28 août 2012 - Arrivée à Kinshasa par un vol de Kenya Airways depuis Nairobi via Brazzaville. Les formalités se sont déroulées rapidement, un agent du DGM m'ayant facilité la tâche. Il est presque midi lorsque je sors de l'aérogare. Ma cousine Adrienne Kayolo éplorée est là, Mbuta Clément Bwangi aussi. Direction Limete où je prends mes pénates chez les pères serviteurs de la charité. Autour de 15h, je me rends à Masina, au lieu du matanga.
Moment très émouvant. Je suis reçu par des pleurs des miens: frères, soeurs, cousins, oncles, tantes, cousines, nièces et neveux. Je constate: l'absente. Ma mère. Je ne crois pas mes yeux car je revois ses habits portés par une cousine ou une tante. L'absente, ma mère a élu domicile ailleurs: la morgue St Joseph à Limete. Je prends la décision de m'y rendre tout de suite, mais j'en suis dissuadé. Soit. Vers 18h arrive mon frère Nicolas qui vit à Birmingham sur le lieu. L'émotion est encore plus vive, les pleurs recommencent. Je vois tout comme dans un film, mais c'est la réalité: Maman n'est plus de ce monde. Vers 23h, nous quittons la rue Bagata pour Limeté. Un cousin nous y conduit.
29 août 2012 - Je me sens encore très fatigué. Je décide de rester en chambre plutôt que d'aller aussitôt à Masina. Nous rejoint chez les missionnaires l'oncle Dieudonné Bunda, le dernier frère de mon père. On attendait de le rencontrer plutôt à Masina. Il nous fait un compte-rendu, son compte-rendu sur la mort de Maman. J'insiste sur la discipline et l'ordre qui doivent marquer l'enterrement de Maman, sur le fait que l'argent récolté soit utilisé effectivement pour le matanga et non à l'avantage de quelques vautours profiteurs de tels genres d'événements. On se donne rendez-vous à Masina, le soir.
Je passe la journée à faire des coups de fil et à informer quelques amis et autres proches de ma présence à Kinshasa. La levée du corps est décidée pour le vendredi, et l'inhumation le samedi 1er septembre 2012 à Mikonga, près de l'aéroport.
Adrienne me prend autour de 17h, mais nous nous retrouvons dans un embouteillage monstre sur Poids Lourd. Tout le monde s'en prend aux Chinois, responsables de la destruction des routes pour cause de réfection mais qui ne se soucient guère de créer des voies parallèles. Tout le monde s'en prend à la Francophonie, car les routes sont refaites pour servir à la tenue du sommet de la Francophonie en octobre. Cela nous a pris près de deux heures pour aller de Limeté à Masina, une distance qui normalement s'effectue en quinze-vingt minutes.
Au matanga, nous dressons un programme des événements et une distribution des responsabilités. Il faut nourrir les gens, payer les frais et les démarches pour l'inhumation, assurer la sécurité des biens et des personnes. Le compte est bon: la famille, les amis et autres connaissances ont apporté ou promis une contribution financière relativement importante. Adrienne est chargée des finances courantes tandis qu'à Papa Bunda revient la gestion des apports des "bokilos" (les belles-familles).
Je passe cette nuit à la vieillée avec les autres pleureurs, écoutant la musique funèbre de Bitshi-Bitschi, Kas Kasongo et autres Frères Patrice. Curieux, la présence catholique m'y paraît peu perceptible. Soit.
30 août 2012 - Retour à Limeté vers 7 heures pour quelques heures de repos. Nicolas et moi dormons quelques heures. Peut-on vraiment dormir dans ces conditions psychologiques? Arrive de nouveau Papa Bunda qu'on n'a pas vu à la veillée. On lui fait un petit compte-rendu de ce qui a été décidé. Il se rend à la morgue, sur le chemin de son boulot à l'école Malula. Je reçois quelques visiteurs impromptus. J'en ai congédie un, une dame dont je tais le nom, qui pensant qu'elle n'aurait pas l'occasion de m'aborder au matanga a préféré m'exposer son problème dans la discrétion de Limeté. Et malheureusement, comme toujours, son intention était de solliciter de l'aide financière pour démarrer son business de toute urgence, prétextant que je la néglige. Pour toute réponse, je l'ai priée de quitter les lieux, scandalisé que j'étais par l'indécence d'une telle attitude, par son égoïsme aveugle. Un peu plus tard, j'ai pris les moyens publics pour me rendre à Masina. A BKTF, je suis même monté sur une moto. J'ai tu l'événement car une jeep d'Adrienne était mise à notre disposition. Une bonne cinquantaine de personnes se trouvent sur les lieux. Le père Séraphin Kiosi et des abbés de Kenge Fidèle Pindy, Ghislain Mukanu et Oscar Lemfu sont là. Ils y restent jusque vers 21 heures. Tout se passe dans l'ordre. J'ai retrouvé des amis d'école primaire, des cousins et cousines, et d'autres... membres de famille venus de Kenge, Kimbau, Mutoni, Kabengo, Milombi, Kimwela-Kasu.
