20 juin 2014

Un peu de justice sociale

Ce n'est pas de la fiction, et ça se passe à Kinshasa. Un cousin a eu le malheur de bâtir sa maison près du cimetière de Kinsuka, ayant acquis sa propriété en bonne et due forme. Une autorisation de bâtir lui avait été délivrée. Seulement voilà, quelques dix années plus tard, on lui apprend que le terrain appartient au cimetière; que par conséquent son occupation est illicite. Le bruit se diffuse depuis des années que tous les occupants seront délogés et relogés ailleurs. On attend les décisions d'en haut. Les plus nantis, méfiants de tels arrangements, déguerpissent à temps vers d'autres horizons. Quant à ce cousin, il avait mis tout le paquet dans cette concession. Avant-hier, alors qu'il se trouvait au travail, on l'appelle pour lui dire que des tracteurs sont là pour détruire toutes les maisons du quartier mal acquis. Il se dépêche sur le lieu; une partie est déjà écroulée. Quoi prendre, quoi laisser dans les dix ou quinze minutes obtenues à coup de corruption face des bourreaux sans cœur, assistés de nombreux agents de l'ordre (entendez des militaires). Tous les biens accumulés au prix d'âpres sacrifices s'envolent comme une flamme, disparaissent sous l'effet d'une bombe. Le cousin assiste, impuissant et interloqué, à la démolition impitoyable de sa propriété à étage dans laquelle il a investi tout son avoir. Un autre parent plus fougueux n'a mieux trouvé que d'agresser un "chauffeur" de tracteur-démolisseur; il a été tabassé sans pitié par les soldats-agents de l'ordre et amené à la prison de Makala où il croupit encore. La famille sait de qui je parle. Voilà deux parents qui, hébergés hier, d'un coup se retrouvent aujourd'hui sans domicile fixe (SDF).
1. Un état de droit. Nos institutions fonctionnent assurément mais très mal. Vendre la concession d'un cimetière à des individus juste dans le but de se remplir les poches plutôt que de rendre un service citoyen est un crime administratif très fréquent dans nos pays. Des amis tanzaniens m'ont raconté qu'on aurait vendu à quelqu'un une plage, à quelqu'un d'autre une route commune. Malheureusement, quoi qu'on fasse pour y échapper à de telles impostures, on n'est jamais assez prudent dans un pays où tout le monde est "commissionnaire". En outre, il y a une confusion totale entre les autorités urbaines ou cadastrales et les propriétaires coutumiers des terres. Chacun vend, peu importe qui achète pourvu que l'argent soit encaissé. Nous avons des réflexes peu admissibles dans un état de droit, tels que le linchage des voleurs ou des chauffeurs qui tuent, la corruption des agents de l'ordre, la falsification des documents officiels à des fins personnelles.
2. Le citoyen a-t-il des droits? C'est la question qu'il faudrait se poser. En 1979 ou 80 la démonétisation des billets de 5 Z et 10 Z avait ruiné des milliers des Zaïrois; et beaucoup ne s'en sont jamais relevés. Trois jours seulement pour échanger à la banque au plus 3000 Z par individu. Comment un paysan de Ngidinga qui n'a jamais entendu parler de banque pouvait-il échanger son argent? J'avais à l'époque crié au scandale, au crime d'état. Ailleurs, j'ai vu des démonétisations s'opérer de façon décente sans qu'un seul individu y perde un sou. Le passage à l'euro est à ce point exemplaire. Force est de constater malheureusement que le citoyen chez nous n'a des droits que sur papier. La réalité est différente. Du jour au lendemain tout peut vous être dépouillé sans que vous ayez une instance où faire appel. En Afrique, la justice compte des juges par milliers, mais ne sert que le pouvoir en place. Indépendante? Sur papier oui.
3. Un peu de sens d'humanité. Les "chauffeurs de tracteurs" qui ont détruit les maisons de Kinsuka avaient reçu des "ordres" qu'ils ont exécutés mécaniquement. Le chef a parlé, l'affaire est close. Même Dieu le Tout-Puissant est d'abord miséricordieux. Nos potentats politiques et administratifs n'éprouvent de la pitié pour personne à moins que les espèces trébuchantes et sonnantes tombent dans leurs poches. Ce matin, Clavère préoccupée et sidérée par ces événements, a fait une remarque très révélatrice: " En Europe ou ailleurs, on aurait envoyé des psychologues afin d'accompagner les victimes de ces démolitions dans leur souffrance intérieure. Chez nous, on envoie des soldats à la place". Eh oui, là réside toute la différence dans le respect de la personne humaine.

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