1. On a toujours dit, à tort ou à raison, que le président Maréchal Mobutu était un grand "damiste", imbattable au damier. Le film Le Damier de Balufu en est une preuve irréfutable. A se demander si, comme c'est souvent le cas, on le laissait gagner par complaisance ou parce qu'il était effectivement un excellent joueur de dames. Allez-y voir. Je crois que l'une et l'autre explication vaut, car pour les lèches-pattes l'occasion était propice de gagner les faveurs du chef en le sublimant outre-mesure.
2. Mon regard de littéraire et de dramaturge me laisse croire qu'il était un excellent damiste politique. Orateur doté d'une extraordinaire capacité de mise en scène, Mobutu savait présenter les choses en sa faveur et convaincre même les plus récalcitrants de ses détracteurs. Un proche ami était toujours forcé de changer son point de vue sur lui à chaque fois qu'il entendait un discours du Guide-Maréchal. En juin 1980, peu avant son arrivée à Rome, les étudiants du Campus de Kin s'étaient révoltés à cause de leur alimentation. Un ami lui a posé une question à ce sujet lors de sa rencontre avec les ecclésiastiques zaïrois de Rome à la résidence de l'ambassadeur Tshimbalanga.
3. Voici plus ou moins la réponse de Mobutu: "Soki mama alambi matembele, makayabu, kwanga. kasi mwana alingi kolia loso na mbisi (Si une maman offre du matembele, du poisson salé et de la chikwangue, mais que l'enfant préfère manger du riz au poisson), ce dernier n'a pas, pour cela, le droit de casser les marmites à la cuisine. Il doit aller d'abord exposer son voeu. C'est justement à ce dialogue que j'ai appelé les étudiants. Il faut quand même de l'ordre. Vous faites du désordre, je vous arrête." Tout le monde présent a applaudi bien entendu, même moi entraîné dans la mêlée. A ce niveau de maîtrise de la parole, il était très bon joueur de dames.
4. Une fois, il avait engagé un directeur de cabinet d'ethnie luba. Il aurait reçu des coups de fil de plusieurs personnes le décourageant et le mettant même en garde qu'il allait regretter ce choix. Pour expliquer son choix, il en a parlé au Stade du 20 mai. Les historiographes s'en souviennent assurément. La mise en scène était tellement bien agencée que dans la presse personne n'avait osé remettre en question l'existence de ces coups de fil. C'était son point fort. Mobutu exerçait l'art de la politique comme un jeu de dames.
5. Ces mises en scène ont existé, existent, et existeront tant que le noble métier de la politique continuera d'exister. Pour se débarrasser d'opposants trop encombrants, on n'hésite pas à fomenter un coup d'état monté. Pour faire taire un opposant trop bavard, on crée une cellule du silence. Tchicaya U Tam'si avait trouvé mieux: Le maréchal Nnikon Nniku a exigé de ses collaborateurs de se crever un oeil pour faire partie du gouvernement. Eh bien, un jour après, tous les ministres étaient devenus borgnes. De là à obtenir un gouvernement d'aveugles, de toque-toque ou de fous. Des empires se sont érigés sur la base de ce jeu.
6. Observez bien la politique dans n'importe quel pays du monde. Vous y retrouverez tous ces cas de figures, et même d'autres, inédits. La politique, véritable damier, est un champ extraordinaire pour la révélation de la créativité de l'imaginaire. Si vous apprenez un jour que je fais de la politique, sans aucun doute ce sera pour y appliquer ma théorie dramaturgique. Placez bien vos pions, vous y verrez clair. Les pions fonctionneront d'eux-mêmes, automatiquement, sans intervention immédiate ni permanente de votre part. Seulement, veillez à contrôler les tendances qui s'en dégagent. Vous serez maîtres du jeu. La politique, c'est cela. Un jeu de dames, rien d'autres!
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