28 juil. 2017

"Toi qui dors, réveille-toi, car Kaluumbu est mort en sommeil" 2

Septembre 1975. "Claver, tu as racourbattu la soeur?" avait demandé Wada exprès. Tous les copains présents ont ri aux éclats car ce verbe bidon comportait des connotations insoupçonnées. "Si vous êtes des copains, alors nous autres on est quoi? des cochons??", m'a rappelé Séra se rappelant cette remarque de Wada.
En novembre 1987, je suis à la procure de Kenge lorsque l'abbé Félix Manzanza retourne de Rome. J'y suis en effet depuis le 13 octobre au matin; je prépare mon voyage pour Fribourg en attendant que le visa suisse me soit octroyé. Je suis donc parmi les tout premiers à le rencontrer, mais la tension est déjà perceptible dans ses propos et ses attitudes. Il me parle gentiment de la Suisse où il vient de passer quelques mois de ministère, notamment du Lac de Genève qu'on préfère appeler Lac Léman à Lausanne. Je connaissais déjà la Suisse Allémanique et le Lichtenstein depuis 1980, 82 et 85, mais pas la Suisse Romande. La veille du voyage, les abbés Wada et Michel N'Gob me remettent chacun 50.000 Lire, un geste précieux que je n'ai jamais oublié car les premiers jours de Fribourg étaient relativement durs. Merci Wada pour ta générosité.
Depuis Fribourg, nous n'entretiendrons pas de correspondance régulière. Les échos qui nous arrivent vont dans tous les sens. Et chacun y va de ses commentaires. Je ne suis pas très surpris lorsque j'apprends qu'il a quitté le sacerdoce. Des mois plus tard, il adresse à l'Evêque une lettre datée du 5 mars 1991 et intitulée: Démenti et Précisions, copiée à tous les abbés de Kenge, à la suite d'un rapport de la retraite des Abbés de Kenge en décembre 90. Le ton est cinglant, direct, percutant et brutal vis-à-vis de l'Episcope:  "L'idée de chercher à me récupérer doit être bannie. Cette façon de minimiser et d'apprécier les problèmes qui vous sont posés dénote un manque de considération pour les individus  qui les posent. Je vous répète et veuillez le dire à ceux qui ont la charge de résoudre mon problème que ma décision est irréductible et irréversible". Il ne m'appartient pas de le juger ni de le condamner. Du moins cet extrait donne une idée de l'homme déterminé et décisif que fut notre ami.
Après plusieurs années de séparation, je finis par le croiser à la messe funéraire de la maman de la sœur Marie-Noelle Nakubuta à St. Kibuka, Masina, en juillet 2005. A cette messe participeront pas mal de visages connus et inconnus. Après la messe, nous nous rendons Wada, Crispin Makelele et moi-même dans un bistrot pour marquer nos retrouvailles. On va jusqu'à Lemba Foire avant de revenir à Masina Q. III, où a lieu le soir même le mariage coutumier de Victorine Kalongo et Benoit Lubamba. Un moment important, car c'est la dernière fois que j'ai vu mon père en action dans une affaire traditionnelle. On s'est encore revus une fois à Masina en compagnie de Nicolas.
A mon passage de 2012, je réussirai à le localiser et on prendra un verre à Kitambo Magasin. Deux ou trois heures ensemble pendant lesquelles se passe un fait insolite. Cette fois, je suis décu d'apprendre que Wada soit sans nouvelles de son ami Ndeke. Comme un juge de tribunal, je les sermone et les accuse de céder à des disputes intestines du diocèse de Kenge; ce que les deux récusent avec fermeté. En fait, comme cela arrive souvent dans la vie, sans raison évidente des amis peuvent à un moment être coupés l'un de l'autre sans que leur amitié en souffre. C'est ce jour là que j'ai appris l'existence de "Taman". Plus tard, Enrico et Amengoo m'avoueront, admiratifs et reconnaissants, que mon intervention de cadet les a poussés à être un peu plus attentifs à ce détail. Tout est bien qui finit bien, dit-on. Et au deuil de ma mère, le 1er septembre 2012, Wada rapportera cet épisode à des amis commensaux pendant la réception organisée Chez Sebastien. Je le reverrai encore une fois en 2015 au deuil de ma nièce Alida; c'est lui qui animera les chants de la messe des funérailles. On se retrouvera au bain de consolation au Boulevard Kimbuta. Je crois que c'est la dernière fois qu'on s'est vus tous les deux. Dieu l'a voulu ainsi, hélas.
Félix Manzanza a vécu sa vie. Félix a été ce qu'il a été. Homme gai, loyal, persévérant, doué d'une intelligence remarquable, convivial, social... bref un homme sain d'esprit et de corps. Pour moi, il a été un frère, un aîné, un ami et un modèle au petit séminaire.
Wada, va en paix; merci pour ce que tu as été et fait pour nous. Le corps est sorti aujourd'hui de la morgue. Je m'unis de coeur et en prières avec ta famille biologique et spirituelle, avec celles et ceux qui te pleurent en ce jour. Pour toi, je chante "De Profundis" et "Dies irae dies illa" que toi tu chantais de mémoire à Kalonda.
"Nimba sikama, Kaluumbu wu fwila ku kilu" Wenda mboti Kaluumbu!

  
  

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