Vers 23h, je propose d'offrir de la boisson alcoolique et non-alcoolique aux veilleurs. Mes neveux se s'exécutent et nous rapporte quelques casiers. Ils connaissent le quartier, les gens et peuvent résoudre ce genre de problèmes à n'importe quel moment. Comme toutes les nuits, la musique yaka de Bitshi-Bitshi et Kas Kasongo est de la partie; et les gens ont dansé jusqu'à l'aube.
C'est vers minuit que je peux mettre quelque chose sous la dent. A-t-on jamais de l'appétit dans ces circonstances? Mes commensaux sont: Pascaline, Adrienne, Nicolas, Gabrielle et un neveu. Au menu: des mbinzo, du poisson, du makayabu avec du foufou et de la chikwangue. On a mangé dans une chambre, le salon étant occupé par les pleureuses. Dehors, oui, une fois. Le 29, parce qu'il n'y avait pas beaucoup de monde. On a donc veillé sans fermer l'oeil. Vers 6h du matin, nous repartons sur Limeté.
31 août 2012 - C'est la levée du corps. Un cousin et mes soeurs sont déjà sur les lieux pour assurer les formalités et veiller à ce que tout se passe comme prévu. J'ai différé mon arrivée à la morgue, car je ne voulais pas y entrer, traumatisé un peu par ce que m'avait Séraphin à ce sujet. J'ai donc décidé de voir le corps de Maman dans le cercueil au lieu de l'exposition. Vers 12h, Mbuta Clément est venu nous chercher et nous avons pu rejoindre le cortège à la sortie de l'hôpital St Joseph. Quel moment! Quelle émotion! Des taxi-bus 207 étaient mis à la disposition des personnes non véhiculées.
Dans le cafouillage habituel de Kinshasa, nous avons réussi à atteindre le terrain municipal de Masina sans trop de dégâts. Aussitôt, je suis allé m'incliner. La réalité, le spectre tant craint a pris un corps: Maman gisait dans le cerceuil. C'est la dernière image qui me reste d'élle. Je me suis levé plusieurs fois, pendant la veillée comme le jour suivant, pour la regarder. J'ai tenu à la graver dans ma tête, dans mon coeur, dans mes yeux, dans ma mémoire. Fils aîné, j'ai senti le poid du sang dans mes veines. Avec Maman, meurt une partie de moi, comme ce fut le cas avec Papa. Me voilà orphelin full, comme disent certains. Seul devant la vie, seul devant le destin, sans la protection de celle qui m'a mis au monde, allaité, nourri, lavé, appris les premiers usages de la vie, appris la prière, élevé, soigné, etc. Celle dont j'étais si fier de dire devant mes jumeaux: "Je suis le bébé de ma maman" à peine quelque quatre semaines auparavant. Celle que je tenais à protéger jusqu'à la fin de ses jours. Ce?lle à qui j'ai apporté les jumeaux pour qu'elle les voit, les touche, joue le kikhaka avec eux et que j'ai mise en garde: "Maman, ne fais pas le vieux Siméon." Voilà qu'elle n'a pas entendu mon cri intérieur, à défaut d'y voir un signe annonciateur de mort. Elle est partie, wendi kwandi mama! Akeyi na ye! Atiki biso bana etike!
Que c'est dur de perdre sa mère! Je n'aurais jamais imaginé que cette douleur était si pénible, si elle n'était décédée effectivement. Les paroles de consolation des parents et amis aident certes, mais la peine demeure entière, lancinante, et chacun la porte à sa manière. J'étais trop attaché à ma mère pour que son souvenir s'éfface si vite, que son sourire discret disparaisse de son visage que j'ai gravé dans mon coeur. Que le Seigneur m'entende et me console!
