24 janv. 2014

Kulutu Gaston Mario, repose en paix!

La nouvelle de la mort de Vieux Mario vient de nous surprendre, Clavère et moi-même, comme un ouragan dévastateur. Nous sommes sans parole, tellement surpris par ce malheur. Chaque fois que nous évoquons notre séjour à Berlin, nous citons le nom de Vieux Mario, car s'il est des personnes qui nous ont marqués à Berlin et y ont rendu notre séjour heureux, Ingrid et Gaston Mario sont de ceux-là. En plus de mes cadets doctorants Willy Musitu et Fulgence Kambembo, je citerai aussi les famille Ekumba, Kylaba, Maman Annie Akuda et Vieux Paul Imbanda. Nous nous sommes connus en 1999. Nous nous rencontrions régulièrement soit chez eux soit chez nous, soit chez des amis communs. Si je devais raconter tout ce que je sais de cette famille, depuis leur rencontre comme étudiants en Tchecoslovaquie jusqu'à ce jour où la mort les a séparés, j'écrirais facilement un livre. Ingrid et Gaston Mario ont traversé des défis sociaux, des tempêtes raciales et culturelles de toutes sortes. Je n'oublierai jamais nos conversations avec Ingrid au sujet des (enfants) métis tels qu'ils sont perçus en Afrique et en Europe. Bien inculturée dans tradition congolaise, Ingrid parlait aussi bien le lingala que le français. Ils ont tenu à ce que leurs enfants suivent tous une formation universitaire, moyen efficace pour vivre dans leur environnement aux multiples défis.
Lorsque nous les avons connus, Vieux Mario était à la retraite prématurée, victime d'un AVC suivi d'une paralysie qui l'avait frappé du côté gauche. Sa femme allemande, Ingrid, travaillait encore comme pharmacienne. C'est le premier couple mixte qu'il m'a été donné de voir vieillir ensemble. Les enfants étaient déjà grands, pour la plupart sortis de la maison. Son fils Champro faisait des va et vient dans le cadre de son travail. Très vite, j'ai découvert que Vieux Mario était prince kongo de la dynastie Menikongo, ami d'enfance de Jean-Jacques Kande et Dominique Sakombi, oncle de Mawampanga. Il a vu Mobutu venir draguer Maman Antoinette qui fut sa voisine de parcelle à Ngiri-Ngiri. Il a vu Léon Lobitch prendre le bus pour se rendre au travail. Il a vu... Sa soeur aînée fut gouvernante des enfants Mobutu. Etc. Kulutu Mario mélomane possédait de vieux 33 Tours d'une rareté exceptionnelle, dont une pochette de l'OK Jazz sur laquelle on pouvait reconnaître Maître Nyimi Mayidika Ngimbi musicien du temps de ses études. Intellectuel et analyste politique averti, il  possédait également une série de photos-souvenirs impressionnants, des documents d'archive .instructifs et un carnet d'adresses bien fourni.
Parti en formation universitaire en 1960 en Europe, il y est resté et s'est installé à Berlin jusqu'à sa mort. Il est quelquefois retourné au Zaire du temps où Kande et Sakombi étaient forts dans le régime. Le président les avait une fois reçus, lui et son épouse, au Mont Ngaliema, et se serait étonné de les voir sortir sans qu'ils lui aient demandé de l'argent. Leur dernier séjour en famille s'est terminé en queue de poisson, sommés par des circonstances inattendues de quitter Kinshasa. Comme l'a écrit l'aîné Paul Indongo-Imbanda, Vieux Mario aimait rire et faire rire. Sa tête était pleine d'anecdotes. Viveur, jouisseur de la vie, Vieux Mario adorait la bière Becks. A une époque antérieure, cet ambianceur-né avait tenu un bar-dancing africain du côté de KaDeWe où Africains, Antillais, Latino et Afro-Américains allaient se défouler. Dans un bar, il achetait toujours deux bouteilles de bière à la fois. Un jour, il m'a surpris: "Dis Claver, il paraît que Petit na yo moko abali basi mibale. Bapetit oyo baza sérieux te".
Nous allions souvent chez lui. Et à chacun de mes passages à Berlin, je ne manquais jamais d'aller leur rendre visite et de lui apporter une petite bouteille de rhum, car il en était amateur. Lors de mon séjour d'enseignement à Humboldt de mai-juillet 2009, je suis personnellement intervenu pour le réconcilier avec son ami Léopard. Il m'avait appelé pour me remercier. Vieux Mario m'a révélé beaucoup de confidences sur sa vie, sur ses relations, sur ses positions politiques et idéologiques. Leur maison était ouverte à toutes les nationalités du monde sans distinction de race, ni de genre, ni de religion. Ce que j'ai admiré chez ce sage, c'était son sens d'écoute, d'accueil et d'humanité, sa largeur d'esprit, sa générosité. Il m'a également donné beaucoup de conseils dont certains étaient ironiques, pratiques.
Nos sincères condoléances à Ingrid et à toute la famille étendue Mario. Que son âme repose en paix!
Kulutu Mario, kende malamu. Pema na boboto ya Nkolo Nzambe! Tu nous manqueras toujours.



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