Francis Bebey est mort il y a 20 ans. Paix éternelle à son âme! Bebey fut un très grand écrivain, musicologue et artiste. Je ne l'ai rencontré qu'une seule fois de ma vie. Ce fut à Fribourg en 1988 au colloque "Présence des cultures africaines" organisé par l'UNESCO. Il était là, avec Aminata Sow Fall, représentant deux générations d'écrivains africains de l'après-indépendance. Le hasard a fait que je sois à côté de lui dans la salle du colloque. Ne le connaissant pas et ne sachant surtout pas qu'il serait là, j'avais juste pris la place qui était libre à côté de Mr Bebey. Le même Bebey dont j'avais le roman Le fils d'Agatha Moudio, paru en 1967, à la fin de mes études de philosophie à Mayidi. Ce roman, un des rares que j'avais lu, m'avait impressionné par sa mise en scène comique qui montrait un couple noir qui a engendré un enfant métis. Mari cocu bien entendu! Il avouera à Fribourg 20 ans plus tard que l'oeuvre musicale eut plus de succès que l'oeuvre romanesque. Je pense à mon ami Antoine-Faustin Mampuya qui aimait écouter la version musicale, en ajoutant des commentaires que lui seul était capable de créer. Je voudrais dire que j'ai vécu cette oeuvre comme on dit chez nous à plusieurs niveaux: en tant que lecteur philosophe plutôt que littéraire, en tant que mélomane avec les amis, et en tant que témoin privilégié de son "histoire" avec l'auteur-compositeur d' "Agatha ne ment pas, ce n'est pas mon fils." Je détiens encore une photo en compagnie du célèbre écrivain.
Plus tard, étudiant les mythes ancestraux et leurs survivances dans la société moderne, je suis tombé sur Le Ministre et le griot, du même Francis Bebey. La plume de Bebey s'est montrée encore plus incisive dans l'exposition des fissures sociales qui minent la société moderne. Rappel de l'histoire identitaire. Quel que soit le clivage de la vie, un chef reste chef et un griot griot. Seulement voilà que la mère du ministre refuse, classe sociale oblige, de se mettre à table avec le premier ministre. Et pour cause? Ce dernier est griot par son père et son grand-père et son arrière-grand-père. Peu importe la position puissante qu'il occupe dans la société, le premier ministre est indigne de sièger à la table des "chefs". Ironie de l'histoire. La société née des indépendances - des Soleils des indépendances selon Kourouma, transgresse fondamentalement les coutumes et les usages jadis en vigueur. Ce poignant témoignage vient tout droit de l'imaginaire de Francis Bebey.
Francis Bebey a aussi composé une chanson intitulée "Kinshasa" que Lucien Tshimpumpu passait comme générique de son émission "Sport et Musique". C'est vieux tout ça. Mais quand on prend de l'âge, de tels souvenirs vous reviennent comme des étincelles dans les trous de votre mémoire. J'imagine que ce fut en langue douala, j'ai retenu entre autres "bana ba Zaïre" dans la chanson. Une belle mélodie à la fois romantique et superbement envoûtante. Je dois avouer que je découvris trop tard cette filiation entre le musicien et l'écrivain Bebey. A Fribourg, il avait son sanza pour animer la gallerie des participants au colloque.
Bebey, vous resterez à jamais vivant dans la mémoire de vos lecteurs et mélomanes. Honneur et respect.