27 févr. 2015

Le professeur Jean Roudaut

26 février 2015. Je viens de réentendre la voix de M. Roudaut vingt-trois ans après qu'il a quitté Fribourg. Jean Roudaut fut mon professeur de littérature française moderne et contemporaine de 1987 à 1992, l'année de sa retraite. Il avait quitté Fribourg afin de mieux se consacrer à l'écriture. Et effectivement, il a publié une vingtaine de livres depuis. Il avait intitulé son cours d'adieu "La littérature et la mort", un titre emprunté à Maurice Blanchot. Je le souligne parce que, parmi les auditeurs de ce cours, se trouvait un éminent professeur de philosophie, Rudi Imbach. Aujourd'hui encore, je viens de suivre un véritable cours de littérature. Il nous a donné à rencontrer et écouter des sommités littéraires tels que Maurice Chappaz, Jean Starobinsky ou Michel Butor lors d'un séminaire consacré à Degrés. J'évoque souvent ces deux événements dans mes conversations avec les étudiants.
Monsieur Roudaut, écrivain, poète, grammairien et essayiste, fascinait par la qualité de son travail, ses lectures uniques et originales des textes et sa vaste connaissance des sciences humaines et des arts. Historien de l'art, il excellait dans des analyses qu'on ne pouvait trouver dans aucun manuel. Adulé des étudiants pour la facilité et l'enthousiasme avec lesquels il enseignait, Roudaut donnait l'impression d'élaborer son cours pendant qu'il l'enseignait. Il naviguait de la théorie de l'art à la théologie, de la psychanalyse à la philosophie avec une aisance sans faille. Un maître! A son départ, comme j'étais le seul à traiter un sujet africain, il m'a donné une bonne quantité de romans, de livres critiques, de recueils de poèmes ayant trait à l'Afrique.
Je l'avais trouvé pour qu'il dirige mon travail de licence, mais il avait déjà accepté la demande de plusieurs étudiants avant moi. J'ai dû me rabattre sur Mr. Giraud, un spécialiste des littératures classiques qui avait dirigé beaucoup de thèses sur l'Afrique. Paix à son âme! Avec Roudaut, j'aurais assurément produit un mémoire créatif et avant-gardiste alors que Giraud, savant conservateur,  m'a retenu dans la tradition des lettres. Roudaut  menait à l'aventure de l'esprit tandis que Giraud rassurait sur le terrain académique. Les étudiants étaient donc également servis. Que d'évoquer d'avoir suivi des cours de Roudaut ou Giraud constitue un privilège considérable dont on doit être fier.
Venons-en à l'interview de l'article précédent. Pendant que le journaliste introduisait Jean Roudaut, j'avais hâte d'entendre la voix de mon maître 23 ans après. J'ai entendu en sourdine "oui", "oui" avant de reconnaître sa voix demeurée inchangée, peut-être changée d'un ton plus grave, marquée par l'éternel grésillement final de ses phrases. Je suis comme entré dans l'Aula magna de Fribourg pour écouter l'enseignant. Toujours égal à lui-même, il a gardé à 85 ans le même enthousiasme, la même veine poétique que par le passé. Son analyse de Proust m'a rappelé mon dernier séminaire "Proust et le romanesque" pour lequel j'avais fait une présentation sur les maximes dans Du côté de chez Swann et Le temps retrouvé. J'ai encore la copie de ce travail; je l'ai revu et présenté à Michigan Academy en 2005; je le publierai un jour avec d'autres textes écrits depuis Fribourg. Jean Roudaut a gardé la même passion pour Proust, et même j'ai pu anticiper certaines de ses phrases tellement j'avais été marqué par son immense savoir de Proust dont il est sans aucun doute l'un des meilleurs connaisseurs au monde. Et j'ai toujours été admiratif de sa conception de la littérature. Si je me définis littéraire aujourd'hui, c'est en partie grâce à Jean Roudaut. Des retrouvailles pleines d'émotion et de gratitude.


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