La mort de quelqu'un est un lieu privilégié pour observer les relations humaines. J'entends: amour, inimitié, vengeance. La mort réunit et sépare. Familles, rôdeurs, sympathisants et ennemis, se rassemblent autour de la personne défunte. Les intentions les plus diverses y sont présentes: intérêts, conflits de famille, règlement de comptes. Ce que les gens ne voient pas, c'est ce qui se passe sous les décors de l'apparence. Tous les scénarios sont possibles. Les présents ne sont pas forcément tous unanimes ni unis dans leur appréciation du défunt, encore moins dans la justification de leur présence. Chacun y va pour un but clairement ou sournoisement affiché: amour, reconnaissance, formalité, devoir, protocole, manque de choix, etc. D'autres, cyniques, y vont pour narguer sans pitié ni commisération, et la personne défunte et la famille éprouvée. La mort de ma grand-tante Hélène Luamba m'inspire cette réflexion que j'étends volontiers au-delà des faits présents.
Le monde est impitoyable. Peu de temps avant mon arrivée à Kenge, Kha Hélène a passé un ou deux jours à la clinique de Kenge. On l'a même pleurée, la croyant morte. Elle avait des problèmes de respiration et de suffocation. Lorsqu'on la transportait, elle a entendu des adultes ou des enfants dire: "Akende, azonga lisusu te, awumeli mingi" (sic). (Qu'elle s'en aille et ne revienne plus, elle a déja vécu longtemps). Les gens du quartier estimaient qu'elle devait céder l'espace aux plus jeunes comme si le souffle de vie dépendait de leur seule volonté. Elle devait céder la place pour avoir déjà suffisamment joui de la vie. Si ces gens savaient ce qu'elle a vécu au cours de sa vie, ils se seraient tus. La femme de Kisalu Bakaba vient de mourir 52 ans après son mari. Et j'ai été l'un des tous derniers à entendre sa voix au téléphone mercredi dernier. La voilà morte aujourd'hui, qu'ils s'en réjouissent.
Le monde est méchant. Ceux qui pleurent, crient le plus fort lors des veillées funèbres ne sont pas toujours les plus éplorées ni les plus affectés. C'est connu, amplement connu. Ceux qui affichent la mine la plus triste n'ont souvent que ce décor facial à montrer, rien de plus. Des fois, que dis-je, souvent le sorcier est le plus précieux pleureur. Comme le cœur de l'homme peut être méchant! Pourquoi le meurtrier ne serait-il pas l'organisateur des obsèques comme dans des films policiers? La méchanceté humaine va loin, plus loin. Dans certains pays, il y a des pleureuses professionnelles dont les services sont sollicités à prix d'or. Les plus nantis ne s'en privent pas pour organiser des funérailles historiques et sensationnelles. Et lorsqu'on s'informe, le défunt a été laissé pour compte au cours de sa vie. Bande d'hypocrites.
Les masques tombent. L'apparence peut camoufler les sentiments les plus odieux. L'hypocrisie est comme un masque de carnaval. On le porte juste pour le bal ou la réception finale. Le bal masqué est un concept à la mode. Face à l'événement fatal, on porte le masque pour jouer son rôle à la partie. Mais les gens n'ont pas la mémoire courte; ils savent la vérité même s'ils se taisent. Ne rien dire ne signifie pas ignorer ni ne rien savoir. Observez attentivement la masse, vous verrez. Ecoutez les discours, vous discernerez les non-dits. Le non-dit est ce qui fait tomber les masques. Espèce de littéraire sans pudeur! Comment oses-tu désacraliser la sainte pratique? Je perçois des choses que d'autres ne sentent pas. Je sens le mouillé, le sec, l'humide dans le fouillis des textes et des discours. Je scrute l'âme humaine comme Démiurge.
Quand quelqu'un meurt, on lui pardonne tout, on oublie tout le mal qu'il a fait pour ne retenir que le bien. On lui tisse une couronne de bonté et de générosité dont il n'a eu cure au cours de sa vie. On écrit des hommages qui redorent son image. La personne morte devient bonne, juste, généreuse; elle mérite l'entrée directe au ciel. On va à son enterrement pour la forme, on présente le bouquet de le fleurs le plus cher. Cela s'est vu et se verra encore. La mort amène à ce que l'on se réconcilie avec la personne qu'on a pourtant détestée de son vivant, voire expulsée de son univers. Il faut cesser l'hypocrisie, exprimer ses sentiments et opinions sans ambiguïté, éviter la palabre et la polémique inutiles, car la mascarade sociale ne tranquillise jamais la conscience. J'ai dit.
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