2 mars 2014

Autour de la mort d'Emeneya: du connu à l'inconnu

Emeneya décédé. Paix à son âme! Voilà un événement plein d'informations ou de révélations pour tout observateur attentif. Et à travers cet événement peut se retracer la vraie face de la société congolaise. Chacun peut en tirer ses conclusions. Je ne suis pas sociologue, mais littéraire. Il y a selon moi du déjà connu comme de l'inconnu.
Vedette nationale et internationale, King Kester Emeneya a vécu sa vie comme il se doit. Par son talent et son travail, il a construit son succès. Un succès qui l'a amené aux quatre coins de la planète. J'ai suivi beaucoup d'interviews de lui que je n'avais jamais vues auparavant. De fil en aiguille, j'ai à mon niveau reconstitué une idée plus claire de l'individu. Arrogant, phénoménal et superbe, il l'est resté. La différence entre son personnage et sa personne est nette. La star ne s'est jamais départi de sa dignité légendaire, et n'a jamais contrarié son goût pour l'excellence et le travail bien fait. Avec l'album "This is me"(?), il comptait cartonner et s'acheter un "Jet privé" (sic). Il a placé la barre très haut. Cet artiste créateur et ambitieux qui faisait baver les envieux, c'était aussi Jean Mubiala. Il est parti mais reste dans le coeur des siens.
Selon qu'on est son fanatique ou un mélomane neutre, selon qu'on est sentimental ou passionné, on lui affiche des amis et des ennemis jurés parmi ses collègues, distribuant des points de bonne conduite aux uns et des mauvaises notes aux autres. Des illustres inconnus se sont révélés être des "pire moto na ye", des connus se sont rétractés de leurs vieilles déclarations, soulevant des polémiques à propos de tous les détails de l'événement. Son frère Jolly Mubiala a été accusé de traître par les uns et les autres pour n'avoir pas suivi les consignes. On a même identifié les "tueurs" qui l'auraient cocufié; on a proféré des menaces à leur encontre et promis de cruelles vengeances. On a ethnisé le décès, voire provincialisé les rites, mais la raison nationale a prévalu pour que l'icone musical soit finalement enterré à Kinshasa. Des intérêts financiers et des agendas politiques y sont également cachés, car il y en a que cet événement enrichit ou qui en tireront des dividendes politiques. Bref, des actes ont été posés; beaucoup de choses se sont dites, les unes plus contradictoires que les autres; mais pour moi, la vérité de la mort d'Emeneya relève de Dieu seul. Savoir qui il était en réalité comme individu demeurera voilé à tout le monde.
Juste un exemple. Vivant entre deux rives, deux traditions, l'artiste installé en France depuis vingt ans n'avait jamais déclaré son divorce "coutumier". Ce qui a compliqué la libération du cercueil car la loi française est étrangère à nos coutumes selon lesquelles le mari se contente de chasser son épouse sans autre forme de procès, en prend une seconde et l'installe chez lui moyennant juste quelques caisses de bière à la belle-famille. L'écrit est plus crédible que l'oral en France. Les implications juridiques d'une telle situation peuvent se révéler terribles. La femme qui se découvre non divorcée peut réclamer, sur le territoire français, tous ses droits au patrimoine du patron de Victoria. Un avocat peut exploiter une telle aubaine. Le sociologue y analyse le phénomène transnational tandis que le littéraire y perçoit une scène dramaturgique à plusieurs ouvertures imaginaires.
Opulents mécènes, sapeurs à succès, autorités politiques, mélomanes de tous les horizons, hommes et femmes de la rue, populations de Kikwit et du Bandundu, bref tout le monde est monté sur la scène du spectacle pour marquer son message. De la facture des frais hospitaliers à l'achat du cercueil, du transfert du cadavre à l'inhumation, une panoplie d'acteurs sont montés à la tribune. Un sapeur, maître de la forme, a célébré le grand-prêtre King Kester en offrant un onéreux complet Versace blanc avec lequel il serait enterré. Les sapeurs ont défilé à la Place de la Victoire, exhibant les dernières extravagances de la mode. Ils ont frappé la forme na ndenge ya ye mei Nkwamambu, Unkwa Ngolo Zonso, le Grand Mokolo. C'est aussi cela l'autre face du Congolais.
Des véhicules en grand nombre sont partis de Mayumbu pour Kinshasa avec des fortes délégations pour lui rendre hommage. Redy Amisi lui a composé un "nkunga" d'une beauté exceptionnelle. Thythy Levallois s'est coupé en quatre pour sensibiliser l'opinion tant au niveau du pays que de la Diaspora. La famille Mubiala a tenu à garder son unité et sa cohésion. Les femmes se sont querellées. Le cortège depuis l'aéroport de Ndjili a connu un franc succès. Honneurs nationaux ont été rendus à l'illustre fils du pays. Que dire de plus?
Kester kwenda mbote! Nzambi kuyamba nge na bwala na yandi. 
 
 
 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire