Réinventer l'Afrique, une expression qu'on entend beaucoup sans souvent savoir à quoi elle rime. Tout le monde intellectuel serait prêt à soutenir ce slogan, mais se trouve divisé quant aux moyens pour atteindre ce but. Cette réflexion m'est suggérée par la loi kenyane autorisant les hommes à épouser les plus des femmes possibles. Je voudrais apporter des précisions à mes premières impressions publiées il y a deux jours.
J'ai affirmé que cette loi remettait l'Afrique à sa place en évoquant avec insistance les notions comme émancipation, liberté idéologique, retour à l'ordre pré-colonial, africanité, authenticité dans la perspective d'une défense de la femme et d'une certaine morale. J'y suis allé vite en besogne, mais il y a une façon de replacer l'Afrique à son honneur qui peut s'avérer défendable. J'ai toujours prôné le refus des valeurs coloniales ou importées sans discernement; je n'y reviendrai plus. Que signifie au juste réinventer l'Afrique?
Ma pensée va à V.Y. Mudimbe, spécialement à ses livres The Idea of Africa et The Invention of Africa. Deux oeuvres qui posent les bases pour les Africains de se démarquer de la notion de l'Afrique imposée par le colonialisme et de se frayer une nouvelle identité, indépendante et libre vis-à-vis de la pensée occidentale. Le cercle vicieux de cette démarche est que le philosophe reste dans le giron occidental même qu'il entend bannir. Il se proclame agnostique, existentialiste et marxiste. Il utilise les théories de Michel Foucault pour opérer sa révolution sur les mentalités africaines, mais refuse l'essentialisme de la négritude. Il a de fait raison de dire: "I am what I am and I am what I am not" or "I am not what I am and I am what I am not". Rien n'est plus vrai.
Autant dire le dilemme de l'Africain face à sa crise d'identité. Souvent politisée, cette crise prend sa racine dans l'être-même de l'African en face de l'histoire. L'esclavage l'a vidé de ses forces vives, la colonisation l'a laissé pour compte, l'indépendance l'a animalisé, et la globalisation lui enlève le peu de dignité qui lui restait. Réinventer l'Afrique, mais avec quels moyens? Les moyens de l'Occident bien entendu! Le discours révolutionnaire pour se détourner des avatars de l'Europe se puise au sein de l'univers occidental. Le dilemme de l'intellectuel est dramatique à ce point. L'Africain n'est qu'une copie fanée et édulcorée de son maître-penseur. Là réside selon moi la tragédie de la colonisation pour l'Africain, vidé d'élan vital et rendu de fait incapable de se définir, de résoudre ses problèmes vitaux, culturels et matériels.
Réinventer l'Afrique reviendrait à lui donner un nouveau visage, celui que les Africains souhaitent de leurs voeux, sans les séquelles aliénantes du passé. La réflexion fondatrice doit donc partir de cette remise en question. Quelle Afrique faut-il forger pour assurer le bien-être de tous les Africains? Les états modernes issus de la volonté européenne ne constituent aucune garantie puisqu'ils obéissent à des schémas tracés ailleurs; le système démocratique est étranger à l'Afrique tout comme l'éducation scolaire qui ignore la sagesse des ancêtres. Bref, au centre de tout, il y a l'homme. Et l'homme en Afrique ne vaut pas un chien en Europe. Les scènes de violence ou de guerre qui sont vécues un peu partout en Afrique en témoignent; elles consacrent le retour vers l'animalité.
Pour réinventer l'Afrique, il est impératif de modeler d'abord le visage de l'homme africain, de le libérer mentalement avant de lui insuffler un peu d'humanité. Etre soi-même, voilà le maître-mot! L'Afrique ne reviendra aux Africains qu'à ce prix.
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