Je suis né à Kimbau, dans l'ancien Congo-Belge, trois années avant la proclamation de l'indépendance. Je me souviens encore mais vaguement de la journée de l'indépendance. Ma famille se trouvait à Kabwita. Ce jour-là, mon père et ses collègues enseignants - mes Papas Paul Mayamba, Félicien Mubinzi, Séverin Mayamba, Sébastien Mulandu - se sont réunis autour d'une grosse radio pour suivre la cérémonie, notamment le discours de Lumumba dont j'entendis le nom pour la première fois. Ils criaient : "Independance" et ils ont dansé "Independance Cha Cha". Tels sont encore mes souvenirs de 3 ans. Je suis sûr que c'était comme je l'apprendrai plus tard le 30 juin 1960.
Passant par Mutoni (63-64), je ne pris conscience de la réalité politique qu'à Makiosi (64-65). Cette année-là mon grand-oncle Sylvain Mayengo vint en campagne électorale. Je ne l'oublierai jamais, ce fut la première fois que j'osai le saluer. En effet, enfant, je le prenais pour quelqu'un capable de m'emprisonner. Alors j'avais peur de lui. Je ne pouvais à aucun moment imaginer qu'un si grand homme (politique) soit membre de ma famille.
Cette époque était marquée par la rébellion dite de Mulele. Les chansons réfletaient cette réalité: "Mulele soldat soldat soldat kambula masasi, bantu nionso na mfinda, etc. " J'en ai déjà parlé dans ce blog. La crainte des rebelles était une obsession, soldats réguliers et rebelles étaient terriblement craints. Les contrôles étaient fréquents tout comme les descentes de soldats ou policiers dans les villages pour extorquer les chèvres, moutons ou poulets des villageois. Les villageois souvent profitaient de l'inattention de ces pilleurs pour prendre le large lorsque les bêtes s'éloignaient du village, épargnant ainsi les bêtes et disparaissant pour ne revenir qu'une semaine plus tard. J'ai vécu et vu ces événements. J'ai retenu le nom d'un oncle qui s'était illustré à ce jeu: Kha Balacelet (Bracelet).
J'étais en troisième primaire à Kenge lorsque Mobutu prit le pouvoir en novembre 65. C'est notre maître Mr Severin Mayamba, De Piano, qui nous l'annonça en classe. J'ai eu pitié de Mr Kasavubu et ai jugé Mobutu de méchant de lui avoir coupé l'herbe sous les pieds. Il pendit les Kimba et consorts. En vacances à Kinshasa en juillet-août 66, j'eus le privilège de voir en cortèges trois présidents africains: Jean-Bedel Bokassa ou Mwana Mboka, François Tombalbaye et Joseph-Désiré Mobutu. C'était l'époque des Etats-Unis d'Afrique, idée chère à Mobutu. Vint le CVR, puis le MPR. J'ai vécu la consolidation du pouvoir dictatorial de Mobutu jusqu'en 1979 en passant par la zaïrianisation, l'authenticité, le mobutisme. C'est à mon retour de Rome en 1982 que je connaîtrai l'existence du Comité Central remplaçant le Bureau Politique du MPR, et celle du MPR Parti-Etat. J'ai suivi le conflit entre l'église et l'état des années 70, et connu certains acteurs influents. J'ai même eu deux occasions de poser des questions au Maréchal du Zaïre à Rome (80 et le 19 avril 82 au Vatican). Quoi qu'on dise ou pense du dictateur Mobutu, il a régné sur un Zaïre uni et auquel il a insufflé un sens élevé de la conscience nationale. On était fier d'être Zaïrois. Il se croyait éternel et n'a pas préparé sa succession. "Après moi, le déluge", aurait été son testament. Il sera chassé du pouvoir par Mr. Laurent-Désiré Kabila le 17 mai 1997.
