Comme mes congénères, j'ai admiré Shungu Wembadio alias Papa Wemba depuis Zaiko Langa Langa (1970) en passant Isifi, Yoka Lokolé jusqu'à la création de Viva la Musica. Comme mes congénères j'ai dansé au rythme de "Chouchouna, Amazone ou Mère supérieure". Comme mes congénères, j'ai suivi les péripéties de la vie de Papa Wemba. Je n'ai eu l'occasion de le voir live sur scène qu'une seule fois. C'était pendant les vacances de 1975, je venais de finir mes examens d'état; je passais mes vacances à Yolo. Un samedi, Isifi a joué dans une boite à côté de Maître Taureau: là ma mémoire me trahit. Les noms ont changé entre-temps. Là, j'ai vu Wemba, Bozi et Mavwela, exécuter la danse "Ebotu" Il faut avouer qu'à l'époque je privilégeais les concerts de Bella-Bella quoique j'aie aussi vu Zaiko, Sosoliso, Cavacha, Stukas.
Je n'ai jamais, à proprement parler, été un fanatique de Papa Wemba bien que j'aie admiré son parcours musical et que je le place au sommet du palmarès. Après Rome (1982), je ne m'intéressais plus à la musique congolaise comme auparavant. Mon statut d'homme d'église m'a détourné de cet intérêt. Par contre, j'étais sommé d'écouter bon gré mal gré les oeuvres musicales qui s'imposaient au public. Mon rapport à la musique a changé, après intégré des sons d'Italie, d'Allemagne, du Brésil ou des US à ma discothèque. Wemba s'est retrouvé en Europe à la même époque où je faisais mes études à Fribourg. La présence des Africains et des Congolais a sensiblement augmenté à tel point qu'on pouvait écouter de la musique africaine dans des agglomérations européennes. Aussi, n'ai-je pas été surpris d'entendre dans les années 90 des tubes de Wemba, Zaiko ou OK Jazz à Placette-Fribourg, dans un marché public sur la Bahnhofstrasse de Zürich.
A Zürich en 98, j'ai eu à connaître une de ses musiciennes nommée Tina. Une dame à mon sens relativement excentrique qui teignait ses cheveux en bleu. Elle me parlait régulièrement de Wemba, de son caractère humain et de comment il traitait ses musiciens. Il sierait de se référer à des interviews de Bipoli, Koffi, Kester ou Reddy. "Lorsque ses musiciens se disputaient, disait-elle, Papa Wemba gardait silence avant d'intervenir; il savait rétablir la paix, réconcilier les antagonistes d'une manière convaincante."... "Un jour, il a dit à ses musiciens que nul n'était irremplaçable dans Viva la Musica. Et que si tous les musiciens le quittaient, il se produirait tout seul avec une sanza et attirerait coute que coute du monde. Son nom à lui seul constituait sa référence, sa meilleure publicité." Vieux Bokul était très conscient de sa valeur et de sa grandeur.
Qu'on l'aime ou qu'on ne l'aime pas, Papa Wemba, le chef du village Molokai, s'est imposé par la qualité de son travail, l'excellence de sa voix, l'exploitation géniale du patrimoine culturel congolais. Des musiciens de sa génération, il est celui qui a percé le plus comme on dit. Il a formé de très grandes vedettes musicales comme Koffi Olomide, King Kester, Reddy Amisi, et en a inspiré d'autres. A l'entendre chanter "Mbalumuna" ou présenter Amazone comme "Mukara'me" ou chanter "Analengo", on ne peut que reconnaître la richesse multiforme, multiculturelle, multiethnique, de son génie créateur. Ses thèmes de prédilection sont tirés de l'amour, de la femme, de l'enfant, de la jeunesse et des scènes de la vie quotidienne. Je pense à "Matembele Bangi", à "Mère Première" comme à "Maria Valancia".
Papa Wemba s'est fait connaître comme le Roi de la Sape, un Sapeur immense, un apôtre du Dieu Kitende. Très à l'aise avec la presse, il avait une façon personnelle de répondre aux questions. A la question de savoir quelle était sa meilleure composition, il chantait "Mère Supérieure" au lieu d'y répondre. Génial! A ce titre, Wemba a eu un impact considérable sur la jeunesse congolaise et africaine. Adulé d'un bout à l'autre du continent africain, consacré comme une icone dans les Amériques, adoré au Japon, ce phénoménal chanteur a porté l'étendard de la musique africaine aux quatre coins du globe. Viva la Musica a compté des musiciens originaires de plusieurs continents. Il a enflammé la jeunesse du continent et du monde entier par ses trémolos dévastateurs, ses rythmes envoûtants et ses qualités d'homme de scène. Je dois avouer qu'il est sans aucun doute le musicien le plus médiatique et le plus célèbre de sa génération, peut-être même de notre pays car son nom était très connu, évoqué dans des films et des livres de culture.
Certains parents lui en ont voulu d'avoir proposé à la jeune africaine des anti-valeurs comme la sape, le goût immodéré du luxe et de l'argent, ou le désir d'émigrer vers l'Europe. Il aurait détruit la carrière de leurs enfants. Quelqu'un m'a dit avoir rencontré à Bruxelles un monsieur qui accusait Wemba d'avoir entraîné ses deux fils dans la drogue, et était prêt à lui faire du tort s'il lui était arrivé de le croiser (sic). Bipoli a révélé quelque part qu'il consommait le "nwa." Ce n'était pas un saint, hélas. On lui a reproché une légerté morale dans les danses du genre "mukonionio, ou niekese miguel, ou récemment le fameux "mogrosso." On connaît l'histoire de son emprisonnement à la suite de l'affaire "ngulu". Ses relations avec certains milieux excentriques ou aventuriers du genre Niarkos n'ont pas toujours joué en faveur de son image. Oui, c'est la vie. Il affirmait également ses positions politiques sans ambiguïté, n'est-ce pas son droit élémentaire? Il dénonçait la corruption et l'enrichissement illicite comme des fléaux destructeurs dans notre pays. Comme pour dire que Wemba était un homme avec des qualités et des défauts, un artiste génial et un porte-parole de nos valeurs nationales et africaines.
Des livres, des articles, des émissions télévisées ou radiophoniques comme des films lui ont été consacrés. Une star musicale de très grande envergure vient de nous quitter, le meilleur de sa génération, le roi de la sape et de la Rumba Rock. Wemba est mort sur la scène comme Molière, Miriam Makeba. Tel un soldat au champ de bataille, en pleine exécution de son métier. Respect et honneur à ce géant de la musique. Les mélomanes ne peuvent que regretter ce vide monumental. Un vide comme celui laissé par Kallé Jeff, Nico, Franco, Tabu Ley, les Frères Soki, Pépé Kallé, Madilu, Ndombe, Kester Emeneya, etc. Que l'Eternel console sa famille biologique et spirituelle! Et que l'artiste Jules Shungu Wembadio repose dans la paix du Royaume Céleste. Je n'y ai pas cru: oui, Wemba est mort.
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