L'après-midi a été encore plus émouvant. On avait loué une chapelle ardente, 1000 chaises, 14 tentes; on a prévu la prévu de l'orchestre de Bitschi-Bitschi, Pierre Manwana. Des amis, cousins, tantes, connaissances, curieux rodeurs, sont venus de partout. Des collègues. Une dizaine de prêtres, une dizaine de soeurs. L'occasion de revoir Soeur Angélique Wolang, devenue entre-temps responsable chez les Salésiennes de la visitation. Des centaines de personnes ont répondu à notre invitation. Des parents et des gens venus de partout, des collègues et amis de Kimbau, Bandundu, Kenge, Kalonda, Mayidi, Fribourg, Kinshasa, des représentants de toutes nos couches relationnelles, les parents, amies et amies de nos parents, amies et amies, les parents, frères et soeurs de nos amies et amis, les protégées et protégés d'autrefois, comme des inconnus qui ont sans doute croisé Papa ou Maman quelque part, etc. Tout le monde était là, voire une tante paternelle réputée dure à son égard. Comme dans toute communauté humaine en pareilles circonstances, je dois hélas avouer que des petits incidents langagiers ou sociaux n'ont pas épargné cette congrégation funéraire.
La veillée a été une réussite. La performance de Bitschi-Bitschi a été formidable. Pierre Manwana et son groupe de chanteurs/ses et danseures/ses ont tenu le public en haleine jusqu'à l'aube. Ceux et celles qui pouvaient danser ou se trémousser à ce rythme n'y sont pas allés par quatre chemins. Et Pierre Manwana a plusieurs fois évoqué le nom de Maman Christine Matsasu, car en dernière analyse, ces chants étaient funéraires. "Tsikila mondo yadila matsakani malabuka nzadi ko" était le refrain d'un de leurs tubes. (Joue du xylophone pour que je pleure car les sons des maracasses ne traversent jamais la rivière).
MERCI à toutes et à tous pour tant de sollicitude, de présence réconfortante et surtout pour la prière en faveur du repos de la défunte. MERCI aux miens pour avoir assurer une organisation digne et efficace, car la famille s'est unie très solidement pour rendre hommage à cette femme dont je porte le sang et assure une certaine éternité biologique.
1er septembre 2012. Inhumation. Vers 5 heures du matin, il a été demandé aux gens de rentrer se raffraichir et se préparer pour la cérémonie du dépot de fleurs à 10h30 et de la messe à 11h30 à l'église Mama Boboto, située à quelque trois cents mètres du terrain municipal de Masina. Nicolas et moi sommes rentrés sur Limeté, pour un bref répit, avant de revenir sur les lieux. Le retour était assez cafouilleux: un embouteillage attendu entre Pont Matete et Pascal, mais alourdi par le passage du cortège présidentiel sur l'autre bande du boulevard. J'ai donc aperçu Joseph Kabila au volant de sa jeep Mercedes, vitres baissées, au niveau de Debonhomme. C'est vers 11h que nous avons atteint le stade municipal. Et la cérémonie de dépot de fleurs a commencé dès notre arrivée. Frédéric Kayolo, mon cousin, qui faisait le maître des cérémonies s'est brillamment acquitté de sa responsabilité, invitant les gens et rappelant à l'ordre.
Les "bakoko", grands-enfants de Maman ont fait disparaître le couvercle du cerceuil: ils exigeaient de l'argent avant de le remettre. C'est la tradition, semble-t-il. Ils prétendaient que leur "chérie" les a abandonnés. En effet, ils l'ont habillée, embellie pour la cérémonie, moyennant quelques dollars et se sont chargés de porter le cercueil jusqu'à l'église. Us d'un autre siècle, dira-t-on, mais un us pratiqué. Le déplacement vers l'église était rendu difficile par la présence innombrable de rodeurs qui n'avaient rien à faire avec notre deuil. La route étant commune, on s'y est accommodé.
La messe s'est déroulée dans une piété et un recueillement dignes d'une femme modeste et humble qui s'est dévouée corps et âme pour sa famille et les siens. Etaient à l'autel les abbés Fidèle Pindy, célébrant principal, Séraphin Kiosi, prédicateur, Robert Kutukenda, Oscar Lemfu, Noël Matonga et Ghislain Mukana, mon neveu. J'ai beaucoup aimé la prédication de Séraphin qui a relevé la simplicité de Maman, son sens d'accueil et sa vie de foi chrétienne. Félix Manzanza Wada s'est occupé des chants et Séraphin a présidé les absouts. Ghislain n'a pas retenu ses larmes. Pourquoi d'ailleurs devrait-il le retenir?
