Les circonstances de la vie ont fait que je devienne un intellectuel du genre "peau noire masque blanc" ou "peau ébène macaque blanc". Pouvait-il en être autrement? Né de grands-parents et parents colonisés par les Belges, par quel miracle aurais-je pu forger ma voie hors des voies tracées par le schéma colonial? Comment aurais-je pu me détacher de mon destin d'aliéné, de déraciné, d'inférieur racial et d'acculturé auquel m'a méthodiquement préparé l'école coloniale? Ce problème touche tous ceux de ma génération qu'on a lancés sur le chemin de l'école occidentale en leur faisant miroiter les merveilles dont les Blancs sont les authentiques détenteurs. Ce drame est celui d'une race, d'un continent, de tout colonisé. Un cercle vicieux!
"Fils d'évolué", j'ai appris à détester ma langue maternelle pour exceller dans une langue d'emprunt, à rejeter mes sonorités ancestrales pour embrasser, fasciné par l'érudition occidentale, des structures linguistiques aliénantes et avilissantes. J'ai appris à en tirer fierté et arrogance au point de me moquer de mes compatriotes qui ont du mal à assimiler ce parler. Tout cela, je le fais. Chaque fois que je perçois des fautes d'écriture ou d'élocution, je m'empresse d'en rire, satisfait au fond de maîtriser des tournures que mes compatriotes francophones éprouvent du mal à manier.
Le mal est que cette langue-là qui est devenue, par la force des choses, mon gagne-pain, ne m'intègre pas du tout à son histoire. Marginalisé comme tous les intellectuels francophones, miné par mes origines raciales et nationales, je suis chassé du cercle linguistique dont je me réclame. En parlant le français, je me sens comme happé dans un micmac étranger qui ne dispose d'aucune place pour moi. En parlant le français, j'embrasse une civilisation et une culture dominante qui annihile mes traditions et croyances d'origine. Je m'identifie à cette culture qui, en réalité, m'écarte de son cercle. Je m'identifie à cette langue que j'ai acquise après une longue scolarisation primaire, secondaire et universitaire à la suite de décisions qui m'ont été imposées et dont, en fait, les structures émotionnelles m'échappent totalement. Avec cette langue d'emprunt, je vis une vie d'emprunt. Je ne l'ai pas choisie. Celle avec laquelle je suis née m'a été enlevée par le biais d'une aliénation huilée au lavage de cerveau.
Par contre, je suis relativement satisfait des autres langues puisque je les ai choisies librement. Elles sont occidentales toutes. (... Ecrit le 13 mai 2014, Apes Hill, Barbade)
14 mai 2014. A l'aube, un dernier rêve. Je me retrouve à Kimfingia, mon village paternel. Images futuristes, car le lieu où il siégeait quand j'y avais effectué mes dernières vacances est vide; des jeunes gens y jouent au football, ignorant ma présence. Ce qui me surprend et me déçoit car dans le temps, sur ce même terrain, on me recevait comme un roi. J'y suis avec un coopérant allemand qui a transformé la concession de Kha Tata Piela en son bureau, un bureau de développement sans doute, mais je n'en suis pas sûr. Bien évidemment, je parle allemand avec mon seul interlocuteur. En dehors de ce lieu il y a un quartier construit en matériaux durables, que je n'avais jamais vu auparavant. L'idée me prend de m'enquérir des anciens habitants du lieu car je suis un de là. Surgissent comme de l'ombre deux visages familiers. "A Tata Kasala", que je dis à un grand-oncle mort que je confonds avec cousin qui me parle "Gilbert Makesi" vieilli mais plus jeune que moi. Puis une tante qui m'a aperçu mais s'est éclipsée pour m'avoir entendu parler une langue inconnue avec un étranger. J'ai aussitôt réoccupé mon terrain, le terrain de mon village paternel. J'ai reconnu un sentier du coté ouest qui menait jadis au ruisseau "Nzau". On m'apprend que la population s'est vidée depuis un mois. Une porte s'ouvre, je sors du rêve.
Avons-nous encore besoin d'autres preuves? Je suis destiné à être aliéné. La langue m'a destiné à être étranger à ma culture, à mon être et à mon pays natal.
"Fils d'évolué", j'ai appris à détester ma langue maternelle pour exceller dans une langue d'emprunt, à rejeter mes sonorités ancestrales pour embrasser, fasciné par l'érudition occidentale, des structures linguistiques aliénantes et avilissantes. J'ai appris à en tirer fierté et arrogance au point de me moquer de mes compatriotes qui ont du mal à assimiler ce parler. Tout cela, je le fais. Chaque fois que je perçois des fautes d'écriture ou d'élocution, je m'empresse d'en rire, satisfait au fond de maîtriser des tournures que mes compatriotes francophones éprouvent du mal à manier.
Le mal est que cette langue-là qui est devenue, par la force des choses, mon gagne-pain, ne m'intègre pas du tout à son histoire. Marginalisé comme tous les intellectuels francophones, miné par mes origines raciales et nationales, je suis chassé du cercle linguistique dont je me réclame. En parlant le français, je me sens comme happé dans un micmac étranger qui ne dispose d'aucune place pour moi. En parlant le français, j'embrasse une civilisation et une culture dominante qui annihile mes traditions et croyances d'origine. Je m'identifie à cette culture qui, en réalité, m'écarte de son cercle. Je m'identifie à cette langue que j'ai acquise après une longue scolarisation primaire, secondaire et universitaire à la suite de décisions qui m'ont été imposées et dont, en fait, les structures émotionnelles m'échappent totalement. Avec cette langue d'emprunt, je vis une vie d'emprunt. Je ne l'ai pas choisie. Celle avec laquelle je suis née m'a été enlevée par le biais d'une aliénation huilée au lavage de cerveau.
Par contre, je suis relativement satisfait des autres langues puisque je les ai choisies librement. Elles sont occidentales toutes. (... Ecrit le 13 mai 2014, Apes Hill, Barbade)
14 mai 2014. A l'aube, un dernier rêve. Je me retrouve à Kimfingia, mon village paternel. Images futuristes, car le lieu où il siégeait quand j'y avais effectué mes dernières vacances est vide; des jeunes gens y jouent au football, ignorant ma présence. Ce qui me surprend et me déçoit car dans le temps, sur ce même terrain, on me recevait comme un roi. J'y suis avec un coopérant allemand qui a transformé la concession de Kha Tata Piela en son bureau, un bureau de développement sans doute, mais je n'en suis pas sûr. Bien évidemment, je parle allemand avec mon seul interlocuteur. En dehors de ce lieu il y a un quartier construit en matériaux durables, que je n'avais jamais vu auparavant. L'idée me prend de m'enquérir des anciens habitants du lieu car je suis un de là. Surgissent comme de l'ombre deux visages familiers. "A Tata Kasala", que je dis à un grand-oncle mort que je confonds avec cousin qui me parle "Gilbert Makesi" vieilli mais plus jeune que moi. Puis une tante qui m'a aperçu mais s'est éclipsée pour m'avoir entendu parler une langue inconnue avec un étranger. J'ai aussitôt réoccupé mon terrain, le terrain de mon village paternel. J'ai reconnu un sentier du coté ouest qui menait jadis au ruisseau "Nzau". On m'apprend que la population s'est vidée depuis un mois. Une porte s'ouvre, je sors du rêve.
Avons-nous encore besoin d'autres preuves? Je suis destiné à être aliéné. La langue m'a destiné à être étranger à ma culture, à mon être et à mon pays natal.
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