Je suis sidéré par ce qui se passe en ce moment entre les deux Congo. On a beau reprocher aux Européens d'avoir séparé des peuples africains jadis unis, d'avoir divisé des peuples autrefois pacifiques; mais je ne m'explique pas ce qui se passe en ce temps-ci.
En mai 1993, je traversais le fleuve Zaïre/Congo pour prendre un vol Swissair à Brazzaville Maya-Maya pour Genève. Ce que j'avais vu, m'est resté gravé dans la mémoire. Un soldat complètement enragé menaçait, Kalachnikov à la main, de tirer sur des jeunes gens qui tentaient de forcer le passage du bateau. Du jamais vu! Je me suis informé qui c'était. Quelqu'un m'a soufflé à l'oreille: "Attention, c'est le chef."
A l'aéroport, je me suis retrouvé dans la queue avec Maître Liyolo, le grand artiste dont je connaissais les œuvres grandioses et que je voyais à la télévision. "Il n'y a pas d'aéroport plus exigeant, voire plus humiliant pour les Zaïrois. que cet aéroport. On vous fouille comme les derniers des bandits. On dirait que les agents se vengent de quelque crime commis autrefois", avait laissé entendre un voyageur.
Vingt ans plus tard, la même violence refait surface. La rivalité entre les Congo date déjà du temps colonial. Les relations entre Mobutu et ses homologues Massamba-Debat ou Marien Ngouabi n'étaient jamais vraiment chaudes. Eyadema a plusieurs fois fait office de négociateur à l'époque des "blablateurs". Une friction insignifiante servait d'étincelle pour justifier des propos ou des actes immodérés. Il suffisait d'un match de football pour que les relations s'embrasent; d'une déclaration des medias pour que les Zaïrois soient expulsés de la RPC, et vice-versa. N'attribuons pas nos incohérences passionnelles aux colons français et belges qui sont partis depuis belle lurette. Qu'ils nous aient manipulés à ne pas nous entendre ne fait l'ombre d'aucun doute; mais de là à continuer à nous diaboliser réciproquement relève simplement de l'inconscience. Jusqu'à ce jour, les Africains ne semblent pas prendre conscience du piège dans lequel les ont enfoncés les mécanismes coloniaux, véritables tireurs de marionnettes et bénéficiaires de nos guerres intestines.
Que deux peuples unis par l'histoire, qui partagent les mêmes langues, la même musique, les mêmes coutumes, les mêmes arts, la même culture, se querellent constamment, me scandalise au plus haut point. Que gagnons-nous à nous humilier mutuellement? Que tirons-nous de ces expulsions? Pourquoi instituons-nous un climat de haine, de violence et de répugnance réciproques alors même que nous devrions unir nos forces pour notre bien-être commun?
Comme Tchicaya U Tam'si, je crois en seul Congo. Cela n'engage que moi. Jamais personne n'ôtera de mon esprit cette conviction intime de nationaliste et d'anti-colonialiste. L'histoire, hélas, nous abêtit au lieu de nous édifier. La violence des forces de l'ordre est d'une cruauté innommable. Je ne suis pas d'accord avec les mesures de réciprocité brandies par la Société civile de la RDC. En revanche, j'inviterais les autorités de la RDC à prendre activement leurs responsabilités en recourant à toutes les voies autorisées par les relations internationales plutôt que de se venger ou d'appeler à la violence contre nos voisins d'en face. La paix est à ce prix car, qu'on se le dise, "le sang des innocents se venge lui-même."
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