Les malheurs que nous vivons jusqu'à ce jour ont commencé, quoiqu'ils aient des racines lointaines, avec l'entrée de l'AFDL de Mr. Kabila Père. Appuyé par les armées rwandaises, ougandaises et burundaises, il a pris le pouvoir en signant des pactes avec les étrangers - on parle notamment des sinistres accords de Lemera - et accordant des contrats léonins à des multinationales. Ces accords dont l'existence demeure activement souterraine ont été à la base de son élimination et du pillage systématique des minerais du Congo. Les puissances du monde voulaient se débarrasser de l'encombrant Mobutu essoufflé et malade, mais ont utilisé les Rwandais pour mener cette action à terme. Là, je me réfère largement aux pertinentes analyses d'Honoré Ngbanda, conseiller de Mobutu en matière de sécurité. J'ai eu l'occasion de séjourner au pays en avril 1998, et me suis tout de suite rendu compte de l'occupation du pays. De l'aéroport où je suis arrivé la nuit jusqu'à Binza Pigeon, la présence militaire rwandaise était plausible. J'avais vraiment l'impression d'être un étranger dans mon propre pays. L'armée était dirigée par un Rwandais: James Kabarere. A la télévision, on voyait Mrs Gaetan Gakuji et Dominique Sakombi prôner la grandeur de "L'homme qu'il fallait" dont l'effigie était placée à Kintambo Magasin. Ca sentait très mauvais. Je me suis même demandé comme beaucoup s'il avait valu la peine de destituer un maréchal moribond pour mettre tout le défunt Zaîre à la solde d'envahisseurs sans scrupule.
Je ne fut pas étonné du déclenchement de la guerre qui a commencé le 2 août 1998, et qui en réalité n'est jamais terminée. Les Rwandais, priés de rentrer chez eux, ont occupé la base de Kitona d'où ils ont été défaits par l'armée angolaise. LD Kabila dans une vidéo est revenu sur cet épisode: "Nous sommes infiltrés jusqu'au sommet de l'état." Ce disant, oubliait-il qu'il est l'homme qui avait amené ces Rwandais qui ont tourné casaque après? Personnellement, je n'ai jamais été impressionné par cet héros national de la RDC placé au même piédestal que Lumumba. Il a amené les étrangers dans ce pays et n'a pas su les gérer. Des étrangers revendiquent aujourd'hui des terres congolais sur la base des accords de Lemera qu'il a signés. Kabila Père une fois assassiné, le pouvoir a été légué à son fils Joseph Kabila Kabange Dieu seul sait sur quelle base.
Kabila Fils a beau régner 17 ans, mais il n'a jamais convaincu les Congolais de sa nationalité congolaise. On lui a attribué le nom d'Hippolyte Kanambe ou commandant Hippo, ancien agent de Mr Kagame. Beaucoup d'ambiguïtés ont été entretenues sur sa filiation biologique. Quoique l'on dise ou fasse penser, les Congolais n'ont obtenu ni la paix ni la prospérité tant rêvées, encore moins le développement économique. Des guerres ont opposé Rwandais et Ougandais à Kisangani. Des rébellions ont continué à l'Est, des conflits interethniques se sont radicalisés, sans que la paix revienne. Les tueries de masses se poursuivent jusqu'à ce jour dans ce no man's land. Il a fini par céder le pouvoir non sans avoir tenté de résister. Les élections ont eu lieu en 18 alors qu'elles auraient dû se tenir en 16. Aux yeux de beaucoup de compatriotes, son gouvernement a découpé le territoire en 26 provinces afin de mieux faciliter sa balkhanisation. On lui attribue une passation pacifique de pouvoir, mais on oublie que selon la Cenco et d'autres institutions d'observation c'est Mr Martin Fayulu qui a été élu plutôt que Mr Félix Antoine Tshisekedi. Cette transition "arrangée" n'était qu'une bombe à retardement. Ce dernier après avoir éliminé ses parains ou colistiers tente de reprendre les affaires en mains: il s'est débarrassé du contrat CASH-FCC. Il a créé l'Union sacrée semant l'incertitude et le mécontentement chez les uns comme chez les autres. Aujourd'hui, nous attendons la sortie du gouvernement qui va résoudre tous les problèmes de la RDC. "Leurres et lueurs," aurait dit Birago Diop. "Rien ne changera," dit le littéraire apolitique.
Ma lecture de l'histoire de notre pays est loin d'être radieuse. Ce pays ne nous appartient plus; il est géré sans nous. Les efforts du pouvoir actuel buttent à des obstacles complexes qui, hélas, confirment l'hégémonie étrangère. Avec une facilité déconcertante, les voisins pillent notre terre et nos richesses naturelles, les rebelles violent nos soeurs et tuent nos compatriotes, dans l'indifférence totale de la communauté internationale. On parle de plusieurs millions de morts, un génocide méconnu. Le pays est ingouvernable, divisé depuis l'avènement de Kabila Père qui n'a eu que quelque 15 mois de répit, et qu'on a élevé au rang de héros national. Franchement, je ne vois pas comment les Congolais reconstruiront leur pays balkanisé, délabré et pillé en l'absence d'un leadership fort et nationaliste. La bonne volonté seule ne suffit pas, le voeu pieux ne compte pas, il faut agir.
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