13 mai 2014

Le français est vraiment difficile 2

Partons du titre de notre journaliste:
"LA CERMONIE DE DEVOILLEMENT DE 29 PISTES DE ANCIENS PREMIER MINISTRE"

1. Une défaillance totale: orthographe catastrophique (6 mots sur 11 sont fautifs), accords grammaticaux défectueux, misconception des phonèmes et morphèmes, indication d'une diction incorrecte. J'ai préféré garder le titre en majuscule parce que je ne suis pas sûr de sa transposition en caractères minuscules.
2. Mauvaise élocution. Ces erreurs sont en partie dues au fait que le journaliste ou ses scribes parlent incorrectement le français: "cérmonie" au lieu de "cérémonie", le deuxième "é" est avalé en flagrante transgression que le "é" est toujours tonique, jamais atone. "dévoillement", le scribe ajoute généreusement un "l" pour enrichir son vocabulaire. "pistes" au lieu de "bustes", là c'est le plus grave car non seulement il change le sens de l'événement, mais il montre son ignorance à propos de ce dont il parle. En fait, le mot "buste" lui est inconnu; tellement il est habitué aux pistes de danse des bars kinois. C'est comme si, lorsqu'écoutant une langue inconnue, on cherchait à y reconnaître quelques sons ou mots de son univers familier. Le reste, je vous laisse le soin d'en juger.
3. Comprenez-moi bien. Mon but n'est pas de ridiculiser le journaliste, mais de montrer avec humour la difficulté dans laquelle nous, Africains, nous retrouvons pour nous exprimer, communiquer nos pensées ou désirs, dans une langue qui nous a été imposée par l'histoire coloniale. Je voudrais souligner ce drame que Laleau a immortalisé dans un poème: "Ce désespoir à nul autre pareil / que de dire avec des mots de France / ce coeur qui m'est venu du Sénégal". Ce journaliste aurait été sans nul doute meilleur en lingala, swahili, tshiluba ou kikongo qu'il ne l'est en français. Il s'humilie naturellement, intrinsèquement ou fondamentalement, un usant d'une langue dont apparemment il ne maîtrise pas la structure et à laquelle il demeure complètement étranger. Moi-même, je n'échappe pas à ce dilemme déracinant; ce journaliste, c'est aussi moi.
4. Le complexe d'infériorité. Frantz Fanon nous a rendus attentifs à ce phénomène. Le pouvoir du maître du monde a poussé le sujet à se mesurer à l'aune de son modèle. Ce complexe-là demeure ancré dans notre subconscient. En Afrique, celui qui parle le "long français" (français ya mulayi) est vénéré, reconnu intelligent au détriment du vénérable sage de nos villages. En Martinique, Césaire était réputé pour son français jugé meilleur que celui des Français-français ou de souche. Ce complexe-là fait partie de la culture commune née de la colonisation. On nous impose une langue, on se moque de nous lorsque nous la parlons ou l'écrivons mal.
5. La France par sa politique d'assimilation a mis en place les mécanismes pour la diffusion de sa langue. La francophonie en assure l'expansion dans les territoires occupés d'Afrique, d'Amérique, d'Asie et du Pacifique. Et même au-delà pourvu que la langue de Malesherbes soit reconnue, enseignée, perçue. Le baragouin ne tue pas la langue dans son essence, au contraire il la fait briller au sommet de l'échelle de la Civilisation. Ceci vaut à quelques différences près pour toutes les langues coloniales de l'Occident qui trônent sur nos continents et/ou à l'ONU.

6. Déclaration finale: Que nous, (anciens) colonisés, soyons forcés de parler des langues occidentales assure la pérennité du colonialisme! S'il y a quelque chose que le colonialisme a réussi, c'est de nous avoir imposé d'utiliser leurs langues, signe d'une aliénation fondamentale; de nous avoir amenés à nous penser à travers des schèmes linguistiques et idéelles de l'Occident. Un coup sérieux qui entravera pour des siècles notre développement humain, culturel et mental. Il est temps de nous lever, de dire NON. "Get up, stand up for your rights", comme chantent nos frères et soeurs de la Diaspora.

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