Après la messe, peu avant le transport du corps vers le cimetière de Mikonga, a eu lieu un moment intense de retrouvailles. J'ai revu des personnes que je n'avais pas saluées la nuit parmi le millier des gens venus rendre hommage à Maman. Comme si chacun tenait à marquer sa présence ou à se faire voir. Cela fait aussi partie de nos traditions. Trois bus 207 ont été mis à disposition pour ceux qui voulaient se rendre à Mikonga.
Pour les raffraichissements, un groupe devrait se retrouver sur Bagata, à la maison de Maman, notamment la famille restreinte. Et un autre groupe, plus grand, était attendu au Bar Chez Sébastien au Quartier I Ndjili, à deux pas du Boulevard.
Nous sommes donc partis pour Mikonga avec le corps, avons procédé à l'inhumation malgré quelques anicroches liées à la paperasse bureaucratique, dans l'intimité et la dignité. J'ai tenu à tout voir plutôt qu'à faire des photos, à graver tout cela dans mon coeur. Jusqu'au bout, ADIEU MAMAN. REJOINS PAPA. QUE LA TERRE DE NOS ANCETRES TE SOIT DOUCE ET SUAVE!
La rencontre Chez Sébastien s'est bien déroulée. Plus de deux cents personnes issues de toutes les couches sociales. J'ai vu Frédéric débordé, je l'ai encouragé à garder son calme. Il estimait que les frais seraient exorbitants, vu que certains invités ne suivaient pas l'ordre des commandes.
Après le Bar Chez Sébastien plein à craquer, j'ai décidé d'aller passer la nuit à Binza Pigeon voir mon beau-père, Papa Bernard Mosimi dont la santé est devenue fragile.
2 septembre 2012 - Faute de temps, j'ai failli à mon devoir dominical, me contentant de mes prières quotidiennes. Dès le réveil, je suis allé dans l'annexe où loge Papa Mosimi. Il a eu du mal à me reconnaître, mais il m'a recconnu dès que j'ai dit mon nom. Nous avons parlé de tout et de rien. On a bien ri avant que je reprenne ma route pour Limeté où nous sommes arrivés à 12h. Nicolas m'attendait. Le temps de mettre un peu d'ordre dans mes affaires, nous sommes montés à Masina où je devais dire adieu à toute la famille, écouter les rapports financiers et sociaux. Je n'y suis resté à Masina qu'une heure, car je devrais préparer mon voyage du lendemain. A la surprise générale, rien n'était prêt lorsque j'ai décidé de partir: ni nourriture, ni rapports, ni quoi que ce soit. Sur le chemin, j'ai croisé Adrienne, je l'ai priée d'exposer son rapport aux autres quitte à m'en réserver copie sur le net. J'avais besoin d'être seul, méditer, rassembler mes effets. Malgré cela, deux visiteurs se sont pointés à ma porte. Dans la soirée, je me suis rendu à un restaurant de la XVIe Rue, Congo Futur, pour un repas.
3 septembre 2012 - 6h: Départ pour Ndjili. Je cherche un cyber-café pour imprimer ma carte de vaccination oubliée à la Barbade que Clavère m'a scannée. Je voudrais également récupérer le numéro de l'abbé Albert Mundele que je tiens à rencontrer à Nairobi sur ma route pour Londres. Finalement, c'est à l'aéroport que je peux faire l'opération. Entre-temps, l'abbé Michel Ngob m'a texté le numéro d'Albert. Les formalités se passent sans problème, bien que nos agents soient toujours avides d'argent sous n'importe quel prétexte. Les agents de la santé ne sont nullement intéressés par la carte mais à leur coca, que je refuse de leur donner car je n'en vois pas l'importance. 10h45: Départ pour Nairobi. 17h: Arrivée à Nairobi. Albert est là, avec sa moustache légendaire digne d'une sculpture de Michel Ange. Comme il y a embouteillage, il préfère qu'on s'arrête à Airport View chez un ancien svd, Kama Kama. L'accueil est très cordial: le maître des céans est absent, Maman Francisca nous assure un cadre très confortable pour nos retrouvailles. On se console, on rit, on se souvient du passé, on parle de nos mamans vivantes et mortes, de nos parcours et de possibles collaborations futures, des amis, de nos expériences avec Mgr l'Evêque. Vers 21h, nous quittons les lieux pour l'aéroport. 24h - Cap sur Londres où j'atterris le 4 septembre à 6h00.
Ainsi s'est vécu le dernier voyage de MILEDI MIA KHATU à Kinshasa. Je posterai quelques images dès que possible.