24 novembre. Les Congolais de ma génération ont tous, qu'ils l'aient voulu ou pas, retenu cette date. La date où le Lieutenant-colonel Mobutu renversa le président Kasavubu et l'enferma dans des toilettes sales pour l'humilier comme le dernier des Niangarakata. Je revois encore dans mon esprit la photo de Kasavubu escorté par des soldats armés en train de marcher, chemises à manches courtes, vers le lieu de sa détention. C'est notre enseignant Séverin Mayamba, alias De Piano, qui nous annonça cette nouvelle qui sonna très triste à mes oreilles. Je ne sais pourquoi, j'ai eu pitié du président.
Ce 24 novembre 65, je suis en troisième primaire à St Frédéric, aujourd'hui Mateka Mbuta. L'année qui suivit, nous écoliers de Kenge, 10 - 14 ans, avions assidûment préparé des défilés interminables, affamés et assoiffés, sans qu'on s'occupe de nous, pour accueillir avec honneur le nouveau tyran annoncé mais qui n'est jamais venu. Le sieur Mobutu ne viendra à Kenge qu'en 68, alors que je me trouvais à Kimbau après nous avoir fait chanter "CVR pesa salute... tokopesa salute na bakonzi banso". Vous vous en souvenez? Je peux continuer: "Biso ba Congolais. Toye kosalisa. Na lingomba ya biso ya CVR, lelo tokamati Congo." Vrai ou faux, est-il que c'est ce que moi je chantais à l'époque. Je l'ai vu en juillet - aout 66, pendant mes toutes premières vacances à Kin, accompagnant les présidents François Tombalbaye du Tchad et Jean-Bédel Bokasa de Centrafrique. Je vis l'impressionnante garde républicaine en parade au coup d'envoutantes sirènes. C'était sur le Boulevard Baudouin, à quelques centaines de mètres de la maison que nous habitions. Je l'ai revu une fois à la Foire, deux autres fois à Rome. C'est tout. Le sinistre dictateur à l'élocution fascinante a depuis disparu de mes radars. Mon mentor me souffle que tous les dictateurs, les bons, sont en général très éloquents: Hitler, Castro, Allende et d'autres de leur acabit.
24 novembre, début de la tragédie politique congolaise. Cela tombe à propos maintenant que le scandale du Congo Hold-Up est d'actualité. Le président de la RDC ou du Zaïre est une autorité intouchable, dictant ses ordres sans être contredit ni par la constitution qu'il piétine ni par les protestations du peuple qu'il matte par de sanglantes représailles. Trop de morts sont attribuées à cette instance. La police n'exécute que les ordres d'en haut. La machine politique est entièrement acquise à sa cause. Des gouverneurs criminels ont été maintenus à leurs postes alors qu'ils ont opéré de véritables génocides. Des généraux de police ou militaires promus après avoir rasé des villages congolais. Des étudiants, des chrétiens, des ethnies, assassinés sans que leurs cris d'alarme ne soient entendus. Le président est une autorité morale intouchable. Que l'histoire nous prouve le contraire.
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