribalisme (népotisme, favoritisme) au niveau local et interne de nos pays. J'y reviendrai.
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